jeudi 16 mars 2023

Capitaine Albator (Mémoires de l'Arcadia, tome 3) : "Des cœurs brûlants d'amour" (Kana ; novembre 2020)

"Des cœurs brûlants d'amour" est le troisième et dernier album du triptyque "Mémoires de l'Arcadia", consacré au capitaine Albator, le personnage-culte créé par Leiji Matsumoto en 1969. Ce volume a été publié chez Kana (Média-Participations) en novembre 2020. Si au fond le contenu peut être assimilé à un manga (bien qu'écrit en français), il n'en a pas la forme : c'est un livre relié (couverture cartonnée) de dimensions 22,5 × 29,8 centimètres, qui a été pensé pour le public francophone, et qui se lit donc à l'occidentale, pas de droite au gauche. Et enfin, pour terminer, les soixante planches sont en couleurs.
Ce recueil a été entièrement réalisé par le Français Jérôme Alquié, un illustrateur passionné de dessins animés japonais des années quatre-vingt ; Alquié produit le scénario, le dessin, l'encrage, ainsi que la mise en couleurs. Parmi les autres œuvres auxquelles il a participé, retenons "Surnaturels" (Delcourt), ainsi que "Saint Seiya : Les Chevaliers du Zodiaque" (Kana). 

Précédemment, dans "Capitaine Albator (Mémoires de l'Arcadia)" : Albator, aux commandes de l'Arcadia, réussit à libérer le vaisseau du voile de désespérance d'Eina, la Sylvidre de l'ombre. Il gagne l'espace sain et sauf, avec Mayu et l'équipage. 
Talika se rappelle son enfance, sur la planète Aia, non loin d'Antarès ; elle et sa sœur jumelle Lina appartenaient au peuple des Naoiens, des "humanoïdes pacifiques", appelés "les jardiniers de l'infini"Depuis des siècles, les Naoiens étaient connus dans l'univers pour les fleurs splendides qu'ils cultivaient, considérées comme "les plus belles merveilles végétales de toute la galaxie". Talika et Lina n'aspiraient qu'à une seule chose : faire pousser la plus jolie de toutes les fleurs, rêve dans lequel elles insufflaient tout leur enthousiasme. Jusqu'au jour terrible où les Sylvidres envahirent Aia, en faisant muter les plantes de la planète en monstres végétaux carnivores "assoiffés de chair et de sang". Il n'y eut pas d'autre survivant que Talika, qui assista à la mort de sa sœur. Découverte par les Sylvidres, puis capturée, elle devint l'esclave du commandant Astrania... 

Avec l'apparition de Maetel dans "Les Ténèbres abyssales de l'âme", le lecteur s'aperçoit que l'exercice de style d'Alquié dépasse le cadre d'Albator seul et d'une reprise de la fameuse franchise, même temporaire. De toute évidence, l'auteur français rend plus largement hommage à l'œuvre de Matsumoto (qui est même représenté sous les traits du professeur Reiji) qu'au capitaine corsaire. Par conséquent - et c'était prévisible -, après avoir fait intervenir Maetel, Alquié invite aussi Emeraldas, qui joue dans ce dernier volet un rôle de deus ex machina. Le respect d'Alquié pour la somme de Matsumoto est aussi évident qu'habilement diffusé dans ce scénario. Exemple : le respect de Sylvidra pour Albator est fidèle au propos d'origine, et n'est d'ailleurs pas évoqué de façon gratuite. Bien qu'il s'agisse d'une énième variation sur le thème de l'alliance contre-nature et que l'idée ait été prévisible depuis le second tome, elle est amenée avec fluidité, et elle permet à Alquié d'imaginer une intrigue qui sort de la logique d'affrontement bilatéral traditionnel et répétitif de la série, c'est-à-dire Albator contre les Sylvidres. Autre point, la nature du sang de Sylvidra, un aspect de la mythologie qui a longtemps poussé certains fanas à en déduire à tort (ici, c'est sans équivoque) que la reine des Sylvidres était humaine ; un autre exemple d'une intégration intelligente d'un élément-clé de la saga, qui, de plus, dissipe tout quiproquo encore existant à ce sujet. Seulement, si les éléments propres à la mythologie s'emboîtent efficacement, ceux de l'intrigue dont la création revient à Alquié sont moins convaincants : les Sylvidres géantes, la Naoienne devenue androïde, la facilité avec laquelle elle déroule la majeure partie de son plan, en fait, jusqu'au dénouement où tout est rétabli comme si rien ne s'était passé (le scénariste ne voulait ou ne pouvait peut-être rien changer, d'ailleurs). Alquié, cela étant, sait animer une histoire (les trois fils narratifs qu'il a développés sont équilibrés et réduisent la linéarité) et gérer le suspense en choisissant le moment pour révéler les informations (surtout les origines de Talika, en début de recueil) ; le lecteur reste donc accroché. 
Il y a des planches époustouflantes, dans cette partie graphique. Alquié dynamite les notions de bande et de case, et joue avec les couleurs et les silhouettes. L'artiste n'économise pas ses efforts pour que ses planches soient aussi spectaculaires que possible. Sa mise en page est réfléchie : plutôt classique pour les scènes calmes, bien plus dynamique et faussement déstructurée pour les scènes de combat, avec le recours fréquent à des incrustations et des vignettes de formes inhabituelles. Le boulot sur la lumière (admirable maîtrise des techniques numériques) est absolument remarquable. Les tons utilisés pour la séquence sur Aia sont incroyablement organiques, ils modifient complètement l'atmosphère d'une planche à l'autre. Comme les deux numéros précédents, celui-ci comprend quelques doubles pages à couper le souffle : l'Arcadia décollant de l'îlot de l'Ombre de la mort, la déflagration du dôme (et de Monna) ou l'Arcadia en suspension dans les airs avant de reprendre son voyage. 

Globalement, il s'agit d'un effort louable réalisé par un homme en solo qui investit ici toute sa passion et tout son talent afin de faire revivre une franchise légendaire, avec tous les risques que cela comporte. Alquié y parvient, sans doute plus par son respect pour l'œuvre de Matsumoto que pour la qualité de sa propre intrigue. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Manga, Shonen, Space Opera, Albator, Mémoires de l'Arcadia, Maetel, Emeraldas, Sylvidres, Sylvidra, Jérôme Alquié, Leiji Matsumoto, Kana

2 commentaires:

  1. En lisant ton chapeau, je me suis souvenu de ta remarque sur la pagination dans le tome précédent : 54 planches pour le tome 1, 46 pour le 2, et 60 pour le 3 : c'est inhabituel d'avoir des tomes de pagination différente au sein d'une série.

    L'auteur français rend plus largement hommage à l'œuvre de Leiji Matsumoto : je peux comprendre qu'il ait eu cette envie.
    La nature du sang de Sylvidra : un point que je n'aurais pas su relever, n'étant pas aussi connaisseur que toi. Adolescent, je n'ai regardé que quelques épisodes à la télé.

    Les éléments de l'intrigue dont la création revient à Alquié sont moins convaincants : pas facile d'enrichir une mythologie qui sembla avoir été très liée à la personnalité de son créateur.

    La mise en page d'Alquié est réfléchie : à te lire, j'ai l'impression qu'il a réussi à combiner des caractéristiques franco-belges avec d'autres issues des mangas, en proposant quelque chose d'unique grâce à la mise en couleurs.

    Un effort louable réalisé par un homme en solo : c'est vrai qu'en voyant arriver cette trilogie, j'ai fait le rapprochement avec l'équipe qui a produit l'album de Goldorak.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La pagination - Je t'avoue que la pagination très variable m'a un peu perturbé aussi. Je ne m'explique pas cela, sauf peut-être un déséquilibre entre les différentes actes.

      Le sang de Sylvidra - Ce sont mes recherches qui m'ont amené là. J'étais gamin à l'époque, et je n'ai du dessin animé que de vagues souvenirs. J'ai donc découvert ce fait à l'occasion de l'écriture de cet article.

      La mise en page - Je ne sais pas si la mise en page est unique. J'en doute. Mais ce qui m'a paru évident, c'est que rien n'est laissé au hasard. Je crois qu'il y a des artistes qui voient la mise en page comme faisant partie d'un tout, d'autres qui la voient comme une simple contrainte, ou juste comme un cadre.

      Goldorak - En voilà un que je n'ai pas encore lu ; bientôt, peut-être...

      Supprimer