"Valley Forge, Valley Forge" est le treizième volet de "The Punisher", une série qui regroupe les versions françaises des soixante-quinze numéros de la VO (de mars 2004 à octobre 2009) en dix-huit volumes publiés chez MAX - le label adulte de Marvel - entre avril 2004 et janvier 2011. Cet album, sorti en mai 2009, comprend un arc en six parties (les #55-60, mai à octobre 2008 ; même titre en VO). Panini Comics France réédite cette somme dans sa collection Marvel Deluxe depuis 2013. Le sujet de cet article est la première édition en version française, mais pas la réédition (d'octobre 2018). C'est un ouvrage format 26,0 × 17,5 centimètres à la couverture flexible de cent trente-cinq planches à peu près.
Le Britannique Garth Ennis ("Preacher" ; "The Boys" ; "Hellblazer") écrit le scénario, qu'illustre Goran Parlov ; le Croate encre ses dessins lui-même. Ces deux-là avaient collaboré sur "Barracuda" (tome huit), "Punisher présente Barracuda" (dix), et "La Longue Nuit froide" (douze). Lee Loughridge façonne la mise en couleur.
Un bouquin occupe les vitrines des librairies. Il est intitulé "Valley Forge, Valley Forge", et sous-titré "Le Massacre d'une garnison de Marines et la naissance du Punisher". Michael Goodwin, son auteur, est le frère cadet de Stephen - "Stevie" - Albert Goodwin, mort au combat lors de l'assaut nord-vietnamien du 30 octobre 1971 sur la base de l'USMC Valley Forge. Même période, ailleurs : Nick Fury, renfrogné comme jamais, est attablé dans un bar sombre à boire un bourbon. Castle arrive et s'installe en face de lui. Il le salue brièvement ; Fury répond par un grommellement. Une serveuse affable s'enquiert de ce qu'ils souhaitent boire. Castle commande une eau gazeuse ; Fury vidant son verre, elle en déduit qu'il reprendra un bourbon. Fury tend une chemise cartonnée à Castle. Puis, regardant l'écran de télévision divulguant le nombre de morts nord-américains en Irak, il demande au Punisher s'il ne croit pas que "cette merde" va finir par leur retomber dessus...
Avant-dernier tome signé par Ennis, "Valley Forge, Valley Forge" constitue une véritable réussite dans une série qui comporte déjà de nombreux moments de bravoure. Il sera utile de relire "Mère Russie", ou de connaître les événements qui s'y sont déroulés, ainsi que "Born", qui ouvre le titre. "Valley Forge, Valley Forge" est un recueil passionnant, bâti sur deux histoires ; Ennis revient d'abord sur la naissance du Punisher, par un chapelet d'encarts de texte extraits d'un essai fictif, écrit par un certain Michael Goodwin, et qui relate la mort de son frère Stevie - Marine dans l'unité de Castle - au Viêtnam. L'objectif d'Ennis est double. Premièrement, il sous-entend que la terrible tragédie familiale qu'a vécue Castle n'a été qu'un déclencheur : le ver était déjà dans le fruit. Ennis, ensuite, évoque la véritable dérive morale de l'US Army au Viêtnam, et depuis : "manquement généralisé au devoir", "défenses sans surveillance ni entretien", usage "largement répandu" de stupéfiants, meurtres d'officiers à la grenade par leurs propres hommes ("fragging"). Le scénariste continue cette remise en question et établit un rapport avec l'évolution récente de l'armée américaine en analysant la gangrène - l'argent - qui ronge les cadres supérieurs militaires, les liens de ceux-ci avec les sociétés militaires privées, telle Academi (l'ex-Blackwater), et l'appropriation par ces dernières d'une partie des missions de l'armée. Si "Valley Forge, Valley Forge" constitue l'un des summums du titre, Ennis démontre aussi qu'il est capable d'écrire une histoire dans laquelle la violence dont il est coutumier est parfaitement canalisée. Si son récit est plus classique - ou en tout cas, moins cru et sordide que tous les autres -, cela n'enlève absolument rien à ses qualités tant il est captivant tout du long. Habituellement graveleux, l'humour devient ici pince-sans-rire ; il y a quelque chose de jubilatoire à regarder le Punisher neutraliser ces cadors des forces spéciales tellement sûrs d'eux. Les dessins parachèvent une indéniable réussite. Notons le travail sur l'expressivité, qu'il s'agisse des généraux, ou - surtout - de Rawlins, attaché à une chaise, en plan fixe. Les arrière-plans sont rationalisés. Le découpage irréprochable apporte aux scènes d'action la lisibilité qu'elles exigent.
La traduction est à nouveau de Nicole Duclos. Son boulot est globalement convenable, malgré quatre fautes : trois de mode et une de nombre. L'éditeur a regroupé les couvertures originales à la fin ; il aurait pu les insérer au début de chaque chapitre.
Occupant une place à part dans la série, "Valley Forge, Valley Forge" est une histoire parfaitement maîtrisée, équilibrée et passionnante : une réussite supplémentaire à l'actif du tandem Ennis-Parlov, et une réflexion sur les dérives morales de l'armée.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
Avant de lire ton article, j'ai commencé par vérifier que tu avais bien attribué 5 étoiles à ce chef d'œuvre. :)
RépondreSupprimerUne fois rassuré, j'ai pu apprécier ce que tu en dis. Il me semble qu'à l'époque, c'était le dernier chapitre de la série MAX par Ennis, une forme de fin sur ce qu'il avait à en dire en rebouclant avec un récit sur les militaires, revenant sur la troisième période de service dans l'armée de Castle au Vietnam.
Valley Forge, Valley Forge constitue l'un des summums du titre : 100% d'accord.
Violence canalisée, moins crue, moins sordide, sans humour graveleux : cette caractéristique m'avait également marqué.
Les arrière-plans sont rationalisés : autre aspect de la narration qui m'avait marqué et fait reconsidérer le regard que je pouvais avoir sur les dessins de Goran Parlov.
Seul regret : Ennis décide de dépeindre tous les soldats vietnamiens comme des monstres cruels se repaissant de la souffrance de leurs ennemis ; leur point de vue de peuple dont le territoire est envahi et occupé n'est jamais développé. Je n'ai pas compris pourquoi il avait choisi cette représentation unilatérale.
Je croyais que ce n'était pas le dernier titre de la série MAX par Ennis, mais je me suis trompé : c'est toi qui as raison.
SupprimerCe qui m'avait induit en erreur est que Panini Comics France, curieusement, a ajouté "Le Retour de Ma Gnucchi", en en faisant ainsi un tome quatorze. Sauf erreur de ma part, il s'agit pourtant d'une mini-série séparée qui n'a rien à voir avec la série régulière.
Concernant ton regret, je pense que c'est la vision américaine des choses, et surtout celle des anciens combattants interviewés par Goodwin. Je ne sais pas si un véritable traumatisme comme celui qu'a été la guerre du Viêtnam pour les Américains laisse de l'empathie pour "l'autre". Cela dit, Ennis évoque au moins - indirectement - le massacre de Mỹ Lai et les crimes de guerre de la Tiger Force, dont je n'avais encore jamais entendu parler ; il y a bien une enquête en cours depuis des années, mais l'US Army la fait trainer, semble-t-il, et elle risque de pourrir. L'article de Wikipedia (en anglais) sur les exactions de cette unité est édifiant.
Le retour de Ma Gnucci est paru sous le titre de Punisher War Zone, et portait le logo Marvel Knights. C'est donc plus une forme de conclusion à la série Marvel Knights initiée avec Welcome back Frank, dessinée par Steve Dillon, la version moins réaliste, plus comique du Punisher, indépendante de la version MAX.
SupprimerPour la version MAX, Ennis y revient en 2018 avec The Platoon, puis en 2020 avec Punisher: Soviet.
Merci de ces précisions ; voilà deux titres qui ont rejoint ma liste de lecture.
SupprimerPour être complet, Garth Ennis a écrit deux autres histoires MAX avec une référence à un personnage de Punisher MAX : une minisérie Fury dessinée par Darick Robertson (2001, 6 épisodes) et une maxisérie Nick Fury avec Goran Parlov (13 épisodes, 2012/2013).
SupprimerMerci de ces infos complémentaires. J'ai toujours eu un peu de mal avec le personnage de Nick Fury. Cela dit, s'il y a Parlov aux dessins, il faudra que je m'y intéresse.
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