mardi 5 juillet 2022

Velvet (tome 2) : "Avant de mourir..." (Delcourt ; février 2016)

"Velvet" est une minisérie d'espionnage. En version originale, elle a été publiée chez Image Comics en quinze numéros d'octobre 2013 à juillet 2016. La version française consiste en trois volumes, reprenant chacun cinq numéros ; ils sont sortis chez Delcourt entre octobre 2014 et juin 2017. Le second, "Avant de mourir..." ("The Secret Lives of Dead Men"), paru en février 2016, compte les "Velvet" #6-10 (juillet 2014 à avril 2015). Format 19,0 × 28,5 cm, ce tome contient cent huit planches. Delcourt a publié une intégrale qui regroupe ces trois volumes, sortie en octobre 2021. 
"Velvet" a été créé par Ed Brubaker et Steve Epting. Brubaker écrit tous les numéros ; Epting a dessiné les quinze épisodes, mais il a encré ses propres planches, aussi. Ces deux hommes avaient déjà travaillé ensemble : sur la franchise "Captain America". La mise en couleurs a été produite par Elizabeth Breitweiser, enfin. 

Précédemment, dans "Velvet", Velvet apprend que son mari Richard - qu'ARC-7 l'avait chargée de tuer - n'était pas agent double. Elle conclut que sa vie lui a été volée, et qu'ARC-7 est gangréné. 
Londres, 1973. Les sbires d'ARC-7 l'attendant partout sauf à Londres, c'est justement là qu'elle réapparaît. Portant une perruque blonde et des lunettes fumées, elle quitte l'aéroport d'Heathrow sans ennui ; elle a néanmoins échangé son passeport avec celui d'une voyageuse en transit pour Copenhague. Elle pense avoir deux ou trois jours devant elle. Sous une pluie battante, elle hèle un taxi et lui demande de la déposer à Warwick Street, dans Soho. Une fois là-bas, elle retire sa perruque ; elle n'a pas prévu de se cacher longtemps, de toute façon, car c'est l'agence qui détient les réponses qu'elle cherche, et elle est consciente qu'elle ne les obtiendra pas "en douceur". Elle s'arrête au guichet d'un cinéma pornographique. L'employé lui demande alors si elle veut un magazine, et ajoute qu'il en a aussi "avec des photos d'hommes"... 

À l'issue du premier recueil, Velvet apprend qu'ARC-7 soupçonnait son mari, à tort. Elle lui avait pourtant donné l'ordre de l'éliminer : une manipulation ? Elle en déduit que l'assassinat de l'agent X-14 n'est que le dernier en date d'une longue suite d'événements qui remonte à bien plus loin. L'atmosphère ne change pas, la minisérie tire autant - sinon plus - vers le polar que l'espionnage : assassinats, mensonges, bagarres, menaces, enlèvements, fusillades, etc. C'est avec plaisir que le lecteur retrouve Velvet, ce mélange aussi subtil qu'évident de Modesty Blaise (merci Présence), Selina Kyle, la Veuve noire, et Emma Peele. Malgré la scène (assez sage) du salon coquin de Soho, le côté sensuel de l'héroïne est moins flagrant que dans le tome précédent ; le lecteur n'a plus cette impression que l'on cherche à le séduire avec du glamour habilement dosé. Pour tout dire, la prééminence de Velvet au premier plan est moins marquée, car la narration de Brubaker évolue. Pour donner de la substance à son héroïne et renforcer la légende urbaine, il emploie deux autres protagonistes comme conteurs : Colt (l'agent X-33) et le sergent Roberts (le chef de la division militaire d'ARC-7) se partagent ainsi un chapitre dans lequel ils se livrent sur Velvet, chacun dans un style qui lui est propre. Cela réduit le poids de la linéarité. Brubaker ajoute ensuite un nouveau personnage central. Ce dernier apportera son lot d'ennuis à Velvet. L'espionne fera d'ailleurs preuve de naïveté à son égard à l'occasion d'un voyage en train. Selon son humeur, le lecteur y verra soit une faiblesse (finalement, elle en a), soit une invraisemblance scénaristique. Enfin, afin de donner un os à ronger au lecteur, Brubaker fait dresser à Velvet une liste de quatre suspects : la facette énigme de l'intrigue n'est donc pas écartée (au contraire). Ce volet est très intéressant : si Velvet balade ses poursuivants grâce à des tactiques éprouvées, elle finit par trouver son maître, en quelque sorte. Peut-être parce qu'il est le seul du lot à ne pas la sous-estimer ? Ed Brubaker nous assure un solide niveau de suspense, et alterne séquences d'introspection propres au polar et scènes d'action époustouflantes. 
La partie graphique d'Epting est dans la lignée du premier volume, c'est-à-dire celle du registre réaliste. Les contours de l'artiste sont fins, nets, et réguliers. Son trait, sans surcharge ou fioriture inutiles, n'est pas dénué d'élégance. Les ombrages sont présents, sans lourdeur ; l'encrage est abouti. Le lecteur apprécie le soin de l'artiste dans sa reconstitution des véhicules, des modes vestimentaires, du mobilier, ou des appareils de cette période-là. Admirons aussi le travail d'Epting sur la façon dont il utilise la lumière ; ses paysages urbains la nuit sont incroyables de justesse. La lisibilité du découpage de l'action est une autre force de l'artiste. Enfin, c'est à peine si l'on remarque la mise en page sans recherche. Les cases sont agencées dans un réseau de gouttières blanches, classique malgré quelques formes inhabituelles. 
La traduction est à nouveau de Jacques Collin. Elle est satisfaisante malgré (encore !) une double faute d'élision de l'article ("du ARC-7" pour "de l'ARC-7" ou "d'ARC-7").

Voici le deuxième volume de cette série d'espionnage teintée de polar, et ça tient toujours la route. C'est l'avant-dernier, aussi : curieux de voir comment les morceaux du puzzle vont s'assembler, le lecteur attend la chute avec une certaine impatience. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Comics, Espionnage, Polar, Velvet, Ed Brubaker, Steve Epting, Elizabeth Breitweiser, Image Comics, Delcourt

2 commentaires:

  1. L'espionne fera d'ailleurs preuve de naïveté à son égard : je m'étais fait exactement la même réflexion.

    Le lecteur peut éventuellement reprocher à Ed Brubaker d'avoir permis à Velvet Templeton d'accorder une trop grande confiance à Damian Lake (un peu surprenant au regard de la perspicacité de Templeton, mais cette erreur la rend plus humaine), et à Steve Epting d'avoir permis au même Damian Lake d'avoir conservé cette coupe de cheveux un peu trop caractéristique qui le rend trop repérable.

    En vrac, ce qui m'avait beaucoup plu :

    - Velvet Templeton reste une femme forte, et ils respectent son âge, à savoir une petite quarantaine. Epting lui conserve une apparence en accord avec son âge, sans chercher à en faire une jeune femme accorte, une morphologie originale par rapport aux habitudes des comics.

    - L'accès à aux pensées de Templeton permet de comprendre comment elle évalue une situation, comment elle détecte le détail qui lui donnera l'avantage lors de l'affrontement.

    - En face d'elle, tous les autres agents ne sont pas des idiots, et son principal poursuivant est lui aussi capable de faire fonctionner son cerveau, d'observer et d'en tirer des conclusions rapidement. - élément que tu as également relevé

    - Les auteurs savent en utiliser les conventions de ce genre, pour en faire ressortir ce qu'il avait et ce qu'il a encore de révélateur : la question de la confiance dans le système, la défiance d'un individu par rapport au système dans lequel il se trouve et auquel il participe, le goût de l'être humain pour croire en un complot qui expliquerait tout.

    https://www.babelio.com/livres/Brubaker-Velvet-tome-2--Avant-de-mourir/819894/critiques/987067

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    1. Pour tout dire, je crains un peu que la conclusion de "Velvet" soit trop classique à mon goût, ou pas suffisamment convaincante, ou que ce soit encore un mobile bidon et éculé. Je serai bientôt fixé, de toute façon, parce que je voudrais en boucler la lecture assez rapidement.
      C'est une lecture plaisante, en tout cas ; je n'avais encore rien lu de dessiné par Steve Epting. Son actualité est assez maigre ; je n'ai pas vu grand-chose depuis ses épisodes du troisième volume de "Batwoman".

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