Publié en octobre 2014, le troisième volet de l'intégrale que Panini Comics France consacre au personnage de Thor renferme les versions françaises des "Journey into Mystery" #112-123 (de janvier à décembre 1965) ainsi que le "Journey into Mystery Annual" #1, sorti en octobre de la même année. Cet ouvrage - de dimensions 17,7 × 26,8 centimètres, avec une couverture cartonnée et sa jaquette amovible - comprend approximativement deux cent soixante-dix planches en couleurs. Les couvertures d'origine ont été reléguées en fin d'ouvrage - et traduites - en guise de bonus.
Stan Lee (1922-2018) écrit les scénarios de tous les numéros, y compris celui du récit extrait de l'annuel. Jack Kirby (1917-1994) réalise l'intégralité des dessins. L'encrage du travail du "King" est d'abord confié à Chic Stone (1923-2000) pour les trois premiers numéros, puis à Frank Giacoia (1924-1988) pour le quatrième ; enfin à Vince Colletta (1923-1991) pour le reste, annuel compris. Aucun coloriste n'est crédité, une pratique habituelle à l'époque.
À l'issue du tome précédent, Cobra et Hyde enlèvent Jane Foster. Thor la libère, mais elle est blessée dans une explosion, hélas. Grâce au remède d'Odin que Balder leur envoie, elle est soignée.
New York City, en journée. Deux groupuscules de jeunes manifestants emportés se font face. Les membres de l'un affirment que Thor est "le plus fort de tous", "le meilleur", et qu'il ferait "un hachis de ce crétin de Hulk" ; les autres prétendent que personne n'a encore battu Hulk et que c'est lui "le plus costaud". Coïncidence, Thor en personne survole la scène et comprend rapidement que ces gens se disputent pour imposer leur opinion au sujet du plus fort : Thor ou Hulk. Le dieu du Tonnerre décide d'intervenir dans ce débat houleux. Il n'a pas même posé pied à terre que certains le taxent déjà de partialité ; il rétorque que le fils d'Odin "dit toujours la vérité", et son ton fait impression sur l'audience...
Ces numéros de Journey into Mystery" sont construits comme les précédents : une histoire principale d'une quinzaine de planches suivie d'un récit centré sur Asgard de quatre à cinq planches. Certains ont écrit que les seconds étaient plus inspirés que les premiers, c'est souvent le cas. En 1965, la Gargouille grise revient, mais Thor se découvre surtout un ennemi particulièrement pugnace : l'ex-taulard Carl "Crusher" Creel, alias l'Homme-Absorbant. Fruste, sans éducation (une fois n'est pas coutume, le style choisi par la traductrice sonne juste), doté d'un physique disgracieux (mal rasé, les oreilles décollées, la dentition irrégulière, et entièrement chauve), vêtu de godillots et d'un pantalon de bagnard, et traînant son boulet de forçat tel un membre à part entière, Creel est un reflet déformé de Thor, obsédé par la puissance et la revanche, que Loki manipule à sa guise jusqu'à un certain point. Loki, lui, est inévitable, le dieu de la Discorde et de la Malice est partout, dans tous les coups fourrés, toutes les tromperies, et tous les complots visant à se débarrasser de son frère ou à détrôner Odin. Lee insiste sur la rivalité entre les deux hommes, sous l'œil attentif d'Odin, mais les affrontements physiques restent rares ; Loki les délègue à ses agents - dont Creel - et préfère tirer les ficelles depuis ses appartements en Asgard. Lee emploie également le dieu du Tonnerre - ce n'est pas la première fois - à des fins de propagande : Thor passe par le Viêtnam, où les troupes communistes apprennent à leurs dépens à tâter du marteau sans faucille. Notons encore que Jane Foster est à peine présente dans ces épisodes. Visiblement, Lee, après près de quatre ans sur le titre, peine à trouver un fil conducteur convaincant. Avec leurs personnages secondaires hauts en couleur, les récits de compléments sont bien plus épiques.
Autant le préciser en toute franchise : la partie graphique pourra en frustrer - voire en dépiter - plus d'un. Certes, c'est le "King". Mais Kirby, sans doute par manque de temps, a souvent eu besoin d'en encreur supérieur (Joe Sinnott ; Mike Royer) pour l'aider à révéler tout son talent. Ici, celui qui encre la majorité de ses planches n'est autre que Colletta, l'homme qui suscita la méfiance de Kirby lui-même, et dont le nom suffisait à déclencher l'ire des partisans de Kirby. Et là, il applique sa méthode : pas d'aplats de noir abondants, mais une myriade de petites hachures simples, fines, serrées, parfois modulées, qui produisent une sensation de relief un peu rugueux, presque trop réaliste, et qui ne se marie pas bien avec les compositions et les silhouettes hors norme du "King". Point final : la restauration des couleurs entreprise par le studio Kellustration n'a pas l'effet escompté, l'aspect "pop" du trait du maestro s'accommodant assez mal d'une colorisation numérique aux tons modernes.
Geneviève Coulomb signe la traduction. Son travail est satisfaisant. Elle use, pour les Asgardiens, d'un registre châtié qui exprime bien la désuétude et la solennité des dialogues. Pour Creel, elle accroît l'absence de négation. Deux bulles sont inversées.
Il y a de bons moments, dans ces épisodes. Mais entre l'incontournable Loki et Carl Creel, l'ex-taulard, Lee est moins inspiré pour créer des super-vilains pour Thor que pour les autres franchises. Colletta, lui, restera sur le titre jusqu'au départ de Kirby.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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3 étoiles quand même, comme le tome précédent. Visiblement Tales of Asgard continue d'exhaler un parfum Kirby plus fort que les histoires principales.
RépondreSupprimerLee, après près de quatre ans sur le titre, peine à trouver un fil conducteur convaincant : pas impossible vu le nombre de comics qu'il écrivait chaque mois.
Coletta applique sa méthode : pas d'aplats de noir abondants, mais une myriade de petites hachures simples, fines, serrées, parfois modulées. Je crois que c'est cette méthode qui lui permettait d'aller vraiment vite, en n'utilisant qu'un seul outil pour encrer. J'avais bien aimé la vidéo de Comictropes sur le sujet (je ne sais plus si je te l'avais déjà indiqué) :
https://www.youtube.com/watch?v=RZs836b449M
Merci pour le lien de cette vidéo, que j'ai trouvé excellente (et non, tu ne m'en avais encore jamais parlé) : elle est amusante, très instructive, et captivante.
SupprimerJe crois que je vais m'abonner à la chaîne. Je vois déjà qu'il y a une émission à propos de Jim Shooter, c'est parfait. Merci encore pour cette référence.