mercredi 29 septembre 2021

Monster (tome 5) : "Après la fête" (Kana ; septembre 2002)

Sorti en septembre 2002 chez Kana dans la collection "Big Kana", "Après la fête" est le cinquième tome de la version française du manga seinen "Monster". C'est un album format 12,8 × 18,0 cm à couverture flexible de quelque deux cent quinze planches en noir et blanc, qui se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine, de 1994 à 2001, avant d'être édité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit volets entre 2001 et 2005, réédités, entre 2010 et 2012, en une intégrale en neuf recueils, de deux tomes chacun. 
"Après la fête" a été entièrement réalisé (le scénario, les illustrations, l'encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa ; Urasawa est également connu pour "Yawara !" ainsi que "20th Century Boys"

À l'issue du tome précédent, Nina, bien décidée à tuer Johann, se fait embaucher comme serveuse sous le nom d'Anna Liebert dans un restau italien. Rosso, le patron, fut jadis tueur à gages. 
Le docteur Rudy Gillen est en entretien avec un tueur en série, Peter Jürgens. Étrangement, alors que son dictaphone tourne, c'est Gillen qui s'épanche. Il raconte à son interlocuteur qu'il a divorcé il y a trois ans, puis il précise c'est plutôt sa femme qui est partie. D'après elle, il prêtait moins d'attention à ce qu'elle avait à lui dire qu'à ce qui sortait de ce "petit appareil". Gillen affirme avoir un stock de vingt mille cassettes. Son ex-épouse lui avait dit qu'il n'était qu'un "collectionneur qui fouine dans le cœur des autres". En face, l'imposant tueur (il rappelle Edmund Kemper), les bras croisés, et les yeux à peine visibles derrière des lunettes aux verres épais qui réfléchissent la lumière, lui assène qu'il est malade. Gillen admet que c'est possible : à force de plonger "dans les méandres des pensées des autres", il se pourrait bien qu'il finisse par "s'y perdre". Jürgens, impassible, ne réagit pas. Gillen explique qu'il est ici pour compléter sa thèse... 

Urasawa déploie son intrigue tentaculaire (de par ses ramifications et le nombre de figurants) ; il sera nécessaire de se remémorer les événements de "Surprise Party". "Après la fête" compte neuf chapitres et s'ouvre sur une première partie prenante avec le docteur Gillen. Ce psychanalyste aussi placide que passionné offre à Tenma - ainsi qu'au lecteur - de nouvelles pistes de réflexion sur la personnalité et les mobiles de Johann. Par le biais de la relation Tenma-Gillen, l'auteur évoque les occasions ratées, les non-dits et les croyances qui en résultent et qui peuvent polluer une vie. Ensuite, l'auteur continue à développer sa galerie de personnages secondaires : ici avec ce touchant couple d'Anglais venus rendre visite à leur fils. Les trois chapitres suivants se déroulent à Nice. Ils mettent en scène Michael Müller, cet ex-inspecteur ripou. Sauf erreur, c'est la première fois où "Monster" quitte l'Allemagne. Peu importent la mer, le soleil, la villa de la Côte d'Azur, ou la piscine, Urasawa importe cette atmosphère de mal aux aguets tapi dans l'ombre qui colle au titre depuis son tout premier numéro. Dans cet acte-là, Tenma laisse la place à Nina. Urasawa scinde ainsi son intrigue en deux fils narratifs majeurs : Tenma poursuit son objectif et Nina le sien. La sœur de Johann, tel un reflet, se taille un rôle presque à l'égal du médecin. Enfin, le lecteur sera ravi de voir le commissaire Heinrich Runge sortir de son "placard" dans un dernier acte construit sur une parabole du revenant impitoyable en une confrontation pure entre deux - ou plutôt trois - protagonistes. Urasawa montre tout du long sa maîtrise d'une narration puissante et généreuse en en émotions, tour à tour implacable dans sa diffusion de la tension, et riche en sentiments plus apaisés, et plus intimes ; comme si la noirceur profonde de cette affaire ne devait pas faire oublier les instants de grâce les plus touchants, que le vecteur soit Tenma ou Nina. Comme si l'espoir, si naïf et insensé soit-il, devait subsister en dépit de tout. 
Le lecteur sera à nouveau subjugué par le sens du détail de l'artiste : le couloir de la prison, les façades des bâtiments, les intérieurs (des meubles, une cheminée, une bibliothèque pleine de volumes, un tapis), tout cela est d'un incroyable réalisme méticuleux. Le découpage est sans défaut, à condition que le lecteur occidental reste conditionné au sens de lecture. Le quadrillage consiste en trois bandes de vignettes de hauteurs variées (avec souvent un petit décalage). En revanche, Urasawa pèche par le manque de diversité de ses physionomies. Ici Dieter et Fritz sont parfaitement interchangeables, par exemple. La même remarque s'applique aux époux Fortner, dont les touristes britanniques sont de véritables clones, l'homme comme la femme, ce qui pourra semer une confusion de courte durée dans l'esprit du lecteur. 
La traduction a été confiée à Thibaud Desbief ; il traduit les dix-huit numéros ; à moins d'être japonisants confirmés, les lecteurs ne pourront comparer le résultat à la version originale. Un détail, le "Roberto" de la version originale est devenu "Robert"

"Après la fête" rassure le lecteur sur la qualité de la série. Bien que les défauts de la partie graphique commencent, après cinq numéros, à se révéler progressivement, les talents de metteur en scène et de conteur de Naoki Urusawa restent admirables. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Merci pour le lien sur Edmund Kemper, même s'il n'est pas sûr que je dormirai mieux cette nuit. :)

    Les non-dits et les croyances qui en résultent et qui peuvent polluer une vie : un thème également cher à Neil Gaiman qui se focalise plus sur l'interprétation erronée des faits par les enfants qui ne disposent pas de l'expérience suffisante pour comprendre.

    Comme si l'espoir, si naïf et insensé soit-il, devait subsister en dépit de tout. - En prenant de l'âge, je continue à me dire que l'espoir est un moteur incroyable, qu'effectivement l'espoir fait vivre, non pas dans le sens de s'illusionner sur quelque chose qui n'arrivera jamais, mais d'une motivation qui donne l'envie et la force de se sortir des situations en cul-de-sac.

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    1. Edmund Kemper apparaît aussi dans une série télé de qualité, "Mindhunters", créée par David Fincher.

      L'espoir d'un meilleur lendemain ou d'une vie meilleure est un thème important dans "Monster". C'est Tenma qui en est le vecteur.

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