vendredi 9 septembre 2022

Ric Hochet (tome 19) : "Les Signes de la peur" (Le Lombard ; octobre 1974)

"Les Signes de la peur" est le dix-neuvième "Ric Hochet", série créée par le Tournaisien André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) dit Tibet. Il est prépublié dans "Le Journal de Tintin" entre le 4 septembre (nº36) et le 3 décembre 1973 (nº49/73) puis sort chez Dargaud en octobre 1974. Il sera réédité chez Le Lombard. Cet ouvrage, format 22,5 × 30,0 cm, couverture cartonnée, inclut quarante-quatre planches. Série-fleuve (soixante-dix-huit volets), "Ric Hochet" s'étend sur près de cinquante ans. Le dernier est sorti en 2010. 
Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessins, encrage, mise en couleurs). Tibet ne réalisait pas les décors et les laissait à des assistants. Le nom du décoriste des nº18 à 25 est inconnu. Frère d'un célèbre dessinateur, l'artiste préfèrera conserver l'anonymat, son identité reste un mystère

Belzas, petite localité provençale située dans le département du Var. C'est une journée particulière, le mistral souffle. Gaby Lanthelme, patron d'une agence immobilière, effectue l'état des lieux d'une location de vacances en présence de ses clients Bourdon et Nadine. Dans sa verve toute méditerranéenne, Lanthelme présente la villa comme un bijou dont ils garderont un souvenir de vacances "paradisiaques". Le commissaire n'est pas convaincu. D'abord, la demeure paraissait "bien plus grande" sur les prospectus. Lanthelme répond qu'il s'agit d'un effet d'optique et insiste sur l'intimité du lieu. Bourdon enchaîne sur la façade, "plus décrépie que sur...". Lanthelme ne le laisse pas achever, ces photos remontent à quelques années, mais quelle importance l'aspect extérieur puisque l'on vit à l'intérieur. Bourdon ne s'en laisse pas conter. À l'intérieur, Nadine est frappée par le remugle. Lanthelme ne se départit pas de sa jovialité, et court ouvrir une fenêtre à guillotine ; il y parvient, non sans mal. Il se lance dans une excuse, s'arrête puis change de sujet... 

Cette affaire emmène Ric, Bourdon et Nadine dans le sud de la France pour des vacances qui - évidemment - n'en seront pas. Duchâteau imagine un cadre comme il en a conçu plusieurs pour la série : un village de province (celui de Belzas est fictif, bien sûr) loin de Paris, avec une ambiance de France profonde, un mystère menaçant et un nombre limité de protagonistes dont chacun est suspecté tour à tour. C'est l'une des recettes récurrentes de "Ric Hochet". La particularité de l'intrigue est qu'elle repose sur les horoscopes. Alors, le tueur du Zodiaque a-t-il inspiré Duchâteau pour cette histoire ? C'est envisageable, car la chronologie colle et il est probable que le scénariste se tenait au courant des grands dossiers criminels de son époque ; mais cette influence probable ne va pas plus loin et il n'est ici question ni de meurtres en série ni de lettres cryptées. Il y a un mort (un seul) dans "Les Signes de la peur" - ce qui reste rare dans "Ric Hochet"-, mais cela n'empêche pas qu'il y a des victimes de tentatives. Comme dans toute enquête policière digne de ce nom, le défi de Ric est de comprendre ce qui les relie les unes aux autres, ainsi que le mobile derrière les agissements de l'antagoniste. La structure narrative, au fil des volumes, est presque devenue routinière : Duchâteau plante son décor (un lieu précis avec ses quelques endroits-clés), lance l'intrigue avec une scène-choc (l'assassinat d'Anthelme), fait intervenir Ric et Bourdon, et, à partir de là, mène le lecteur en bateau, multiplie les pistes pour mieux les brouiller et surprend là où on ne s'y attendait pas. Axel, Serge, et Éric évoquent les blousons noirs, alors que le phénomène était largement sur le déclin à la fin de la décennie précédente. Enfin, bien qu'il y ait là des séquences mémorables - la plus impressionnante étant "l'accident" de car d'Alfred "Fred" Morelli, sans aucun doute - et qu'aucune invraisemblance majeure ne vienne affaiblir cette histoire, le mystère manque trop de substance et de force ; drame et tragédie font défaut à l'atmosphère des "Signes de la peur", en fin de compte. Duchâteau - et c'est sûrement volontaire, d'ailleurs - pèche peut-être par excès de légèreté. 
La partie graphique est réalisée dans la plus pure tradition de la série. Le trait est réaliste et les contours sont fins, bien que l'encrage des dernières planches soit plus appuyé, plus épais. C'est assez curieux parce que cela n'est pas systématique. Est-ce dû à une différence de style entre Tibet et le décoriste ? C'est envisageable. Tibet livre un bel exercice de diversité des physionomies. Sa mise en page est parfois étudiée ; par exemple, celle de la planche du plongeon du car, très cinématographique sans utiliser "l'effet format 16/9". La bichromie est toujours de rigueur lors des séquences d'action et de tension psychologique. L'artiste - ou est-ce l'éditeur ? - recourt maintes fois à des flèches directionnelles rouges afin d'indiquer le sens de la lecture alors que celui-ci est pourtant évident et va de soi ; c'est à l'intention d'une frange plus jeune du public, sans doute. Enfin, la mise en couleurs n'est peut-être pas suffisamment organique. L'ensemble, quoi qu'il en soit, reste très satisfaisant. 

Malgré de bonnes choses, il y a dans "Les Signes de la peur" comme un manque de conviction qui se fait sentir à l'issue de la lecture ; Duchâteau était-il en roue libre ? Il faut dire que "Ric Hochet" tourne à deux albums par an depuis 1968, soit sept ans. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Bande dessinée franco-belge, Thriller, Policier, Ric Hochet, Bourdon, Nadine, André-Paul Duchâteau, Tibet, Dargaud, Le Lombard

4 commentaires:

  1. Passage de 5 étoiles pour le tome 17, à 4 étoiles pour le tome 18, et maintenant 3 étoiles pour le tome 19.

    Tes articles font apparaître des éléments récurrents. L'anonymat du décoriste qui perdure. Une recette éprouvée : une ambiance de France profonde, un mystère menaçant et un nombre limité de protagonistes dont chacun est suspecté tour à tour. Une structure narrative presque routinière : planter son décor, lancer l'intrigue avec une scène-choc, faire intervenir Ric et Bourdon, et mener le lecteur en bateau, multiplier les pistes pour mieux les brouiller et surprendre là où on ne s'y attendait pas. Une belle synthèse des caractéristiques de la série, avec ses avantages (le lecteur retrouve ce qu'il est venu chercher) et ses inconvénients (une sensation de répétition, de formule).

    Un bel exercice de diversité des physionomies : caractéristique qui mérite d'être relevée car elle n'est pas partagée par tous les dessinateurs de BD.

    J'ai bien aimé ta remarque sur le motif pour intégrer, voire vraisemblablement rajouter, des flèches pour aider le lecteur moins familier des bandes dessinées, ou qui peut en être au stade de l'apprentissage de la lecture.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si ça peut te rassurer, on repart à la hausse avec le tome 20 ! 😉 Car avec "Ric Hochet", il ne faut jamais grand-chose pour que les histoires s'améliorent ; c'est souvent un soupçon d'atmosphère. Un poil de sérieux en plus et on côtoyait les sommets. Mais c'est aussi la formule choisie qui a fait le succès du titre. Tout cela n'engage que moi, bien sûr.

      P-S : Tu voudras bien excuser ma lenteur et mon manque de présence - si je puis dire - sur mon blog et surtout sur le tien, mais en ce moment, je n'arrive pas à trouver de temps, c'est terrible. Je ne vois pas d'amélioration à court terme, et je me demande parfois si je ne ferais pas mieux d'arrêter pour éviter les frustrations. Bref...

      Supprimer
    2. De ce que j'ai lu de tes articles, j'ai effectivement eu le ressenti d'une formule avec des paramètres bien précis qui définissent ce qu'est une histoire de Ric Hochet.

      PS : Je présume que le déménagement nécessite beaucoup de temps au quotidien et sur une longue durée. Peut-être qu'une fois réglés tous les menus détails de l'installation, tu retrouveras un peu de temps.

      Arrêter les articles… mais quand même pas arrêter les lectures de BD ?

      Supprimer
    3. Il n'y a pas que le déménagement, mais aussi une nouvelle étape professionnelle.
      Si j'arrête les articles (on n'en est pas là), je lirai moins de BD, c'est sûr ; je me remettrai aux romans policiers, car j'en ai quelques-uns qui m'attendent en stock.

      Supprimer