mardi 31 août 2021

Ric Hochet (tome 15) : "Le Monstre de Noireville" (Le Lombard ; septembre 1972)

"Le Monstre de Noireville" est le quinzième "Ric Hochet", titre lancé par le Tournaisien André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010), dit Tibet. Il est paru au Lombard en septembre 1972 après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin" du 3 août (le nº31/71) au 9 novembre 1971 (le nº45/71). Cet ouvrage au format 22,5 × 30,0 cm et à la couverture cartonnée contient quarante-quatre planches. Série-fleuve culte comptant soixante-dix-huit volets, "Ric Hochet" s'étend sur près de cinquante ans. Le dernier est sorti en 2010. 
Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessins, encrage, mise en couleur) ; Tibet ne réalisait pas les décors et les confiait à des assistants ; ici, à Christian Denayer

Noireville, dans les Ardennes françaises, un jeudi 6 juin à 20h15. La pluie tombe et l'atmosphère est lugubre. Sur la place du village, l'abbé Remy quitte son église. Le café "Au beau soleil" est ouvert. Un peu plus loin, le commissaire Bourdon traverse la rue et se dirige vers le cabaret. Le tenancier et ses trois clients présents - le docteur Cadieu, le médecin ; Nico Bassan, le garagiste ; et Morel, le boucher - le regardent approcher. Cadieu souligne que Bourdon a l'air morose ; il commande un autre blanc. Il écarte l'appel à la modération du cafetier d'une boutade. Bassan estime que la Police judiciaire perd son temps ; en deux semaines, Bourdon n'est "toujours pas plus avancé". Le patron les informe qu'un autre Parisien est arrivé : un jeune, au volant d'une Porsche. Le type en question sort justement de l'hôtel ; Bourdon et lui se connaissent peut-être ? Mais nos deux individus se croisent sans échanger un mot, sans même se saluer. Morel s'étonne : ils ne se connaissent pas ! Railleur, Cadieu rétorque qu'à Paris ce n'est pas comme à Noireville, vexant le boucher. Bassan prend congé et demande que la dernière note soit ajoutée à son compte. Bourdon entre et salue l'assistance... 

"Le Monstre de Noireville" répond au cahier des charges de l'une des trois facettes de la série "Ric Hochet", initiée avec "Les Spectres de la nuit" : l'énigme fantastique. Duchâteau soigne le cadre, car tout y est : un petit village lugubre perdu dans la province française, ses ruines, et, ici, un loup-garou et des meurtres lors des nuits de pleine lune. Bien qu'elle reste relative, Duchâteau n'hésite pas à monter la violence d'un cran : en effet, c'est le premier "Ric Hochet" dans lequel il y a des assassinats. Le classicisme du roman à énigme prend vite le dessus, et le lecteur comprend rapidement - peut-être trop, d'ailleurs - que les ingrédients fantastiques ne sont que de la poudre aux yeux, et que la vérité a un visage bien plus commun. Duchâteau nous invite à démêler l'écheveau d'une sombre histoire de vengeance, dont la cohérence n'est pas exempte de faiblesses ou d'invraisemblances. Ses acteurs sont, pour la plupart, des hommes dans la force de l'âge, chacun avec une caractérisation qui lui est propre et qui se reflète dans le métier, le physique, les vêtements (par exemple le garagiste qui ne quitte jamais son bleu). L'auteur insuffle un minimum de substance à chaque personnage ; l'imagination du lecteur se charge du reste. L'auteur emploie ce ton mi-sérieux mi badin, une des caractéristiques des "Ric Hochet", bien qu'il ne rende pas toujours service aux histoires. Là il nuit à la création d'une ambiance aussi inquiétante que celle des "Spectres de la nuit", qui baignait dans une atmosphère homogène tout du long ; la fête annuelle costumée de Noireville, par exemple, est saugrenue. Elle détonne avec ces premiers meurtres dans "Ric Hochet", et certaines scènes d'action. Enfin, bien qu'il n'y ait pas beaucoup plus de protagonistes que dans les autres histoires, Duchâteau, avec cet album, écrit l'un de ses scénarios les plus complexes ; il ne parvient malheureusement pas à éviter un dénouement en cascade, qui souffre de quelques longueurs et d'un épilogue bâclé et trop condensé. 
Ce registre exige un cadre visuellement crédible, et Denayer s'y applique dès la première case, avec un bel angle sur la place sinistre que domine le clocher de l'église. La forêt et ses arbres tortueux, les ruines lugubres, la carrière au clair de lune renforcent l'importance des décors. La diversité des plans (plans cassés, en plongée, en contreplongée) et des perspectives est du meilleur effet. Les protagonistes sont facilement identifiables, chacun ayant une physionomie bien distincte ; Tibet a donné à Bassan les traits de Serge Reggiani. L'expressivité des personnages est soignée. Les onomatopées sont discrètes et efficaces. Le niveau de détail est très dense. 

"Le Monstre de Noireville" est un scénario relativement complexe, dans lequel les criminels tuent. Hélas, si le réalisme monte d'un niveau, il y a quelques séquences un peu folâtres qui contrastent et l'intrigue, de plus, pâtit d'un dénouement à rallonge. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz 

6 commentaires:

  1. Déjà le commentaire du tome 15 : respect. En vrac…


    J'aime bien comment ton commentaire fait apparaître les invariants de la série, ainsi que les paramètres associés, comme le décoriste et les rois facettes de la série.

    Cabaret : il a fallu que j'aille vérifier dans wiktionnaire, car je ne m'attendais pas à ce mot là.

    Le garagiste qui ne quitte jamais son bleu : une astuce effectivement plus destiné à un lectorat jeune qu'à un lectorat adulte qui, lui, dispose des réflexes nécessaires pour établir les liens de continuité pour un même personnage, sans avoir besoin qu'il soit défini par son costume.

    Ce ton mi-sérieux mi badin : c'est marrant parce qu'il m'arrive également d'être sensible à ce décalage entre le ton général et le genre du récit. Dans ces cas-là, je ne parviens plus à concilier les deux, comme si l'auteur tenait un discours au cœur duquel se trouve une incohérence irrésoluble.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cabaret : Bien que le Larousse m'ait précisé que le sens dans lequel je l'utilisais était "vieux" (le dico applique la même remarque à "cafetier" et à "tenancier"), je l'ai quand même choisi pour éviter de me répéter. J'aurais tout aussi bien pu utiliser "bistrot", en fin de compte.

      Le ton mi-sérieux mi-badin : Je suis content de voir que toi aussi, tu accordes de l'importance à la cohérence de ton. En écrivant mon article, je me suis un instant demandé si ce n'était pas moi qui étais trop rigide dans ma perception des choses.

      Supprimer
    2. Une fois de plus, j'ai parlé trop vite. Dans la BD que je lisais ce midi, le mot cabaret était utilisé exactement dans la même acceptation que toi. :) Je me coucherai moins bête.

      Supprimer
    3. Je ne sais pas si tu utilises un logiciel de correction ; moi oui, et je trouve cela bien pratique. Ça permet d'éviter les répétitions, mais également de vérifier le sens de quelques mots que l'on croit parfaitement connaître.

      Supprimer
    4. Je tape mes commentaires sur Word et je prends en compte la majeure partie des remarques du correcteur automatique (orthographe et grammaire). Il m'arrive de temps à autre de me dire que finalement je ne suis pas trop sûr du sens précis d'un mot, et dans ce cas-là, direction wiktionnaire.

      Supprimer
    5. Merci pour ce partage de mode opératoire.

      Supprimer