"Cauchemar pour Ric Hochet", onzième tome de "Ric Hochet", série lancée par le Belge André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010), alias Tibet, est paru au Lombard en septembre 1970, après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin", entre le 18 février (nº7) et le 1er juillet 1969 (nº26/69). Cet ouvrage au format 22,5 × 30,0 cm et à la couverture cartonnée contient quarante-quatre planches. Titre-fleuve culte, "Ric Hochet" compte soixante-dix-huit volets et s'étend sur près de cinquante ans ; le dernier est sorti en 2010.
Duchâteau écrit le scénario et Tibet produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). Tibet ne réalisait pas les décors et les confiait à des assistants ; ici, à Christian Denayer.
Paris, 7 janvier, quai des Orfèvres, par un après-midi ensoleillé. Ric Hochet pénètre dans le bureau du commissaire Bourdon. L'inspecteur Ledru est présent. Bourdon les a convoqués pour une réunion extraordinaire ; plein d'enthousiasme et de fierté, le policier leur présente un "nouveau collaborateur", Sésame Ier, un coffre-fort qui semble tout à fait banal, à première vue. Les inspecteurs Falon et Larson ont été convoqués, eux aussi ; tout le monde se salue dans une atmosphère joviale. Bourdon évoque les derniers développements : la collaboration bénévole de Ric Hochet - elle leur a valu d'être détachés à la Sécurité du territoire - ; la croissance de leur équipe ; et leur mission : intercepter et décrypter les messages chiffrés des services de renseignements étrangers. Pour mettre fin à des fuites récentes, leur département a été équipé du premier "cerveau-coffre" de la Police judiciaire. Il leur explique encore que Sésame Ier est un véritable robot. Un document ultraconfidentiel, le code d'un service de renseignement étranger, vient précisément d'être transmis à Bourdon. C'est l'occasion d'essayer le coffre-fort "le plus secret du monde" ; il en détient la seule et unique clé...
Avec "Cauchemar pour Ric Hochet", Duchâteau explore derechef le registre de l'espionnage, dans une intrigue qu'il place dans le petit monde de la police. Son scénario est relativement classique. Bourdon et Ric montent une opération visant à démasquer une taupe et pour laquelle Ric fera office d'appât. C'est le volume dans lequel le journaliste est le plus malmené par l'ennemi : poursuivi, enlevé, battu, torturé (enfermé dans un sauna), blessé (légèrement), chloroformé, et à nouveau enlevé. Ouf ! Duchâteau multiplie les séquences d'action dans lesquelles le héros, qui fait décidément preuve d'une énergie miraculeuse, réussit toujours à s'en tirer, à l'encontre de toute vraisemblance et au risque de lasser les lecteurs. Certains pourront d'ailleurs affirmer que Duchâteau cède aux sirènes du "mouvement perpétuel" ou de "l'action permanente". Il n'en reste que le scénariste façonne un thriller haletant à la cadence infernale comme jamais encore depuis le début de cette série. L'histoire compte de nombreuses scènes explosives et spectaculaires (surtout : la course-poursuite dans le cinéma ; la voie ferrée et le train ; la cabine téléphonique et la camionnette). Dommage quand même que l'auteur n'ait pas introduit d'autres suspects. À cette occasion, deux nouveaux personnages - des inspecteurs - font leur apparition : Larsan et Gonfalon, respectivement représentés sous les traits de Stan Laurel et Oliver Hardy. Duchâteau, pour renforcer ce léger côté comique, marque le texte de Gonfalon d'expressions typiquement marseillaises, mais le résultat est poussif. Duchâteau offre également un rôle au directeur de la Police judiciaire ; le nom de ce personnage, créé dans le premier tome, "Traquenard au Havre", et qui est utilisé sporadiquement au gré des histoires, n'a curieusement toujours pas été précisé à ce stade.
La partie graphique est globalement très réussie. Tibet produit un travail de qualité sur les physionomies des différents protagonistes avec une importante diversité de plans, et une jolie représentation de l'expressivité, surtout sur la tension et la nervosité, illustrées par des gouttes de sueur sur le visage plus ou moins abondantes. La densité moyenne de cases se situe aux alentours de dix ou onze. Le quadrillage est classique et le découpage relativement clair, mais des flèches doivent être utilisées pour indiquer le sens de lecture. Il faut enfin insister sur le boulot du décoriste, Denayer, qui est remarquable sur les arrière-plans et les perspectives : la séquence du cinéma, ainsi que celles de la voie ferrée et du train, de l'hôpital, et de la cabine téléphonique et la camionnette.
De tous les "Ric Hochet" tournant autour de la thématique de l'espionnage, "Cauchemar pour Ric Hochet" est sans aucun doute le plus abouti jusqu'ici ; il y a néanmoins des invraisemblances qui pèsent sur une aventure peut-être trop chargée en action.
Mon verdict : ★★★☆☆
Le héros, qui fait décidément preuve d'une énergie miraculeuse, réussit toujours à s'en tirer, à l'encontre de toute vraisemblance et au risque de lasser les lecteurs. - Je me souviens que c'était ce type de type de héros qui me plaisait quand j'étais enfant et adolescent. Je me suis rendu compte des années plus tard que ce principe de toujours réussir à s'en tirer m'a profondément marqué, m'incitant par mimétisme à essayer de trouver d'autres idées, d'autres façons de voir les choses dans des situations beaucoup moins périlleuse de la vie de tous les jours.
RépondreSupprimerLarsan et Gonfalon : les trublions comiques, un artifice narratif parfois bizarre dans certaines séries. Je me souviens que Jim Starlin en avait incorporé un dans sa série Dreadstar et que ça sonnait faux, à la fois la présence même d'un bouffon dans un drame d'envergure cosmique, à la fois l'humour qui tombe à plat. Je me souviens de mon étonnement quand j'ai pris conscience que Shakespeare y avait régulièrement recours dans ses tragédies.
Le boulot remarquable du décoriste Denayer : il faut vraiment que j'y jette un œil car tes articles suscitent une forte curiosité en moi.
Victor Hugo, dans "Le roi s'amuse", utilise lui aussi un bouffon : Triboulet. Une pièce dont l'intrigue sera d'ailleurs reprise et adaptée par Verdi pour son opéra "Rigoletto". Mais là, les bouffons ont des rôles tragiques. Chez Duchâteau, on est plutôt dans la raillerie des particularités provinciales.
SupprimerLe travail de décoriste - qui semble être particulier à cette série - ne cesse de m'intriguer, car je voudrais vraiment savoir ce que dessinait Tibet, et ce qu'il "laissait" aux décoristes. J'ai lu quelque part que Tibet ne dessinait que les personnages et rien d'autre. Pour moi, cela implique que c'était donc le décoriste qui travaillait en premier lieu sur un dessin ou sur une planche, et que Tibet intervenait ensuite pour placer les personnages. Hypothèse à casser.