Publié en décembre 2016, dans la collection "DC Archives" d'Urban Comics, "Adieu, Kryptonite !" est un ouvrage au format 19,0 × 28,5 centimètres à couverture cartonnée (relié) ; il comprend un arc complet de cent soixante-dix planches approximativement. Au sommaire : les versions françaises d'histoires tirées des "Superman" #233-238 (de janvier à juin 1971) et #240-242 (de juillet à septembre) dans une suite de numéros encore inédits en France.
Dennis O'Neil (1939-2020) écrit la totalité des numéros ; O'Neil est bien plus célèbre pour son travail sur la franchise Batman que pour ses histoires de Superman. Reconnu par beaucoup comme le créateur du "Superman définitif", le légendaire et durable Curt Swan (1920-1996) en produit les dessins. Murphy Anderson (1926-2015), fidèle collaborateur de Swan, est l'encreur attitré de cet arc. Dick Giordano (1932-2010) en illustre néanmoins un numéro.
L'Ouest américain. Superman survole un centre d'expérimentations installé loin de tout dans le désert. Le professeur Bolden doit y réaliser une expérience. Les travaux du scientifique sont importants : son réacteur à kryptonite pourrait générer de l'énergie à bas coût. Malgré cela, Superman est conscient du risque qu'il encourt en se rendant sur place. Bolden démarre son expérience et le courant se met à parcourir les câbles, mais rien ne se déroule comme prévu, car les moteurs surchauffent ; il faut déclencher les alarmes. À l'extérieur du complexe, Superman comprend rapidement que Bolden ne contrôle plus rien : il n'a pas pu maîtriser la réaction en chaîne de la kryptonite. L'Homme d'acier avait prévu cette éventualité, il avait forgé un bouclier doublé de plomb pour couvrir le réacteur. Il apporte sa conception aussi vite que possible, mais arrive trop tard : le réacteur explose et souffle le bouclier et Superman, exposant ce dernier à une éruption de kryptonite. Superman tombe comme une pierre dans le sable et gît inanimé. Les savants du programme accourent lui porter secours...
Urban Comics n'avait encore rien publié du Superman de l'âge de bronze à l'exception des deux récits de son anthologie Superman. Pourquoi ? Sont-elles mauvaises, les histoires de l'Homme d'acier de cette période ? Non, "Adieu, Kryptonite !" vaut bien une lecture. La préface, pourtant, rappelle qu'O'Neil ne se sentira "jamais à l'aise" avec ce super-héros bien trop puissant à son goût. C'est justement les pouvoirs du Kryptonien qui sont au centre de l'album. Précisons d'abord qu'O'Neil écrit là un récit pour tous âges, qui ne nécessite aucune connaissance approfondie du mythe ; il suffit de savoir les effets de la Kryptonite sur l'organisme de Superman et de connaître - bien qu'ils ne jouent aucun rôle central - les noms de ceux qui l'entourent, Lois Lane, Jimmy Olsen, et Perry White. O'Neil emploie également Diana Prince et I-Ching, un personnage secondaire, qu'il a créé trois ans auparavant. En appliquant la nouvelle recette définie par le responsable éditorial Julius Schwarz (1915-2004), O'Neil se débarrasse de l'un des derniers éléments majeurs subsistants de l'âge d'argent et délivre ainsi Superman de la seule substance capable de le terrasser : la kryptonite. Il est devenu tout puissant : "Désormais, il est vraiment invulnérable !", titre le "Daily Planet". Vraiment ? Eh bien non, car l'imagination d'O'Neil est suffisamment fertile pour produire des menaces équivalentes pour affaiblir l'icône (l'inflation des pouvoirs, c'est terminé), sans la dénaturer. O'Neil écrit des histoires divertissantes avec un fil conducteur tout du long et des enjeux de taille pour son Superman fragilisé : des catastrophes naturelles, un patron tyrannique, des adversaires originaux, sans être forcément farfelus, des terroristes, ainsi qu'un bien étrange protagoniste. L'Homme d'acier conserve sa fraîcheur et sa candeur, et le lecteur sera peiné de le voir battu comme plâtre. C'est évident, si cette approche était susceptible de raviver l'intérêt du lectorat pour un héros invincible, elle ne pouvait pas durer dans le temps.
Les dessins de Swan sont exceptionnels. Quel témoignage remarquable du Superman de l'âge de bronze. Son Superman racé, à la fois élégant et costaud sans outrance, parfait dans ses proportions, est un modèle de pureté. Notons son expressivité et celle de son reflet sans oublier les autres protagonistes. Le découpage de l'action est limpide. Le quadrillage est moins classique qu'attendu ; par planche, Swan produit cinq à six cases - en général de formes régulières, parfois biscornues - qu'il agence à l'horizontale ou à la verticale. Les compositions dynamiques (Swan, à l'occasion, recourt à l'insert) et fluides figurent le mouvement avec un rendu suffisant. La densité de détails est très satisfaisante. L'encrage d'Anderson est discret et efficace : quelques hachures et touches de noir, çà et là. Enfin, la couleur n'a pas trop vieilli.
La traduction a été confiée au Marmandais Laurent Queyssi du studio bordelais MAKMA, traducteur attitré de la franchise Superman chez Urban Comics. Son travail est absolument irréprochable, ni faute ni coquille, pas d'anglicisme, le texte est soigné.
Cette approche novatrice et inventive de Superman fut portée par la vision de l'éditeur et par un tandem artistique (Swan et Anderson) stable et expérimenté ; elle ne fit malheureusement pas long feu, mais voilà un bon album, divertissant et original.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Une découverte totale pour moi : en y pensant, il me semble que je n'ai jamais rien lu de Superman de cette époque.
RépondreSupprimerCette approche novatrice et inventive ne fit pas long feu : cela veut-il dire qu'après le départ de O'Neill c'est un scénariste de la vielle école qui revient ?
Tes remarques sur le tandem Swan & Anderson me donnent envie de ressortir Les derniers jours de Superman.
Pour moi, la découverte aura été de réaliser que les "Superman" des âges d'or, d'argent, et de bronze sont souvent écartés par les éditeurs français. Il n'y a eu qu'une antho SEMIC (âge d'or) et deux volumes Panini (âge d'argent). Je ne peux pas croire que toute la période 1939-1985 ne propose rien d'intéressant.
SupprimerAprès c'est Cary Bates, plus jeune qu'O'Neil d'une dizaine d'années, puis Elliot Maggin. Mais dans la postface, O'Neil explique avec une certaine amertume que Superman n'avait pas tardé à retrouver tous ses pouvoirs ; une inflation qui, a long terme, lui aura été dommageable.