samedi 2 janvier 2021

Adèle Blanc-Sec (tome 5) : "Le Secret de la salamandre" (Casterman ; avril 1981)

"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est une série toujours en cours à ce jour, créée par le Valentinois Jacques Tardi, en 1976 ; les deux premiers tomes ("Adèle et la bête" ; "Le Démon de la tour Eiffel") sortirent directement en albums chez Casterman au même moment, janvier 1976. Les volumes suivants furent d'abord prépubliés dans "(À suivre)", magazine mensuel qui appartenait à l'éditeur, avant de sortir en albums. 
"Le Secret de la salamandre", le cinquième épisode, a été entièrement réalisé par Tardi, à l'exception de la mise en couleur, confiée à Anne Delobel ; elle fut un temps compagne de l'auteur. Cet ouvrage format 22,5 × 30,5 cm à couverture cartonnée compte quarante-six planches. Il s'agit de la neuvième édition. 

À l'issue du tome précédent, la momie dévoile à Mouginot sa technique de conservation pour le corps d'Adèle. Ensuite, Rove élimine Mouginot ; Dieuleveult abat le tueur. La guerre éclate. 
Paris, octobre 1933 ; dans une pièce remplie de livres et de journaux, un archiviste est assis à son bureau. Déjà âgé, il porte des lorgnons, est vêtu d'un costume trois-pièces, et fume un cigare. Sans préambule, il s'adresse aux lecteurs pour annoncer la mort de Lucien Brindavoine, refroidi par un policier à l'hôpital Broussais dans le quatorzième arrondissement. Brindavoine a été dénoncé par un indicateur. Le narrateur y voit une sombre manœuvre policière. Il ajoute qu'il est grand temps pour lui de "relater les faits tels qu'ils se sont déroulés", "en commençant par le début" et "de dire la vérité, quelles qu'en soient les conséquences". Il explique alors la mort de Mouginot, éliminé par Thomas Rove à la demande de Dieuleveult. Mouginot avait inventé un moyen de ramener Adèle Blanc-Sec à la vie. Rove est ensuite supprimé par Dieuleveult, qui a le champ libre pour détruire son système de conservation, et tuer Adèle Blanc-Sec... 

Cinquième tome. Occupé par plusieurs projets, l'auteur prendra presque trois ans et demi pour réaliser ce volet, dont certains diront par respect qu'il s'agit d'un album de transition tandis que d'autres affirmeront sans hésiter du tout qu'il s'agit du volume le plus médiocre de la série depuis ses débuts. D'abord, l'héroïne n'a pas de rôle à proprement parler : bien qu'elle cristallise les plans et les efforts de la momie d'un côté et de Dieuleveult de l'autre, Adèle n'intervient pas ; elle n'apparaît que dans huit cases, n'est consciente que dans trois, et ne prononce que deux mots. Ensuite, Tardi continue un exercice qu'il avait déjà commencé dans "Momies en folie", celui de piocher certains de ses personnages pour les intégrer dans "Adèle Blanc-Sec", tels Lucien Brindavoine et Otto Lindenberg, tirés d' "Adieu Brindavoine" (janvier 1974) et importés dans l'univers d'Adèle-Blanc-Sec. Brindavoine est à l'opposé de l'incarnation du héros de papier type : lâche, mais n'hésitant pas à condamner son bras pour être réformé, il est alcoolique, naïf, voire pas malin, et fait parfois preuve d'une maladresse terrible. Il n'est au fond qu'un simple outil dans cette histoire : celui de la momie. Sans légèreté aucune à force d'insistance, Tardi emploie surtout Brindavoine pour exprimer sa haine du patriotisme et de la guerre dans des diatribes infantiles et indigestes qui lassent et auxquelles les lecteurs accordent de moins en moins d'importance au fil des tomes. Ici, il y a néanmoins une "nouveauté" : les industriels et les religieux, associés à la mafia (Coppola a les traits de Marlon Brando / Don Vito Corleone dans "Le Parrain", 1972), sont accusés de la misère de l'humanité, dans une théorie du complot à l'humour grinçant. Mais que reste-t-il de l'intrigue dans ce scénario sans queue ni tête ? Pas grand-chose, mais Tardi a suffisamment de génie pour éviter que sa trame n'explose à force de se disperser ; elle est donc linéaire, et aboutira de façon attendue, malgré son aspect délibérément absurde du début à la fin. La partie graphique surprendra, dans la mesure où l'action ne se déroule pas qu'en Île-de-France : plusieurs scènes ont lieu sur les champs de bataille en France, à New York - avec de jolies représentations du Flatiron Building - ou à Marseille. En revanche, Paris - en dépit de séquences au Jardin des plantes - joue un rôle moins central que dans les premiers volets, alors que cela participait réellement au charme de la série et contribuait vraiment à son identité. Le découpage de la narration est d'une lisibilité accomplie. La coloriste Delobel répond aux besoins de chaque atmosphère. 

Décevant, "Le Secret de la salamandre" est le numéro le moins intéressant des cinq premiers ; certains y verront une relecture du conte de "La Belle au bois dormant". L'auteur s'enlise dans les répétitions et les va-et-vient entre ses différentes œuvres. 

Mon verdict : ★★☆☆☆ 

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. Neuvième édition : impressionnant comme succès jamais démenti depuis 1981 !

    Le volume le plus médiocre de la série depuis ses débuts : ah oui, quand même. D'un coté, je comprends la frustration découlant de la quasi absence de l'héroïne titulaire : que 8 cases, ça ne fait pas lourd. D'un autre coté, je suppose que l'auteur se lassait du format romanesque avec un personnage central assurant la fonction de héros, et qu'il ait voulu tenter autre chose.

    Piocher des personnages dans une autre série : ça m'a l'air de ressembler à une forme de projet de constituer un univers étendu et cohérent, exercice cher au monde des comics. Du coup, j'en ai profité pour aller consulter la page wijkipedia sur cette BD et la liste des personnages est incroyablement longue.

    Tardi emploie surtout Brindavoine pour exprimer sa haine du patriotisme et de la guerre : la biographie de son père (les 3 tomes de Moi René Tardi) montre aussi comment cette haine s'est forgée chez Jacques Tardi et ce n'est pas qu'une simple lubie pour étoffer l'intrigue plus ou moins décousue de la série Adèle Blanc-Sec.

    Paris joue un rôle moins central : mince, même cette composante de l'horizon d'attente du lecteur n'est pas respectée.

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    1. On avait déjà discuté des origines de cette haine et de ce mépris. Tu m'avais effectivement expliqué qu'elles étaient contées dans la biographie consacrée à son père. Mais les répétitions sans finesse de l'auteur m'agacent.

      J'attends de lire le sixième tome ; pour le moment, les trois derniers m'ont déçu, et celui-là encore plus que les deux qui le précédent. Espérons que l'inspiration revienne au sixième tome ; j'en doute fortement.

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