vendredi 31 mars 2023

Barbe-Rouge (tome 13) : "Barbe-Rouge à la rescousse" (Dargaud ; janvier 1972)

Créée en 1959 par les Liégeois Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979), "Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie ayant pour cadre le milieu du règne de Louis XV. "Barbe-Rouge" - entre redécoupages des récits pour les albums ou changements d'éditeurs - a un historique de publication compliqué. Elle est prépubliée entre 1959 et 1968 dans "Pilote". Les histoires postérieures sortiront directement en volumes. Puis le titre retrouve le format magazine en 1979 avec "Super As". "Barbe-Rouge" survivra aux morts de Hubinon et de Charlier avant qu'une relance voie le jour chez Dargaud, en 2020, seize ans après le trente-cinquième et dernier tome : "Les Nouvelles Aventures de Barbe-Rouge"
Paru en janvier 1972, "Barbe-Rouge à la rescousse" est le treizième numéro du titre. C'est un recueil relié (avec couverture cartonnée) de dimensions 22,6 × 29,8 cm, qui comprend exactement quarante-six planches, toutes en couleurs. Charlier en a écrit le scénario et les dialogues, et Hubinon en a composé les dessins, l'encrage et (a priori) la mise en couleurs. 

Précédemment, dans "Barbe-Rouge" : Après moult péripéties, L'Épervier arrive à Fort-Royal. Éric et ses hommes débarquent avec des chargements de vivres et des munitions ; la résistance contre l'Anglais peut continuer. Un blocus s'installe. 
Fort-Royal. Les Anglais, au désespoir d'Éric, sont toujours là et ne semblent pas vouloir partir. Triple-Patte n'est pas étonné. Les "Godons" savent pertinemment que les assiégés ne recevront aucun secours de France ; Fort-Royal se retrouvera bientôt dans une situation aussi désespérée que lorsqu'ils l'avaient secourue. On les interrompt, un messager monte à bord, porteur d'une convocation à une réunion d'urgence avec le conseil de défense, chez le gouverneur : Éric s'engage à y participer. Une heure plus tard, le gouverneur expose les faits à une petite assemblée dans la grande salle du fort : la situation est "grave", le découragement "s'empare de la population et de la garnison". Vouée à l'échec, la résistance paraît inutile à tous... 

Chez le gouverneur, Éric présente son plan : aller chercher son père et le convaincre d'intervenir. Selon lui, il est le dernier espoir de Fort-Royal. Afin de faire accepter ce projet, il n'a d'autre choix que de révéler leur lien de parenté. Risque contrôlé, bien que la pilule passe difficilement du côté des autorités. Celles-ci exigent d'avoir un représentant dans les négociations avec Barbe-Rouge. Un indésirable se joint donc à l'entreprise : le comte d'Espargel, qui cumule tous les lieux communs propres à l'aristocrate français : hautain, arrogant, méprisant, etc. Espargel, c'est l'erreur de Charlier dans "Barbe-Rouge à la rescousse" ; dès le départ, il est antipathique. Avec l'aide de quelques détails (exemple, les poignets de la veste, cf. planches 3 et 4), il est impossible de ne pas deviner que c'est Espargel qui est de mèche avec l'Anglais et que c'est lui qui est la taupe à bord de "L'Épervier". Le lecteur découvre le pot aux roses facilement et rapidement ; dès lors, pourquoi diable Charlier s'échine-t-il à maintenir le visage d'Espargel dans l'ombre - comme si mystère il pouvait encore y avoir ? A-t-il imaginé cette fausse ruse narrative lourdaude pour la frange plus jeune de son public ? C'est la seule explication valable. Quoi qu'il en soit, Éric est décidément bien naïf devant les réactions d'Espargel. En outre, des séquences de ce recueil rappellent d'autres tomes et engendrent une sensation de répétition. Il ne faut en effet pas retourner très loin en arrière pour retrouver une taupe embarquée ; c'était déjà le cas dans "La Mission secrète de l'Épervier" (nº12). Même chose avec l'évasion, qui nous renvoie à "La Fin du Faucon noir" (nº9), le stratagème utilisé (à la fois le déguisement et le prétexte) étant rigoureusement identique. Au passage : pour un unijambiste, Triple-Patte montre là une belle agilité (planche nº36). Enfin, l'officier anglais est lui aussi bien naïf (chacun son tour) et la fin, sans coup de canon, s'avère frustrante. Néanmoins, les talents de conteur de Charlier empêchent le naufrage, grâce à quelques moments brillants (cette monstrueuse tempête de six planches) et à la tension à couper au couteau qu'il parvient à diffuser au fil des planches. 
Au fil des pages, le lecteur sera à nouveau frappé par le soin apporté par Hubinon aux arrière-plans des vignettes, qu'il s'agisse de scènes d'extérieur ou d'intérieur. Les fonds rationalisés sont rares : mois de quarante, soit moins d'un par planche. Cela passe d'autant mieux qu'il s'agit de petites vignettes dans des planches plutôt denses (neuf cases par planche en moyenne) et que l'artiste applique quand même une couche de couleur. Notons que la séquence de l'évasion est remarquable par sa mise en page plus aérée que d'habitude, avec une moyenne de sept cases par planche, le dessinateur ayant besoin d'exploiter des espaces plus vastes. Évidemment, la minutie maniaque apportée aux navires et aux accessoires force l'admiration ; mais le clou de cet album, c'est la tempête, avec ses éléments déchaînés, cet Épervier ballotté, et cette trombe marine monstrueuse qui jette l'effroi dans le cœur du lecteur comme dans celui des matelots. L'une des plus fabuleuses compositions d'Hubinon. 

Après l'excellent "La Mission secrète de l'Épervier", ce "Barbe-Rouge à la rescousse" est un brin décevant : les trucs narratifs enfantins de Charlier n'y font pas mouche. En outre, certains ingrédients des intrigues commencent à se reproduire à une fréquence trop élevée et engendrent un effet de répétition. Petit passage à vide ?

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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Corsaires, Pirates, Règne de Louis XV, Barbe-Rouge, Éric, Baba, Triple-Patte, Comte d'Espargel, Fort-Royal, Jean-Michel Charlier, Victor Hubinon, Dargaud

2 commentaires:

  1. 3 étoiles car certains ingrédients des intrigues commencent à se reproduire à une fréquence trop élevée et engendrent un effet de répétition. Je me demande si c'est le genre en lui-même qui veut ça, c'est-à-dire que le nombre de conventions spécifiques au genre est relativement limité, ce qui conduit à un nombre fini de possibilité. Et dans le même temps, je me dis que le genre superhéros repose également sur un nombre relativement petit de conventions et que pourtant il y a toujours des auteurs pour trouver de nouveaux angles de présentation.

    Naïveté + fausse ruse narrative lourdaude pour la frange plus jeune : je ne me rends pas bien compte, mais j'ai l'impression que les lecteurs de Super As et de Pilote à cette époque étaient plutôt dans une tranche d'âge enfants et jeunes adolescents ?

    Moins d'un fond rationnalisé par planche : impressionnant, surtout avec une telle densité de cases par page.

    Ton lien Précédemment renvoie au tome 11.

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    1. Cette répétition m'intrigue, en effet. Il n'y en avait pas dans "Blueberry", un western, autre genre avec des conventions spécifiques. Ici, je ne sais pas, on est aussi dans des histoires de guerres, d'où l'envie de Charlier d'ajouter des espions à droite et à gauche. Mais le coup de l'évasion, là il charrie, je trouve.

      "Super As" et "Pilote" ; peut-être, je ne sais pas. Mais à l'époque, "Barbe-Rouge" sortait directement en album sans prépublication.

      Les fonds rationnalisés. Oui, je dois dire qu'Hubinon produit une partie graphique très respectable.

      Merci pour le faux lien, c'est réparé.

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