vendredi 24 mars 2023

Monster (tome 12) : "La Villa des roses" (Kana ; janvier 2004)

Publié en janvier 2004 par l'éditeur Kana, dans sa collection "Big Kana", "La Villa des roses" est le douzième tome de la version française de "Monster", un manga de type seinen. C'est un ouvrage broché (dimensions 12,8 × 18,0 centimètres, avec jaquette plastifiée amovible) d'environ deux cents planches en noir et blanc. Il se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine de 1994 à 2001, puis réédité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit recueils entre 2001 et 2005, réédités en une intégrale en neuf volumes - ils regroupent deux tomes chacun - entre 2010 et 2012. 
"La Villa des roses" est a priori entièrement réalisé (le scénario, les dessins, l'encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa (il est né en 1960), qui est également connu pour "Yawara!" (de 1986 à 1993) ainsi que pour "20th Century Boys" (de 2000 à 2007). 

Précédemment, dans "Monster" : après moult péripéties, Tenma, Grimmer, et le colonel Ranke mettent la main sur la cassette de l'enregistrement de Johann enfant au à l'orphelinat. Ils l'écoutent et comprennent que l'ennemi les a dupés - encore. 
Ses collègues n'en reviennent pas : le commissaire Runge a pris des vacances. Lui qui ne jure "que par le travail". Ses premiers longs congés, semble-t-il. Peut-être est-ce parce que ces derniers temps, il n'est pas débordé de travail. Il en fait trop, même pour un policier du Bundeskriminalamt. Résultat, "sa femme et sa fille sont parties". Quant à sa destination, il a mentionné la République tchèque... À Prague, Heinrich Runge déambule au gré des vieilles rues, le manteau sous le bras droit et son sac de voyage dans la main gauche. Il se mêle aux touristes pour observer un marionnettiste dont le pantin joue de la guitare. Tandis que les badauds applaudissent, il reprend son chemin et arrive place de la République. Il s'y installe à une terrasse. Au garçon qui s'enquiert de ce qu'il veut consommer, il commande d'abord un café - avant de se raviser pour une bière ; après tout, il est en vacances... Lorsque son serveur lui apporte son verre, il le questionne sur la marque de sa bière : c'est une Prazdroj... 

"La Villa des roses" est un tome foisonnant. Si, après "L'Angle mort", le lecteur a pu s'interroger au sujet de certains personnages secondaires, la plupart réapparaissent ici, à commencer par Runge : toujours aussi habité par l'affaire, le policier n'a rien perdu de son mordant (ce face-à-face psychologique tendu avec le colonel Ranke en témoigne) ni de ses facultés supérieures de déduction. Urasawa développe d'autres fils narratifs, dont un avec le tandem improbable formé par Tenma et Grimmer, qui permet d'en apprendre plus sur l'étrange personnalité de celui-ci. Un autre avec la "bande des petits détectives", qui peut rappeler les "Irréguliers de Baker Street", et lors duquel Johann montre à nouveau son implacable cruauté. Le plaisir que ressent le lecteur à l'occasion des retrouvailles avec certains personnages fait de l'ouvrage l'un des sommets de la série, d'autant que le cliffhanger final est aussi imparable qu'imprévisible. Tout cela s'emboîte avec une maestria prodigieuse. Enfin, si Urasawa nous fait parcourir la vieille Prague, avec ses monuments, ses maisons anciennes et ses ruelles sombres, l'itinéraire nous emmène aussi à la frontière germano-tchèque pour une immersion d'une quinzaine de pages dans le milieu local de la prostitution. Tous les figurants de ce monde interlope sont représentés : un proxénète cynique, des clients (du groupe de touristes japonais hilares qui veulent être assurés qu'ils ne seront pas dépouillés à l'enseignant allemand glauque et tordu qui oblige Milosh au voyeurisme), des prostituées dures, vulgaires, et usées, voire malades. Une séquence aussi tendue à bloc que dérangeante, car elle souligne ce contraste entre la part d'innocence de l'enfance et la cruauté du monde adulte, et donne une vision sordide de l'humanité. Ce qui est surprenant est que l'intrigue, malgré les scènes d'action, les incroyables rebondissements, et ce suspense irrésistible - continue à avancer à un rythme généralement lent, au bout du compte, avec des révélations distillées au compte-gouttes. Il faut un réel talent pour maîtriser un modèle narratif comme celui-là. Urasawa n'en manque pas, heureusement. En tout cas, c'est du grand art. 
La partie graphique est similaire à celles des tomes précédents ; cela implique des décors soignés et d'une rare précision - une approche appliquée par l'artiste tout au long du recueil, qu'il s'agisse d'une vieille maison typique, d'un immeuble de bureaux, d'une aire de jeux. Accessoires et objets de la vie quotidienne reçoivent le même traitement. Certains détails sont aussi discrets que révélateurs : pages 51 et 59, la démarcation entre ombre et lumière sur la même façade, à des moments différents de la journée. Pour les personnages, le style est moins réaliste, l'encrage est très allégé, les finitions sont rudimentaires. Ajoutons encore que la galerie d'intervenants ne brille pas par la variété des physionomies. Après douze albums, le lecteur aura fini par s'y faire - d'autant qu'Urasawa compense par une expressivité travaillée. 
La traduction est effectuée par Thibaud Desbief, le texte est impeccable. "Heineman" ne prend ici qu'un "n", contre deux habituellement. Il convient d'en mettre deux.

"La Villa des roses" est un recueil charnière magistralement dirigé par Urasawa. Tandis que la plupart des sous-intrigues se recoupent enfin, d'autres émergent, avec un nouveau groupe de protagonistes. Quant à Kenzo Tenma, Urasawa le remet au tout premier plan de "Monster" d'une façon pour le moins inattendue. Remarquable.

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Manga, Seinen, Monster, Docteur Tenma, Wolfgang Grimmer, Commissaire Runge, Colonel Ranke, Dr Leichwein, Eva Heinemann, Johann, Naoki Urasawa, Kana

2 commentaires:

  1. La Villa des roses est a priori entièrement réalisé par le Tokyoïte Naoki Urasawa : très impressionnant. Je suis allé chercher sur internet s'il était fait mention d'assistants, et je n'ai rien trouvé dans ce sens, vraiment très impressionnant. D'autant plus qu'il conduit souvent deux séries en parallèle, une à la prépublication hebdomadaire et l'autre bimensuelle.

    La bande des petits détectives : une marque d'une grande confiance chez le scénariste car mettre en scène des enfants aboutit souvent à un résultat gauche et peu crédible. Il me vient bien sûr quelques exceptions comme Stephen King.

    Le cliffhanger final est aussi imparable qu'imprévisible : bel preuve de soutien éditorial qui permet de savoir quel chapitre sera le dernier dans la publication en recueil.

    Très impressionnant également l'élégance du savoir-faire du scénariste pour doser les rebondissements, la part de mystères et de réponses.

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    Réponses
    1. La réalisation - J'avais cherché aussi, mais je n'ai trouvé aucune info non plus.

      Les enfants - D'habitude, je ne suis pas amateur de l'intervention d'enfants dans une intrigue policière. Mais dans "Monster", c'est presque indispensable.

      Très, très bon tome que ce numéro douze.

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