Numéroté "trois", "L'Élite de ce monde" est en fait le quatrième des cinq tomes (il y a un tome "zéro") de la série qu'Urban Comics consacre à Batwoman. Cet ouvrage format 17,5 × 26,5 cm à la couverture cartonnée comprend environ quatre-vingt-dix planches. Sorti en juillet 2014 dans la collection DC Renaissance de l'éditeur, il inclut les versions françaises des "Batwoman" 12-17 (octobre 2012 à avril 2013). Ils constituent l'arc "World's Finest" (titre VO).
Le scénario est écrit par J. H. Williams III et Haden Blackman. Williams illustre (dessin et encrage) tous les numéros, à l'exception du 15, auquel participe Trevor McCarthy, qui encre ses propres planches. Dave Stewart (neuf Eisner, dont un pour "Batwoman") en réalise la mise en couleur ; Guy Major intervient dans le 15 aussi.
À l'issue du tome précédent, Maro Ito se métamorphose, parvient à fuir, et rejoint Mitéra, la Mère de tous les monstres. Plus tard, Kate et Maggie se révèlent réciproquement leurs secrets intimes.
Wonder Woman combat les sbires de Medusa et ses monstres. Elle pense aux histoires racontées à son sujet : qu'elle a été conçue à partir d'argile, qu'elle est la sœur de Sappho ou encore qu'elle ne se bat que pour les États-Unis : ce sont des mythes. Elle est la fille unique de Zeus et Hippolyte ; elle se bat autant pour les dieux que les mortels, sans être ni l'un ni l'autre. Au même moment, mais ailleurs, Batwoman est elle aussi sur la piste de Medusa. Cela fait neuf mois que des enfants ont été enlevés. Elle continue à chasser des légendes urbaines. Maro a fait passer les enfants par un vortex mystique et personne ne sait où ils sont. Malgré toutes les ressources du DEUS, les traces se sont évaporées. Elle a alors songé à collaborer avec Kyle Abbot le loup-garou, ex-membre du Culte du Crime ; le curieux duo finit par localiser Bloody Mary, dans un parc d'attractions abandonné. Mais tandis qu'ils tentent de la débusquer, elle jaillit d'un miroir et blesse Abbot de ses griffes...
Voilà un album important, car il aboutit aux conclusions de la plupart des intrigues lancées dans les volets précédents. N'y allons pas par quatre chemins, "L'Élite de ce monde" est le sommet de la série jusque là. Au niveau du scénario, tous les éléments d'une trame parfois touffue finissent enfin par s'emboîter. L'exercice est délicat à cause du nombre de protagonistes, mais les auteurs relèvent le défi avec un certain brio. Williams et Blackman ont renoncé à la complexité et au maniérisme narratif. Bien que l'histoire soit plus linéaire que dans les tomes précédents, la lourdeur est évitée grâce à la mise en parallèle des fils conducteurs. Première surprise de taille, le tandem formé par Batwoman et Wonder Woman qui fonctionne à merveille, avec des caractérisations respectueuses, naturelles des deux héroïnes. Les femmes sont d'ailleurs au sommet : outre Batwoman et Wonder Woman, il y a là l'agent Cameron Chase, qui va dévoiler qu'elle n'est pas si insensible que cela, la lieutenante Maggie Sawyer, et la courageuse Bette Kane. Chacune se voit offrir l'opportunité de s'exprimer dans des soliloques intelligents, qui sonnent juste. Le directeur Bones, toujours aussi inénarrable, se paie quelques apparitions soignées, pour le plus grand plaisir du lecteur. L'utilisation d'un monstre pourra sembler infantile, mais sa signification a ici tout son sens. Jacob Kane, en revanche, disparaît presque du paysage, alors qu'il était souvent au premier plan dans les albums précédents. Enfin, même si cela est prévisible, puisqu'il s'agit d'une série apparentée à la franchise "Batman", d'aucuns regretteront que le cadre soit à nouveau l'inévitable Gotham City, qui n'en peut plus d'être martyrisée par tous les auteurs actuels. Absolument époustouflantes, les planches de Williams propulsent le scénario à un niveau supérieur. L'artiste mélange les genres, de la bande dessinée à des fresques épiques que l'on qualifiera de murales, car elles en copient le style, la perspective, et qu'elles occupent systématiquement des doubles pages. Il repense et réinvente la notion de quadrillage sans que le découpage en souffre, bien qu'il faille reconnaître que le nombre élevé de protagonistes rende parfois l'action touffue et que le sens de lecture ne soit pas toujours flagrant.
Thomas Davier signe la traduction. Un travail satisfaisant malgré sa propension à adapter les noms propres : le "Serpent's Wake" - le nom du bateau - devient le "Sillage du serpent". Trois fautes ont été relevées, hélas : deux de genre, et une de nombre.
"L'Élite de ce monde" présente des imperfections, mais les qualités de l'arc l'emportent largement : de l'émotion (Pégase), une sublime partie graphique, un tandem de super-héroïnes charismatiques, qui fonctionne avec justesse, naturel, et conviction.
Mon verdict : ★★★★☆
Voilà un album important : pour moi, il était même impensable de la manquer car il contient 6 épisodes dessinés et encrés par JH Williams III. C'est vraiment une série que j'ai continué à lire avant tout pour l'artiste.
RépondreSupprimerAu niveau du scénario, tous les éléments d'une trame parfois touffue finissent enfin par s'emboîter. - Je m'étais fait exactement la même remarque.
Les planches de Williams propulsent le scénario à un niveau supérieur : même jugement de valeur en ce qui me concerne.
La version courte de mon commentaire de l'époque - Dans ce tome, J.H. Williams III et W. Haden Blackman prouvent qu'ils savent où ils vont, qu'ils ont conçu une intrigue bien pensée, et qu'ils sont investis dans leurs personnages. La rencontre entre Batwoman et Wonder Woman ne tient pas ses promesses en termes de connivence ou de développement de leur amitié. Par contre, les personnages principaux (Kate Kane, Maggie Sawyer, Bette Kane) s'étoffent grâce à des scènes édifiantes sur leur personnalité. JHWIII est impérial de bout en bout, réalisant des illustrations d'une facture tellement exceptionnelle qu'elles en deviennent parfois trop sophistiquées par rapport aux propos du récit.
Deux remarques supplémentaires :
JHWIII dessine l'épisode zéro, dans un style qui évoque celui de Mazzuchelli pour Year one , la flamboyance n'étant pas de mise dans la mesure où le monde de Kate Kane n'a pas encore été transfiguré par l'identité secrète de Batwoman.
Il y a le passage dans une zone désertique où JHWIII semble rendre hommage à Jean Giraud sur la série Blueberry, en imitant son encrage. - Je ne sais pas si tu y as vu le même hommage ?
C'est marrant, parce que concernant Batwoman et Wonder Woman, nous n'avons pas du tout le même ressenti.
SupprimerL'épisode zéro ne figure pas dans ce tome ; l'éditeur français, Urban Comics, a fait le choix de le scinder sur deux numéros, les tomes 1 et 2. J'en avais moi aussi apprécié la partie graphique, sans forcément le rapprocher de Mazzucchelli, mais de toute cette école-là : Michael Lark, Stefano Gaudiano, etc.
Tu parles de la séquence avec Pégase. Effectivement, ça m'a - très inconsciemment - rappelé "Blueberry". J'ai mis ça sur le compte de l'art protéiforme de Williams, sans y un voir un hommage de façon précise. Intéressant. Je viens de regarder à nouveau ces planches ; l'encrage en question n'est appliqué que sur le personnage de Pégase, mais ça a bien l'air de refléter la façon de faire de Giraud, oui.