vendredi 12 mars 2021

Monster (tome 3) : "511 Kinderheim" (Kana ; mars 2002)

Publié chez Kana en mars 2002 dans sa collection "Big Kana", "511 Kinderheim" est le troisième numéro de la version française du manga "seinen" "Monster". C'est un ouvrage format 12,8 × 18,0 cm à couverture flexible de quelque deux cents planches en noir et blanc, qui se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut prépublié en magazine, de 1994 à 2001, avant d'être édité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit volets entre 2001 et 2005, réédités, entre 2010 et 2012, en une intégrale en neuf recueils, de deux tomes chacun. 
"511 Kinderheim" est entièrement réalisé (le scénario, les illustrations, l'encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa ; Urasawa est également connu pour "Yawara !" ainsi que "20th Century Boys"

À l'issue du tome précédent, Hugo Bernhart - un ancien de la Légion aujourd'hui instructeur militaire - raconte au commissaire Runge comment il a formé Tenma à l'utilisation des armes à feu. 
République fédérale d'Allemagne, Land de Bavière, Velden ; dans un café local, Otto Heckel, une petite frappe, commande un cocktail Manhattan. Le barman le lui sert au comptoir. Otto demande après la cerise. Devant l'étonnement du serveur, Otto lui explique qu'un Manhattan sans sa cerise n'est pas un Manhattan. L'autre lui présente ses excuses puis ajoute le fruit confit à la boisson ; Otto lui conseille d'être plus attentif. Il vide son verre, porte sa cerise - au bout de sa pique - à la bouche et savoure le moment avec délectation. Il dépose un billet de dix deutschemarks sur le zinc. Quand il a une cerise confite en bouche, ses affaires tournent bien ; il ne s'agit pas de lui porter la poisse. Une fois sorti, il se dirige vers une villa particulièrement cossue, celle de Springer, le député-maire de la ville et étoile montante du parti, assassiné chez lui avec son épouse. Otto entre sur la propriété, en espérant qu'il y reste encore des objets de valeur... 

Ce troisième numéro est excellent, tout comme les deux premiers. L'album est sous-divisé en huit chapitres de vingt-six pages chacun. Ce scénario se focalise sur trois personnages, dont deux sont directement liés. Il y a d'abord cet Otto Heckel : une petite frappe hâbleuse et égoïste, qui brille davantage par son "esprit d'entreprise" - au service de ses activités criminelles, évidemment - que par son courage (que celui-ci soit physique ou moral) ou sa compassion. Urasawa utilise cette rencontre pour exposer les limites du système de valeurs personnelles du médecin. Il y a ensuite Hartmann et Dieter, en qui l'on pourra voir un reflet déformé d'Hugo Bernhart et de la jeune fille birmane. Avec l'orphelinat, l'auteur exhibe - dans ce qu'elles sont de pire - toutes les dérives d'un régime écrasant, inhumain, et voué à l'échec le plus total. À ces trois chapitres particulièrement éprouvants succède une partie - plus légère - qui se déroule dans une petite bourgade de campagne, dont le praticien ressemble fortement (mais peut-être n'est-ce qu'un hasard) au Jean Gabin de la fin des années soixante. À l'instar du volume précédent, Tenma doit partager la vedette de façon très naturelle, avec Runge ou les autres. Évidemment, son formidable talent est toujours réel, mais il est accessoire, ou disons plutôt qu'il est devenu un moyen ; voilà en effet deux numéros que les lecteurs se passionnent autant, voire davantage pour cette incroyable capacité qu'a Tenma à rapprocher les gens - faire jaillir l'amour et la bienveillance de situations inextricables - que pour ses prouesses chirurgicales, aussi spectaculaires et indispensables soient-elles (il s'agit d'opérations critiques). La cadence est à nouveau très maîtrisée. Urasawa accroche ses lecteurs dès son premier chapitre, avec une séquence-choc : celle de l'appartement. 
La partie graphique contribue au couronnement de l'ensemble. Le trait semi-réaliste d'Urasawa est régulier et soigné. La densité de vignettes par planche évolue entre six et neuf en moyenne. Elles sont souvent de dimensions variées. Le quadrillage est classique, ce qui n'empêche pas que les onomatopées débordent fréquemment de leur cadre ; cette astuce ajoute encore au dynamisme des compositions. Enfin, l'expressivité et le niveau de détail sont toujours très satisfaisants. 
La traduction a été confiée à Thibaud Desbief, qui traduit les dix-huit numéros ; à moins d'être japonisants accomplis, les lecteurs ne pourront comparer le résultat au matériau d'origine. Le texte de Desbief est soigné ; aucun reproche n'est à formuler. 

Bien qu'Urasawa abuse un peu de l'ellipse çà et là, voilà à nouveau un tome très riche à tous niveaux. Le fait que les lecteurs comprennent ou s'habituent aux procédés narratifs utilisés par l'auteur n'a pas de contrecoup sur le plaisir que suscite l'album. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Un tome qui décroche les 5 étoiles, comme les 2 précédents.

    En lisant ton résumé, je me suis rendu compte que j'avais arrêté la série à la fin du 2ème, ne me disant que je l'a reprendrai une fois que tous les tomes seraient parus. J'ai effectivement les 18 tomes qui m'attendent sur une étagère depuis maintenant de nombreuses années. Je finirai bien par m'y remettre un jour.

    La cadence est très maîtrisée : cette phrase exprime parfaitement mon ressenti sur les 2 premiers tomes, une science narrative extraordinaire, avec un rythme qui ne me permettait pas de lâcher le tome en cours de route.

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  2. Aucun faux-pas d'Urasawa pour le moment ; c'est épatant. Je n'ai pas éprouvé une seconde de lassitude à la lecture de ces trois tomes. J'admire sa capacité à créer des seconds rôles très convaincants.

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