mercredi 22 septembre 2021

Tif et Tondu (tome 12) : "Le Réveil de Toar" (Dupuis ; janvier 1968)

"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956) en 1938. L'historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes changeant avec le temps. Si au début Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Willy Maltaite dit Will (1927-2000), qui se charge des illustrations dès 1949. Puis Dineur quitte le titre en 1951. Il est remplacé par Henri Gillain, alias Luc Bermar (1913-1999), et par Albert Desprechins (1927-1992) avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'à "Tif rebondit" en 1969
"Le Réveil de Toar" est d'abord prépublié dans le magazine "Spirou", du nº1474 du 14 juillet 1966 au 1495 du 8 décembre 1966 puis Dupuis le réédite en janvier 1968, sous la forme d'un recueil de quarante-quatre planches ; c'est le douzième numéro de la seconde série classique (depuis la réédition de la série, en 1985). Rosy écrit le scénario et Will produit la partie graphique, le dessin, l'encrage, ainsi que - sauf erreur - la mise en couleur. 

Tif et Tondu concluent une affaire chez un antiquaire : un tableau anonyme du XVIIIe siècle. Tondu paie la somme convenue ; le vendeur affirme qu'à ce prix, "c'est donné". Bavard, il explique que certaines pièces de ses collections ont des origines très mystérieuses : cela suscite "bien des convoitises". Tif pense que le marchant exagère, et qu'ils perdent leur temps à l'écouter. Prétextant un rendez-vous, il prend Tondu par le bras. Mais son ami est "accroché". Le commerçant leur raconte alors un "très curieux incident", qui a eu lieu dans la boutique la semaine dernière. Tondu écoute ; il continue. Un soir, alors qu'il examinait quelques belles pièces qui venaient de rentrer, son attention est attirée par une énorme clé ancienne, sur laquelle est gravée la mention "Menhir⁎1450". Tif insiste, ils sont pressés. Mais le marchand l'interrompt pour leur narrer la suite : son inventaire clos, il se couche et s'endort, avant d'être réveillé par un bruit... 

Après la comédie d'espionnage avec "La Poupée ridicule", Rosy explore le registre des contes et légendes. Complexe à étiqueter, "Le Réveil de Toar" mélange beaucoup les genres. Tif et Tondu retrouvent un rôle actif. L'aventure est introduite par une coïncidence fortuite, mais il y a eu pire. Pour appâter son lecteur dès le début, Rosy présente une succession de crimes sans ampleur apparente, qui mènent à une mystérieuse énigme archéologique. Or, quel meilleur endroit que la Bretagne pour cela ? Pourtant, Rosy ne réussit pas à tirer entièrement parti du cadre : à part un ou deux jurons ("ma Doué") et quelques maisons à colombages"Le Réveil de Toar" aurait pu se passer n'importe où en France (ou en Europe). Pour dérouler sa trame, l'auteur plonge rapidement Tif et Tondu dans une enquête : ils font des recherches, prennent des contacts, recueillent des informations, relèvent des indices, examinent des scènes d'intérêt, et découvrent des preuves. Rosy utilise ici les mêmes mécanismes que dans certains des tomes précédents : les deux personnages sont séparés, puis l'un d'eux est capturé par l'ennemi, ce qui permet au scénariste de diviser sa narration en deux lignes - parfois trois - afin d'éviter une linéarité trop évidente qui deviendrait vite lassante. Il reste l'intrigue en elle-même. Elle pourra soulever la circonspection des habitués de ce titre, car elle détonne par rapport aux autres numéros. Rosy semble vouloir piocher de l'inspiration dans plusieurs registres : un brin de fantastique, une pincée de science-fiction, un zeste de chasse au trésor, le tout arrosé d'une bonne rasade d'action dans le dernier tiers de l'album. Mais ajoutons encore qu'avec ce robot âgé de plusieurs siècles, Rosy ne s'embarrasse pas du respect de la vraisemblance et n'hésite pas à faire fi d'explications susceptibles d'apporter de la substance - et donc de la crédibilité - à cette aventure, un défaut dont auront pâti d'autres volumes tels que "Passez muscade", par exemple ; car au fond, rien de plus n'est dit sur ce fameux sire de Menhir. Malgré les efforts de Rosy de sortir - un peu - des sentiers battus, "Le Réveil de Toar" échoue à pleinement convaincre et captiver. 
Les aficionados retrouveront le trait de Will tel qu'à la dernière planche de "La Poupée ridicule". C'est compréhensible vu la productivité du tandem cette année-là. La densité de vignettes par planche est en légère diminution ; elle est comprise entre neuf et dix. C'est normal, il faut bien réussir à le faire rentrer, cet automate géant. Notons également quelques évolutions très timides dans le quadrillage, avec des compositions aux dimensions plus importantes. Mais cela reste très limité, et Will doit souvent s'aider de flèches directionnelles pour indiquer le sens de lecture. Malgré cela, son découpage est toujours aussi limpide, et les enchaînements ne soulèvent ni doute ni incompréhension chez le lecteur : du grand art. De nombreuses scènes, malheureusement, donnent à nouveau cette sensation d'étroitesse et de compression. La densité de détails est satisfaisante, mais sans plus ; il y a beaucoup de lieux où elle est superflue. Enfin, la mise en couleur est suffisamment contrastée. 

"Le Réveil de Toar" est un album plutôt singulier. Bien que Rosy cherche à diversifier ses influences et à proposer quelque chose de différent et de nouveau, le résultat n'est guère convaincant et ne passionnera certainement pas, malgré quelques idées. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz 

2 commentaires:

  1. La série passe de 2 étoiles pour le tome précédent à 3 étoiles : léger mieux. Tif et Tondu retrouvent un rôle très actif : je constate que c'est une composante de la série, importante pour toi.

    Le Réveil de Toar aurait pu se passer n'importe où en France : ça m'arrive aussi de relever cette forme d'artificialité, quand finalement le lieu explicitement mentionné n'a aucune incidence sur le récit. C'est comme si l'auteur attire lui-même l'attention sur ce décor sans conséquence.

    Inspiration dans plusieurs registres : un brin de fantastique, une pincée de science-fiction, un zeste de chasse au trésor - Voilà qui permet d'amener de la diversité dans le récit à moindre frais, en risquant la collision de deux conventions de genre différent qui se neutralisent, plutôt que faire ressortir le goût de l'autre.

    La densité de décors est superflue dans beaucoup de lieux : une phrase qui m'a pris par surprise. Je ne parviens à me faire une idée si ça divertir l'attention du lecteur par des éléments inutiles ou si ça rend les cases moins lisibles. Je note également la présence persistante des béquilles que sont les flèches directionnelles.

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    1. Concernant la densité de détails, j'aurais dû expliquer que l'aspect dépouillé de certains décors (une cave aux murs dénudés, par exemple) ne nécessitait pas d'efforts particuliers de la part de Will. Et à vrai dire, voilà au moins deux albums que la série est un peu frustrante sur la quantité de détails. Avant cette fameuse pause de sept ans, je trouvais que Will faisait plus d'efforts sur ce point-là. Mais il est vrai que Rosy varie les cadres.

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