Intitulée "Full Circle", cette publication est parue en septembre 2022 chez Panini Comics dans la collection "Panini Graphic Novel" de l'éditeur. L'album propose une histoire complète des Quatre Fantastiques ("Fantastic Four") qui a été déclinée en deux formats à sa sortie, une édition limitée en relié et une édition ordinaire en broché. Objet du présent billet, le recueil broché (dimensions 26,0 × 20,0 cm) comprend soixante-deux planches, toutes en couleurs et imprimées sur papier glacé.
"Full Circle" est presque intégralement réalisé par Alex Ross : le scénario, les dessins et l'encrage. Il n'y a guère que la mise en couleurs qu'il n'ait pas façonnée lui-même ; c'est avec Josh Johnson qu'il l'a composée. Il n'est peut-être plus nécessaire de présenter Ross ("Marvels", "Kingdom Come") encore aujourd'hui. Ces dernières années, il s'est principalement consacré à la production de couvertures. "Full Circle" est le premier récit complet qu'il écrit et illustre depuis une dizaine d'années.
Manhattan, par une nuit pluvieuse : tandis qu'une silhouette inquiétante et fantomatique observe le Baxter Building depuis la rue, Ben Grimm se concocte un casse-croûte monumental, "l'idéal pour les petits creux nocturnes". Tout le contenu - ou presque - du réfrigérateur y passe ! Il est sur le point d'en ingurgiter une première bouchée, lorsqu'un craquement retentit dans le salon. Il appelle : personne. Il demande à Sue si c'est elle qui l'espionne ; aucune réponse. Il finit par s'asseoir dans un fauteuil pour reprendre son repas. Mais à peine a-t-il posé les pieds sur la table basse que Johnny apparaît. La Chose ne peut réprimer un réflexe, qui lui fait écraser sa préparation. Les insultes d'un côté et les moqueries de l'autre commencent à fuser, jusqu'à ce qu'un second craquement se fasse entendre. La mystérieuse silhouette (on distingue les contours, pas le visage) a réussi à s'infiltrer dans les appartements de l'équipe ! L'alerte se déclenche aussitôt. Passé leur stupéfaction, Ben et Johnny se précipitent sur l'intrus tandis que Reed sort de sa chambre en se rhabillant et en demandant de qui il s'agit...
Pour le fidèle, retrouver les Fantastic Four est une sensation unique et un plaisir de renouer avec cette famille si particulière. L'habitué s'attend à des caractérisations conformes, à de la science-fiction (pas exclusivement cosmique), à des machines et inventions incroyables, à des aventures folles bien éloignées du quotidien d'autres justiciers de papier, à des ennemis plus grands que nature, à un esprit d'équipe qui leur permet de triompher de l'adversité, peut-être à une atmosphère partiellement ancrée dans la seconde moitié des années soixante. Tout cela, Ross s'est ingénié à le reproduire avec "Full Circle", un exercice de style en hommage aux Fantastic Four de la fin des années soixante, ceux de Lee et (surtout) Kirby. Les caractérisations sont parfaites. Reed est scientifiquement brillant, intellectuellement curieux et aussi protecteur qu'audacieux. Sue (Dieu merci, le personnage a évolué depuis l'âge d'argent) est aussi aimante que déterminée et intrépide. Johnny et Ben conservent leurs rôles de sales gamins qu'ils ont toujours joués, le premier hâbleur et taquin et le second ronchon au grand cœur, ce qui n'ôte rien à leur implication et leur fiabilité. La mécanique fonctionne sans friction ni faute de goût. Ross revient sur un épisode demeuré sans suite jusqu'ici, le "Fantastic Four" #51 de juin 1966, auquel on ajoutera, pour être complet, le #50 de mai, avec les premières apparitions de Ricardo Jones et - surtout - de la Zone négative, ainsi que (c'est moins important) les #107-109 (de février à avril 1971). "Full Circle" est une courte aventure cosmique que l'on peut scinder en trois actes : le Baxter Bulding et la bataille contre des créatures évoquant les "facehuggers" de la franchise "Alien", puis Annihilus et Janus (le ventre mou du récit), et enfin les surprenantes retrouvailles avec Jones. La trame est linéaire, mais sans engendrer l'ennui, malgré les zones d'ombre de l'histoire, le jargon pseudo-scientifique, ou les poncifs métaphysiques de l'épilogue. On retrouve la volonté de Ross de ne pas limiter les super-héros à leurs formidables pouvoirs, mais de les dépeindre comme incarnant les sentiments les plus nobles (courage, générosité, etc.).
La partie graphique constitue le véritable attrait de cette publication. Ross pousse l'hommage à Kirby et l'esprit Marvel de la fin de l'âge d'argent aussi loin que possible sans singer ses modèles. Tout y figure : ce design finalement intemporel des personnages malgré leur ancrage dans les années soixante, l'omniprésence de l'énergie, du mouvement et de l'imagination, les collages novateurs des paysages interstellaires du "King", l'originalité des mises en page, la clarté du découpage et une colorisation parfois débridée, qui rappelle que cette époque fut également celle du début du psychédélisme - supposition qui n'engage que moi. Ross laisse sa patte s'exprimer : un réalisme poussé, le niveau supérieur de finition, l'expressivité, la densité de détail très satisfaisante. Notons un clin d'œil à Spock et Leonard Nimoy (1931-2015).
La traduction est confiée à Laurence Belingard : notons une forme négative aléatoire, une phrase victime de sa syntaxe hasardeuse, une faute de frappe ("Annihulus").
Ross étant moins scénariste que dessinateur, "Full Circle" ne brille peut-être pas par la qualité de son intrigue, qui est parfois un brin absconse, mais la caractérisation des personnages, en revanche, est remarquable de justesse, et cette partie graphique, en hommage parfaitement réussi, mérite amplement que l'on s'y attarde.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Fantastic Four, Ricardo Jones, Annihilus, Alex Ross, Jack Kirby, Marvel Comics, Panini Comics
Je l'ai acheté, mais je ne l'ai pas encore lu.
RépondreSupprimerOn retrouve la volonté de Ross de ne pas limiter les super-héros à leurs formidables pouvoirs, mais de les dépeindre comme incarnant les sentiments les plus nobles : une façon de faire qui a été progressivement délaissée au fil des décennies, mais qui fait toujours plaisir à retrouver, de voir des personnages qui peuvent être des modèles.
L'omniprésence de l'énergie, du mouvement et de l'imagination, les collages novateurs : voilà qui donne envie, et qui correspond à l'essence des meilleures planches de Jack Kirby.
Une colorisation parfois débridée : j'ai du mal à démêler ce qui relève du psychédélisme, et ce qui correspondrait à la filiation du pop art. N'ayant pas expérimenté les substances altérant la perception, je ne peux que me fier à ces témoignages qui évoquent l'intensification des couleurs.
Intrigue parfois un brin absconse : je n'avais pas perçu cette caractéristique dans ton développement, s'agit-il des poncifs métaphysiques de l'épilogue ?
"Des personnages qui peuvent être des modèles" : effectivement, c'est bien ça, oui.
SupprimerOui, la partie graphique est sublime. Par psychédélisme, j'entends l'emploi de couleurs inhabituelles, très vives, voire criardes, dans des compositions que l'ont pourrait considérer comme des exemples de Pop Art. Mais cela reste très cadré et concerne principalement la couleur, pas la forme.
"L'intrigue un brin absconse" : Ce sont (entre autres) les zones d'ombre dont je parle un peu plus haut. En fin de compte, cela est secondaire dans le récit, mais pour un esprit relativement cartésien comme le mien, il y a là un point faible.