mardi 23 février 2021

"Nymphéas noirs" (Dupuis ; janvier 2019)

"Nymphéas noirs" est une adaptation en bande dessinée du roman éponyme de Michel Bussi (2011). L'album a été publié en janvier 2019 dans la collection "Aire libre" de Dupuis. Ce recueil au format 24,0 × 31,0 cm et à couverture cartonnée inclut un récit complet de cent trente planches en couleurs environ. 
Le scénariste Fred Duval, connu pour "Code Mc Callum", "Nico", "Renaissance", "XIII Mystery" ou encore "Wonderball" réalise l'adaptation, dont Didier Cassegrain crée la partie graphique (dessin, encrage et mise en couleur). Duval et Cassegrain sont collaborateurs de longue date ("Code Mc Callum", 2006-2009). 

Voici l'histoire de trois femmes. Elles vivaient dans le même village, à Giverny. La première est méchante. Elle habite dans un grand moulin au bord d'un ruisseau sur le chemin du Roy. Âgée de plus de quatre-vingts ans, elle est presque veuve : son mari est gravement malade. Elle s'habille toujours de noir. Elle possède un joli tableau. La seconde est une menteuse ; elle occupe un appartement mansardé au-dessus de l'école, rue Blanche-Hoschedé Monet. Elle a trente-six ans, et elle n'a pas - pas encore - trompé son époux. Elle se maquille pour son amant ; elle s'intéresse beaucoup aux artistes. Et la troisième est égoïste ; elle vit chez sa maman dans une petite maison dont la peinture aux murs se décolle, rue du Château-d'Eau. Elle a onze ans, et tous les garçons de l'école la veulent pour amoureuse. Elle coiffe ses cheveux pour qu'ils volent au vent. Elle a un certain talent pour la peinture. Malgré ces différences, toutes trois ont un rêve commun, partir et quitter Giverny, dont le nom seul donne envie à des voyageurs de traverser le monde entier rien que pour s'y promener quelques heures, à cause des peintures impressionnistes. Giverny, pour elles, est une prison ; un jardin, grand et beau, mais grillagé, comme le parc d'un asile, ou un tableau dont il est impossible d'ôter le cadre... 

"Nymphéas noirs" est un important succès de librairie. C'est le cinquième roman de Bussi. Il a reçu la bagatelle de huit prix, dont celui des lecteurs du festival Polar de Cognac de 2011, et s'est vendu à plus de 700 000 exemplaires. "Nymphéas noirs" avait la réputation d'être inadaptable en images du fait de la complexité de sa trame ; c'est le défi qu'ont voulu relever Duval et Cassegrain. Pour Duval, c'était également "une chance d'adapter un auteur vivant". Le résultat a été salué par l'écrivain. Dans une note introductive concise, il souligne "le scénario subtil" et "le dessin délicat" et affirme que cette bande dessinée est "un rêve qui devient réalité". Reconnaissons que Duval et Cassegrain réussissent à éviter les écueils de l'adaptation en manipulant astucieusement le lecteur ; une obligation, sous peine de révéler le pot aux roses trop rapidement. Cela fonctionne à la perfection. Ici, Giverny n'apparaît pas comme ce cadre idyllique, que les amateurs de peinture s'empressent de visiter. Le village est dépeint comme un écrin étouffant sur lequel le temps semble glisser, où tout le monde se connaît, mais où peu démontrent de véritable bienveillance à l'égard des voisins. Texte et dialogues sont émaillés de thèmes parmi lesquels les vilains secrets de chacun ; la cupidité engendrée par la rareté des peintures de maîtres ; la lutte des classes, présente jusque dans ce hameau d'à peine plus de cinq cents habitants ; et la fatalité et la lâcheté, qui font presque tout avaler. L'enquête, à travers deux policiers, oppose instinct et travail de recherche ; elle n'est, d'ailleurs, pas foncièrement captivante. C'est surtout le second chapitre qui passionne, car tout s'y met en place : les lecteurs subiront là une imparable cascade rebondissements. Certains estimeront que la "nature" du coupable est complètement invraisemblable.  
Cassegrain compose ici une partie graphique qui se distingue par son élégance (voir les propos de Bussi ci-dessus). Il évolue dans un registre qui pourra être qualifié de semi-réaliste, avec quelques attributs plus ou moins soulignés selon les personnages, notamment les nez. Mais le trait reste fin et ne sombre jamais dans la caricature. Par contre, en général, les (formes des) visages - des hommes comme des femmes - se ressemblent beaucoup et manquent un peu de relief ; leur niveau d'expressivité est quoi qu'il en soit très satisfaisant. Le découpage est limpide. La densité de cases par planche - de sept à neuf en moyenne - est "digeste" ; celles-ci s'agencent dans un quadrillage classique. Le travail sur la lumière pour les paysages est étonnant ; celle-ci n'était-elle pas au centre de l'œuvre de Claude Monet, justement ? 

Globalement, "Nymphéas noirs" est un album réussi, une adaptation qui bénéficie de la bénédiction de l'auteur du roman. Duval y surmonte les obstacles de l'œuvre de manière convaincante et Cassegrain produit en effet une partie graphique élégante. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz 
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4 commentaires:

  1. Voilà une BD que j'ai failli acheter à plusieurs reprises, très tenté par les dessins. Je suis donc bien aise de pouvoir la découvrir ici. Merci.

    Mince : me voilà bien avancé, je n'arrive pas à me décider après avoir lu ton article. Je re-regarde : 4 étoiles, une adaptation réussie, mais pas d'enthousiasme flagrant dans tes paragraphes, si ce n'est pour le travail sur la lumière. Ce ne sera pas suffisant pour que je passe à l'achat, mais pour refeuilleter en libraire peut-être. Finalement si, en écrivant ces mots, je me rends compte que je me suis décidé.

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    1. Tu n'arrives pas à te décider parce que je balance moi-même entre la qualité de l'intrigue, où je vois des invraisemblances majeures, et celle de l'adaptation, que je loue. Autant l'impact du mécanisme narratif est réel, et ici, ça fonctionne très bien, autant les révélations finales - le dénouement - pourront susciter un scepticisme marqué. Mais là, c'est Bussi qui est coupable.
      Quoi qu'il en soit, si tu la lis, je me jetterai sur ton commentaire !

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    2. Avec ton 1er paragraphe de réponse, je me suis dit que mon avis était fait : autant privilégier une autre lecture. Avec le 2ème §, je me demande si c'est un défi. :)

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    3. Un défi ? Tu peux le prendre comme tel ☺.
      Cela dit, je comprendrais que tu zappes cet album ; je suppose que, comme moi, tu as une pile cyclopéenne d'albums en attente de lecture. Mais comme tu écris que tu as faille l'acheter à plusieurs reprises...

      Pour la petite histoire : j'ai acheté cette BD à Giverny, justement, le même jour que mon album "Monet".

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