Publié en juin 2021, cet album est le premier tome de "La Tour", un triptyque post-apocalyptique en cours de parution chez Comix Buro au moment de ces lignes. C'est un volume relié (couverture cartonnée) de dimensions 24,0 × 32,0 cm. Il compte soixante-deux planches en couleurs. Comix Buro est un éditeur créé en 2008. Depuis 2017, il fonctionne en partenariat avec la maison Glénat : Comix Buro se charge de la partie artistique, et Glénat de la fabrication des albums et la distribution.
Le scénario a été écrit par Jan Kounen et Omar Ladgham, qui jusqu'ici, se sont illustrés dans le cinéma, surtout. Si "La Tour" est leur première bande dessinée, ce n'est pas leur toute première collaboration : les deux hommes avaient en effet adapté "Le Vol des cigognes" (1994), le roman policier de Jean-Christophe Grangé, en une minisérie télévisée (en deux parties) pour Canal+. Enfin, la partie graphique est produite par Mr Fab (Fabien Esnard-Lascombe) : dessin, encrage, mise en couleurs.
Bruxelles, 2072. La chasse est ouverte dans ce qui fut un quartier résidentiel, jadis. Dans une maison de maître abandonnée depuis longtemps, un rat file par le salon et arrive devant l'écran de télévision crevé et le squelette de l'occupant des lieux, toujours assis dans un fauteuil devant le poste. Le rat flaire un danger imminent. Soudain le plafond cède sous le poids d'un sanglier qui chute au beau milieu de la pièce. La bête ne se démonte pas, se rétablit sur ses pattes, et reprend sa fuite ; un jeune homme en combinaison spatiale (marquée d'un A) la traque. Se fiant au viseur de son casque, il tire un coup de fusil : raté. Le sanglier s'engouffre dans un couloir ; le rat ne demande pas son reste. L'inconnu tente à nouveau sa chance, à trois reprises : sans réussite, bien que ses balles frôlent l'animal. Toujours derrière le mammifère, le chasseur quitte la demeure, vers un extérieur où la nature a repris ses droits, lorsqu'une détonation toute proche retentit : celle d'une autre arme, dont le propriétaire - son scaphandre est marqué d'un D - vient d'abattre le sanglier. Les deux personnes se toisent un instant...
Un virus aéroporté a dévasté la population humaine ; à Bruxelles, deux mille sept cent quarante-six rescapés vivent reclus dans un gratte-ciel géré par une intelligence artificielle. Virus, atmosphère contaminée, miraculés confinés : des ingrédients surexploités couplés à une métaphore opportune avec la pandémie de COVID-19 ? C'est plus que cela ; Kounen, dans une interview, explique que la science-fiction permet d'aborder un sujet essentiel de façon "radicalisée", mais "de manière indirecte". Lui et Ladgham ne narrent pas (pas encore) les origines de la maladie ; ils évoquent ses répercussions, comme un moyen de dire que l'inéluctable est arrivé et qu'il faut se focaliser sur le présent. Les thèmes soulevés sont légion et font écho à la notion de "croisement des thématiques", chère à Kounen : les contrecoups d'une catastrophe environnementale, la nature qui prend sa revanche sur l'homme (la faune étant une source permanente de risques, la flore une menace consciente et tapie), le conflit des générations (les équivalents des X et Y en 2072), la responsabilité des aînés et leur apparente absence de culpabilité, la dépendance de l'homme à la machine (une intelligence artificielle omniprésente et omnisciente, forcément), le retour des rites de passage de civilisations d'antan (une épreuve physique pour devenir chasseur), le rationnement des ressources (eau courante, nourriture), ou encore la discipline, pesante, mais vitale. Les auteurs doivent aussi créer un contexte à l'aide de scènes choisies, présenter les personnages-clés, et évoquer les enjeux qui agitent nos protagonistes ; avec trois tomes et une intrigue complexe, cela relève de l'équilibrisme et n'est pas sans risques. D'ailleurs, bien que Kounen et Ladgham réussissent à caser là un maximum de repères, cet album comporte des faiblesses narratives, dont un recours à l'ellipse et aux sous-entendus ou non-dits qui engendre des lourdeurs ; le lecteur doit établir des liens et élaborer des conclusions incertaines, les révélations étant distillées au compte-gouttes. Rien de rédhibitoire, car ce tome, qui est rythmé et évite l'écueil de la linéarité, parvient à être suffisamment convaincant.
Sa biographie sur BD Gest' affirme que Mr Fab "apprend à dessiner en lisant des bandes dessinées" et en particulier avec la série "Blueberry". Effectivement, l'influence de Giraud est évidente dès l'apparition du premier visage et le lecteur décèlera aussi certaines caractéristiques du style du maître dans les paysages. L'artiste présente donc un trait réaliste, avec un découpage et une mise en page dotés d'une lisibilité d'un très bon niveau. Les planches sont moyennement denses ; elles ne contiennent que jusqu'à neuf cases maximum, ce qui permet un équilibre entre compositions plus amples (il y a plusieurs pleines pages) et intégration d'une quantité de détail très satisfaisante. Mr Fab démontre une jolie maîtrise de l'expressivité, ainsi qu'une certaine créativité pour les costumes (son expérience dans la haute couture aura aidé). L'artiste s'est documenté sur Bruxelles, notamment sur les maisons art nouveau et les façades BD ("La Marque jaune"). La colorisation n'est pas assez organique.
Voici donc le premier volet d'un triptyque prometteur. Il réussit à se distinguer dans un genre qui a été très largement exploité ces derniers temps. Néanmoins, cela ne signifie pas que ce tome est exempt de défauts, mais l'équipe artistique a suffisamment de talent et de métier pour susciter l'envie de lire la suite de "La Tour".
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz, pour ASKEAR
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Quand j'ai vu apparaître le titre de ton article dans la barre de côté sur mon site, je me suis dit : Super, la tour, de Schuiten & Peeters.
RépondreSupprimerCes tomes m'ont fort intrigué par leur couverture chez mon libraire BD. Mais je n'ai pas franchi le pas.
Avec trois tomes et une intrigue complexe, cela relève de l'équilibrisme et n'est pas sans risques : je dirais même plus, c'est un sacré pari.
Comme d'habitude, le paragraphe sur le travail du dessinateur est un régal à lire.
Schuiten et Peeters ? Si tu veux lire des articles sur leurs œuvres, je peux te recommander un super blog : "Les BD de Jean Praisance", ou un truc comme ça. Blague à part, je suppose que j'y viendrai un jour.
SupprimerJe n'aurais pas non plus lu "La Tour" de moi-même, n'ayant pas d'affinités particulières avec le sujet ou l'équipe créative ; mais lorsqu'ASKEAR m'a proposé l'article, j'ai accepté.
Merci de tes encouragements, c'est stimulant.