Intitulé "Cocardes en flammes", ce recueil est le deuxième tome de "Ciel de guerre", une série complète en quatre numéros publiée chez Paquet, dans la collection "Cockpit" de l'éditeur genevois, entre mai 2014 et août 2016. Sorti en avril 2015, cet ouvrage relié (à la couverture cartonnée) de dimensions 24,0 × 32,3 centimètres renferme un total de quarante-six planches en couleurs. Notons que la maison Paquet a réédité la tétralogie en une intégrale en un seul volet, paru en mai 2019.
Philippe Pinard, journaliste passionné d'aviation spécialisé dans la presse moto, est l'auteur du scénario. La partie graphique (les dessins, l'encrage, la mise en couleurs) est réalisée par Olivier Dauger. Pinard et Dauger avaient déjà travaillé ensemble sur une autre série d'aviation, "Ciel en ruine" (titre en cinq tomes publiés entre 2007 et 2012, chez le même éditeur).
Précédemment, dans "Ciel de guerre" : Étienne saute de son avion en flammes, se cogne contre la gouverne de direction, et s'évanouit. Il se réveille alors que son parachute s'ouvre, et est témoin de la traversée de la Meuse par les Allemands.
Le 21 mai 1940, terrain d'aviation d'Orconte, dans la Marne, par ciel clair : entièrement retapés, trois Curtiss H. 75 rentrent d'Auxerre, du Centre d'entretien spécialisé. Le capitaine est satisfait, mais Marceau est moins enthousiaste. Ce n'est "pas du luxe", car il ne leur restait que neuf chasseurs disponibles pour toute l'escadrille. Ils doivent accélérer le roulement sinon ils vont se retrouver "à poil". Après l'atterrissage, Marceau vient caresser le fuselage de l'un des avions, et affirme qu'il manque "une dernière touche de finition" : sous les yeux d'un mécanicien éberlué, il attrape un seau de peinture terre de Sienne, et en applique une légère couche sur la cocarde tricolore. Un pilote l'apostrophe avec véhémence. S'il veut "jouer du pinceau", qu'il passe de la graisse sur les culasses des mitrailleuses ! Le capitaine intervient en riant : Marceau à raison. Voyantes, ces cocardes offrent une cible parfaite aux Bf. 109, et Marceau ajoute qu'elles sont également trop proches de la cabine...
Le constat des "Diables rouges" n'était pas glorieux. Ici, c'est pire. Pinard continue à explorer les raisons de la débâcle dans un album qui est encore plus à charge pour l'Armée de l'air que le précédent. La liste est longue : les cocardes de fuselage, cibles idéales pour les pilotes allemands, car trop voyantes, et peintes trop proches du cockpit ; les postes radio, non harmonisés entre les groupes de chasse et les groupes aériens d'observation ; les missions idiotes, comme un avion à escorter qui s'avère plus rapide que son escorte, ou l'envoi d'avions de chasse contre des blindés ; les appareils sagement alignés sur les aérodromes, n'attendant plus que les bombes de la Luftwaffe ; les chasseurs livrés, mais non opérationnels, nécessitant par voie de conséquence des arrêts à trois bases différentes afin d'être "conformés". Il y a aussi les effets pervers de la propagande, qui rend les officiers (tel cet âne de Saint-Jeaume) naïfs ou trop confiants, et l'absence d'esprit combattif. Certaines scènes révulsent le lecteur patriote : l'attitude du Français moyen, insupportable d'indolence (le café du Parc), ou la bêtise crasse des deux gendarmes (idem). Pinard réussit un tour de force, mêler étroitement son intrigue aux faits historiques, sans que scénario et dialogues ne deviennent purement informatifs ou pédagogiques. Chaque personnage a ainsi ses états d'âme et ses opinions. L'amitié entre Tournemire et Marceau n'est pas creusée davantage, elle est en roue libre (sauf à la fin), mais le tandem, créé dans "Les Diables rouges", fonctionne plutôt bien. Néanmoins, l'écriture de Pinard n'est pas exempte d'incohérences. Chatel, par exemple, pourtant tellement conscient des dysfonctionnements de l'Armée de l'air, refuse de croire à la déroute totale, même après avoir rencontré les soldats en fuite, à la suite de l'atterrissage forcé. Curieux. Peu après, le même, qui vient de haranguer les biffins pour qu'ils repartent au combat, s'offre une visite de Notre-Dame de Reims avec sa cousine Caroline ; l'escapade étant dénuée de sens, le lecteur se demande quelles consignes Pinard a laissées à Dauger pour la narration graphique. Des détails ; cet album est une réussite.
Le talent de Dauger est essentiel à la série. Son trait réaliste, qui s'inscrit pleinement dans la grande tradition franco-belge, est fin, régulier, élégant. Ses finitions sont en général impeccables. L'encrage est sans excès. Dauger figure les ombrages avec une légère touche de peinture plus sombre. Les véhicules, automobiles et aéronefs, sont représentés avec une exactitude de dessinateur industriel. Tout est soigné avec amour et avec goût, les accessoires, les objets de la vie quotidienne (le paquet de Gauloises Caporal, le présentoir à œufs sur le comptoir du mess, ou les plaques publicitaires), les uniformes, les reproductions d'affiches de propagande. Les scènes de combats aériens sont non seulement limpides, mais aussi spectaculaires. Particulièrement abouties, elles facilitent l'immersion du lecteur. Des éléments biographiques précisent que Dauger dessine "à l'ancienne", mais qu'il utilise "Photoshop" pour sa mise en couleurs ; celle-ci est organique, réaliste et suffisante en contrastes.
Second tome, celui de la débâcle totale. Un volet à charge pour le haut commandement de l'Armée de l'air ; le constat est sans pitié. Nombreux sont les manquements qui demeurent incompréhensibles. L'armistice est signé. C'est aussi dans ces pages que des choix doivent se faire : Vichy ou l'Angleterre - malgré Mers el-Kébir.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Ciel de guerre, Étienne de Tournemire, Marceau, Armée de l'air, Luftwaffe, Jagdgeschwader 2 "Richthofen", Philippe Pinard, Oliver Dauger, Paquet
Un an entre les deux tomes : par curiosité, est-ce que tu souhaiterais réduire ce délai ou est-ce qu'il n'a pas d'importance ?
RépondreSupprimerLes raisons de la débâcle - Les postes radio, non harmonisés entre les groupes de chasse et les groupes aériens d'observation : un exemple qui semble d'une évidence patente, une preuve indiscutable de la bêtise militaire. Et pourtant, je m'interroge. A titre professionnel, j'ai déjà participé à des projets nécessitant de faire des projections de trois à huit ans dans l'avenir et, six ans plus tard, les utilisateurs me faisaient des remarques sur des choix à l'évidence idiot une fois mis à l'épreuve, mais du fait de circonstances qu'il était impossible de prévoir. Le réquisitoire à charge ne me gêne pas en soi, mais je le tempèrerais par le fait que l'auteur a la connaissance de ce qui s'est passé après.
Les véhicules, automobiles et aéronefs, sont représentés avec une exactitude de dessinateur industriel : je retrouve là la volonté que tu pointais dans le tome 1, de coller au plus près à la vérité historique. En fonction de son projet quand il écrit sur la guerre, Garth Ennis, spécialiste du genre, se livre à un savant dosage entre faits réels et personnages de fiction, car il ne veut pas laisser croire au lecteur qu'en tant que scénariste il était présent lors des faits. Il ne veut pas faire croire qu'il sait comment telle ou telle personne a réellement agi. Il se montre également très pointilleux sur l'exactitude historique en ce qui concerne les armes et les engins, mais sans aller vers un artiste réalisant des dessins de type dessins industriels, je pense en particulier à Goran Parlov qui se montre exact sans être dans le registre de la description technique. Des choix d'auteur intéressants, et incitant à se poser des questions sur la représentation de faits historiques.
Un an entre deux tomes, c'est toujours trop pour moi. Tu as sans doute remarqué que ma "production" avait chuté. En outre, le fait d'avoir toujours de longues séries au planning ne m'aide pas à boucler les séries courtes aussi rapidement que je le souhaite. Mais celle-là, je la finis cette année.
SupprimerLes projets. Je vois ce que tu veux dire, et cela s'applique sans aucun doute pour certains points. Mais là, on est dans des projets de défense nationale, et contrairement à toi, j'attends une forme d'excellence opérationnelle de la part des militaires : faire vite et bien pour défendre le territoire national en cas d'agression extérieure. Là, de toute évidence, on n'allait pas dans cette direction. Mais tu me rétorqueras - avec raison - que je m'exprime avec "la connaissance de ce qui s'est passé après".
L'exactitude historique. J'ai sans doute oublié de mentionner qu'elle se retrouvait dans les couleurs (les avions, les uniformes, etc.). Dauger n'a pas un style tape-à-l'œil, mais quel coup de crayon ! Je pense que je m'attaquerai à "Ciel en ruine" lorsque j'aurai terminé "Ciel de guerre".