vendredi 19 août 2022

Velvet (tome 3) : "L'Homme qui vola le monde..." (Delcourt ; juin 2017)

"Velvet" est une minisérie d'espionnage. En version originale, elle a été publiée chez Image Comics en quinze numéros d'octobre 2013 à juillet 2016. La version française consiste en trois volumes, reprenant chacun cinq numéros ; ils sont sortis chez Delcourt entre 2014 et 2017. "L'Homme qui vola le monde..." ("The Man Who Stole the World"), le troisième et dernier (de 2017), compte les "Velvet" #11-15 (août 2015 à juillet 2016). Ce tome format 19,0 × 28,5 cm contient cent huit planches. Delcourt a publié une intégrale qui regroupe ces trois volumes, sortie en octobre 2021. 
"Velvet" a été créé par Ed Brubaker et Steve Epting. Brubaker écrit tous les numéros ; Epting a dessiné les quinze épisodes, mais il a encré ses propres planches, aussi. Ces deux hommes avaient déjà travaillé ensemble : sur la franchise "Captain America". La mise en couleurs a été produite par Elizabeth Breitweiser, enfin. 

Précédemment, dans "Velvet" : Roberts retrouve le directeur Manning. Il veut lui faire part de ses soupçons, mais est abattu par Damian Lake avant de parler. Lake tire aussi sur Manning et part. 
Max - un agent secret américain - ramène une splendide blonde dans sa chambre d'hôtel. À peine sa conquête a-t-elle franchi la porte qu'une fléchette enduite de tranquillisant se plante dans son cou. Max dégaine son pistolet automatique, mais un coup de pied précis et puissant le désarme avant qu'un méchant direct lui percute la mâchoire ; il tombe au sol. Devant lui, le dominant de toute sa silhouette svelte, Velvet Templeton le toise. Lorsqu'il lui demande si elle ne délire pas "un peu", la fugitive s'excuse, mais elle avait besoin de lui parler en privé. De plus, il ne devrait pas coucher avec des espionnes est-allemandes : "ce n'est pas sain". Plus tard, ils se promènent en ville ; personne ne les suit. Max lui demande ce qu'elle veut ; "un ami", répond Velvet. Max expose qu'ils ont reçu l'instruction de la prendre "morte ou vive"... 

Depuis les pistes lancées par Brubaker dans le premier recueil, le lecteur attend de voir comment les pièces vont s'emboîter. Rythme et atmosphère sont similaires aux volets précédents : une intrigue d'espionnage avec un parfum de polar très prononcé et un soupçon de glamour véhiculé par la protagoniste. Le lecteur ne retrouve pas automatiquement ses repères, car l'auteur invite un nouveau personnage secondaire, qui se voit ici attribuer une place centrale : l'Américain Max, qui fait semblant de voler la vedette à Velvet et prend un peu l'espace que Damian Lake occupait dans le second numéro - Lake qui, dans ce dernier tome, n'est plus qu'un rouage parmi les autres, un subalterne. Brubaker sait écrire des histoires et les raconter, c'est une certitude. Autre acquis : l'art d'insuffler rythme et ambiance à ses intrigues. Cela dit, il a également la capacité d'enfumer le lecteur avec talent ; ici, cela se traduit par des invraisemblances et des questions qui restent en suspens. Parmi les premières, l'hologramme (d'une telle qualité technique en 1973, vraiment ?), la nature de celui qui avoue tout à Velvet à la suite de la faiblesse morale de son second (impossible de pousser plus loin que ça : il faut l'admettre), ou la course-poursuite irréaliste sur la voie rapide (même Batman aurait des difficultés à accomplir la prouesse). Tout cela donne cependant l'impression d'être totalement assumé par le scénariste. Du côté des questions en suspens, citons surtout l'absence de conclusion dans l'enquête concernant la société Titanic Holding. Ces lacunes n'auront pas entièrement raison de l'enthousiasme du lecteur, sous le charme de Velvet Templeton depuis le premier album, mais parviendront pourtant à l'éroder même si Brubaker, tout en se lâchant dans ce volet, livre une fin et un épilogue réussis (un poil prévisible) qui combinent à la fois l'idée de page tournée et celle de statu quo entre les parties impliquées. Certes, n'oublions pas qu'il s'agit d'un exercice de style qui a beaucoup emprunté à la franchise "James Bond", pas réputée pour la vraisemblance de ces scénarios, mais tout de même : certaines séquences exagérées passeront difficilement. 
La partie graphique est à nouveau d'une qualité supérieure. Les deux premières planches, avec quatre bandes d'une case chacune, sont purement cinématographiques. Deux planches plus loin, Epting se fend d'un hommage (discret) au personnage de Honeychile Ryder - interprété par Ursula Andress - dans "Dr. No" (1962). Epting est un artiste dont la régularité du trait est surprenante, bien que le visage de Velvet soit terriblement loupé dans une case. Le découpage est sans défaut et la mise en page des planches privilégie la lisibilité, sans doute un peu aux dépens de l'originalité, en dépit de quelques inserts bien placés. Le lecteur apprécie la variété des angles de prises de vues. En revanche, la diversité des physionomies n'est pas le point fort de l'artiste. La mise en couleurs très aboutie met la lumière en évidence.
La traduction est à nouveau effectuée par Jacques Collin. Dans l'absolu - et l'impossibilité matérielle de comparer à la VO -, elle est irréprochable, ni faute ni coquille.

Malgré - ou à cause de - tout le spectacle déployé, et en dépit d'une fin très satisfaisante, "L'Homme qui vola le monde..." pèche par quelques excès du scénario ; mais dans l'ensemble le plaisir est au rendez-vous. Templeton mériterait d'autres albums. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Comics, Espionnage, Polar, Velvet, Ed Brubaker, Steve Epting, Elizabeth Breitweiser, Image Comics, Delcourt

3 commentaires:

  1. Le lecteur attend de voir comment les pièces vont s'emboîter : c'était également mon attente, ce qui me fait placer Brubaker assez haut dans mon panthéon d'auteurs, parce que j'ai des décennies de lecture derrière moi, et il ne m'est pas toujours facile de m'impliquer dans une intrigue.

    L'hologramme, la course-poursuite irréaliste sur la voie rapide : j'ai bien volontiers consenti un petit surplus de suspension d'incrédulité au titre de la licence artistique, ou d'une touche d'anticipation souvent présente dans les films de James Bond.

    L'absence de conclusion dans l'enquête concernant la société Titanic Holding : ça ne m'a pas choqué, mais ça doit être parce que je suis trop habitué aux comics mensuels ne connaissant jamais de fin. J'avais en tête l'exemple de Sleeper de Brubaker & Phillips, où le scénariste conçoit chaque histoire comme une saison, sans ressentir d'obligation d'apporter une résolution définitive à tous les mystères.

    La traduction est irréprochable : état de fait à marquer d'une pierre blanche tellement ça semble rare !

    J'avais également repéré l'hommage à Ursula Andress.

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    1. Je crois que j'ai eu du mal à m'avouer que Brubaker m'avait déçu, avec ce troisième tome. J'avais des attentes très élevées, et cet album, malgré ses qualités, n'y a répondu que superficiellement. La forme l'emporte sur le fond, en quelque sorte ; je ne sais pas pourquoi, mais je m'y attendais depuis le tout premier tome.

      Quant à la traduction, tu l'auras compris, bien entendu, mais la plupart du temps il faut comprendre "texte", car je n'ai jamais - ou très rarement - accès au matériau d'origine pour véritablement évaluer l'adaptation d'une langue à l'autre.

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    2. La forme l'emporte sur le fond : je n'y avais pas pensé en ces termes. Comme dans Sleeper, j'ai, comme toi, ressenti que le principe de l'exercice de style est très présent : écrire un récit de genre en utilisant les conventions spécifiques, et en essayant de leur rendre du sens (ne pas être dans un simple automatisme sans épaisseur). L'intensité de la tension psychologique de Sleeper en a fait un récit très prenant pour moi. De la même manière, l'intelligence avec laquelle Velvet Templeton progresse me la rend éminemment sympathique et la qualité de l'intrigue qui en découle m'a pleinement satisfait.

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