samedi 30 janvier 2021

Durango (tome 6) : "Le Destin d'un desperado" (Soleil ; janvier 1986)

"Durango" est une série de western spaghetti lancée en 1981 par le Belge Yves Swolfs, célèbre également pour "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" sera d'abord publié par Les Archers puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin par Soleil (du groupe Delcourt) depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité la somme. Si Swolfs a réalisé les treize premiers numéros en solo, ou parfois avec un coloriste, il s'est fait remplacer au dessin à partir du quatorzième album, "Un pas vers l'enfer" (de 2006). 
"Le Destin d'un desperado" est le sixième numéro ; c'est un ouvrage cartonné grand format (30,0 × 23,0 cm) de quarante-six planches, qui est d'abord sorti aux Archers, en janvier 1986, sans prépublication. Swolfs en a écrit le scénario et produit les dessins et l'encrage, ainsi que la mise en couleur - à confirmer. 

À l'issue du tome précédent, Amos tue Larenza en duel, Ortega et Durango déciment les troupes du colonel de la Cruz et les sbires de Larenza gagnent les rangs de Logan et des federales
Mexique, un village indien aux confins du désert, la nuit. Deux hors-la-loi sont de garde ; l'un d'eux peste, car Ortega leur a ordonné de faire la ronde alors que les federales, en cet instant, perdent leur temps à parcourir le désert à la recherche de leurs compagnons. L'autre estime qu'Ortega a raison ; ce Logan est rusé et avec un ennemi comme celui-là il faut s'attendre à tout. Dans une maison un peu plus loin, Amos demande au chef apache Manuelito s'il pense pouvoir sauver Maximilien von Ruhenberg. Le Bavarois est alité, avec une forte fièvre. Manuelito est perplexe, mais Amos insiste : le malade a beaucoup à leur apprendre. Maximilien, qui a entendu leur discussion, exprime ses doutes au sujet de son utilité. Amos le console et lui assure qu'il faut des gens comme lui pour faire une révolution... 

Swolfs, dans ce triptyque mexicain, évoque les grandes causes qui peuvent non seulement rapprocher les hommes et nouer leurs destins, mais aussi les séparer, parfois brutalement, dans l'échec et la violence. L'auteur surprend les lecteurs en privilégiant le réalisme du début de ce dernier volume jusqu'à la conclusion. Car c'est ça, un destin de desperado. Après tout, "desperado", mot anglais, vient de l'espagnol "desesperado" qui signifie "désespéré". Le scénario se déroule en deux endroits distincts, le village indien et les abords de la ville de San Cristo, avec le trajet entre les deux. Swolfs met en scène une situation de siège sur le premier lieu, et une fusillade ou un duel sur le second. Tout cela pourra sembler bien linéaire, mais Swolfs s'arrange pour disséminer certains rebondissements aux bons moments, comme le colporteur, par exemple. Cette fois, la gestion des personnages est plus équilibrée que dans le tome précédent : les principaux protagonistes, Durango, Amos, Maximilien, Ortega, Logan bénéficient chacun de suffisamment d'espace. Cela dit, aucun d'entre eux ne suscitera la sympathie : ni Durango, qui décime froidement les rangs des federales à la mitrailleuse ; ni Amos, qui ne songe qu'à sa cause et à la façon dont ses alliés peuvent la servir ; ni Maximilien, cet aristocrate privilégié assoiffé de gloire, venu se construire une légende ; ni le fruste colosse Ortega. Comme chaque histoire de "Durango" qui se respecte, la poudre parle, les armes à feu aboient, les moments creux sont quasiment absents. En revanche, l'émotion reste largement en surface, même lors des deux séquences les plus tragiques de l'album, la mort de la jeune femme et le dénouement, et certains ont beau verser de chaudes larmes, il n'y a pas grand-chose qui se transmet aux lecteurs, hélas ! Quant au travail sur la partie graphique, il suscitera à nouveau l'admiration. Le réalisme des compositions est renforcé par le niveau élevé de détail et la minutie qu'apporte Swolfs à ses décors est épatante : les rues et les masures du village indien, les bâtiments abandonnés aux environs de San Cristo ou la rare végétation du désert. Le quadrillage de Swolfs alterne classicisme et dynamisme particulièrement au moyen d'incrustations très fréquentes lorsque l'action est fournie. Le sens du découpage de l'artiste s'avère crucial : voir la scène de la fusillade finale. Notons encore une volonté évidente de diversifier les plans et les perspectives : les résultats sont parfois étonnants. Enfin, Swolfs soigne la lumière, mais aussi les ombres et appuie les contrastes grâce à une mise en couleur efficace. 

"Le Destin d'un desperado" clôt le triptyque de façon inattendue et convaincante. Il représente le sommet du cycle, et il rassurera, après un second tome en deçà ; les lecteurs sont quasi soulagés de voir se tourner cette page violente, pleine de fureur. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Finalement ce troisième tome du triptyque t'a rassuré, par rapport à ton questionnement suite au précédent.

    Aucun d'entre eux ne suscitera la sympathie : est-ce l'apanage du western spaghetti ? Cela a l'air d'être une vision très moderne du combattant dans un conflit armé : non seulement il a ses propres motivations qui ne sont pas forcément admirables, mais en plus il tue des êtres humains, ce qui a forcément des conséquences.

    Le niveau élevé de détail et la minutie qu'apporte Swolfs à ses décors : à mes yeux, ça fait beaucoup pour la qualité de la reconstitution historique, sa véracité et la qualité de l'immersion ainsi rendue possible.

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    1. Je pense effectivement que le manque - voire l'absence - de personnages sympathiques est propre au genre. Cela dit, et c'est aussi représentatif du genre, la valeur d'une vie humaine est ici aussi subjective que son espérance peut être courte.

      J'apprécie énormément les efforts de reconstitution historique. En fait, c'est une facette entière en soi qui demande un véritable travail de recherche à l'artiste. J'y vois néanmoins un risque : que les artistes considèrent qu'il s'agit d'une fin en soi aux dépens du reste.

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