mardi 18 avril 2023

"O.M.A.C." (Urban Comics ; novembre 2014)

Intitulé "O.M.A.C.", cet album, publié en novembre 2014, dans la collection "DC Archives" de l'éditeur Urban Comics, contient les versions françaises des "OMAC" #1-8 (octobre 1974 à décembre 1975), soit l'intégralité de la série. Ce recueil relié de dimensions 19,0 × 28,5 centimètres, avec une couverture cartonnée, compte cent soixante-quatre planches, toutes en couleurs, en incluant les couvertures d'origine. Quelques bonus en fin d'ouvrage : une préface de Mark Evanier de deux pages, une postface de Jérôme Wicky (trois), plusieurs crayonnés de Kirby (sept), ainsi que des biographies succinctes de Kirby, Berry, et Royer (une page). 
C'est Jack Kirby (1917-1994), alias le "King", qui a écrit les scénarios de tous les numéros, donc. Et c'est aussi lui qui en a produit les dessins ; le poste d'encreur a été confié à Mike Royer pour deux numéros, et à D. Bruce Berry (1924-1998) pour les six autres. Pour les mises en couleurs, il n'y a aucun crédit, ce qui, contrairement à Marvel, était ordinaire chez DC Comics à l'époque. 

La Terre, le futur, site de production de l'entreprise "Simili-Sapiens" ; OMAC y contemple une caisse dans laquelle gît un androïde féminin conditionné, mais pas monté. Au centre, sa tête, de chaque côté ses jambes et ses mains. La bouche de la chose susurre un "coucou" obscène en guise de salutation et invite son utilisateur à l'assembler afin qu'elle devienne son "amie". Écœuré, OMAC reconnaît les traits de Lila, la collègue dont il était épris. D'autres modèles "Monte-ton-amie" sont entreposés derrière ; d'un ton péremptoire, il ordonne aux employés d'évacuer la section, car il va "la détruire". L'un des ouvriers s'étonne qu'OMAC ait anéanti leur défense alors qu'il est seul. Un autre, peu rassuré malgré son arme, tente de se convaincre qu'ils sont "assez nombreux pour l'arrêter". OMAC invoque solennellement les pouvoirs qui lui ont été conférés par l'Agence planétaire de la paix et déclare l'usine "illégale et dangereuse". Les autres détalent sans demander leur reste. Les épaules voûtées par la peine, il se penche à nouveau sur la boîte. Lila l'incite derechef à la "monter". Pour OMAC, "aucun homme digne de ce nom" ne peut faire une telle chose... 

"O.M.A.C.""Organisme métamorphosé en armée condensée" ; "One-Man Army Corps" en version originale - est l'une des dernières œuvres de Kirby avant qu'il retourne chez Marvel. OMAC est une lointaine variation sur le thème de Captain America, sans le libre arbitre : l'Agence planétaire de la paix sélectionne Otto Ordinaire ("Buddy Blank"), un parfait inconnu, afin de le transformer en agent de terrain doté de super-pouvoirs - à son insu ; OMAC ne remettra néanmoins jamais en question ni l'APP ni ses missions, bien qu'il soit sujet à une très rare réflexion existentielle çà et là. Il n'a pas le temps de s'interroger de toute façon, l'APP l'envoie sur tous les fronts, sans répit. Au temps pour la vie privée, même si l'omnipotente, omniprésente, omnisciente APP lui propose - impose - des parents de substitution. Kirby ne développera pas l'idée. Aucun temps mort, donc, mais les ennemis de l'humanité ne lui en laissent point. Aidé de l'Œil, tels un prophète et le dieu qu'il sert, OMAC lutte successivement contre le crime organisé, un multimilliardaire corrompu, un maréchal belliciste coupable de crimes de guerre et sa chose tueuse, des monstres et un savant fou. Parmi toutes les trouvailles de son imagination, Kirby évoque des thèmes et a des idées qui le nimberaient presque d'une aura de visionnaire : les robots de compagnie, peut-être sous l'influence de "Do Androids Dream of Electric Sheep?" (1968), de Philip K. Dick (1928-1982) ; la quête éternelle de la jeunesse, plus que jamais d'actualité (cf. Altos Labs) ; ou la problématique de l'eau en tant que ressource. Quant au maréchal Kirovan Kafka, c'est sans surprise qu'il incarne l'archétype du dictateur autant qu'il personnifie le bloc de l'Est. Ces huit numéros forment un tout d'une cohérence admirable. Kirby n'approfondit pas la description de sa société, mais ce serait superflu : sa vision de ce futur est pessimiste, mais l'espoir n'en a pas été banni. Bien que trop courte et marquée d'une conclusion abrupte, la somme est captivante, étonnante, entraînante, dramatique, et animée par un texte sur ce ton solennel et grandiloquent commun aux œuvres de Kirby, un effet qui fonctionne systématiquement. 
Outre le nom de Kirby, l'amateur se réjouira de découvrir ceux de Royer et de Berry aux crédits ; le premier fut l'un des grands encreurs de son temps, le deuxième son assistant. C'est gage que les planches du maître ont été traitées dans le plus grand respect. Et c'est le cas, même si Berry reste imperceptiblement en deçà de Royer. À partir de là, le lecteur jouit pleinement des planches, qui sont un bonheur pour l'œil. Ah, ces compositions prodigieuses, aussi brutes que travaillées, aussi dynamiques que monumentales ! La première planche de chaque numéro est toujours suivie d'une double page terrible : empoignades, monstres, engins du futur, paysages désolés. Enfin, la mise en couleurs est impeccable dans le sens où elle est suffisamment organique pour mettre en valeur l'art du maître, tout en ayant assez bien vieilli. 
La traduction a été effectuée par Jérôme Wicky. Elle est remarquable, créative et le texte est soigné. Remarque : "alter ego" ne prend pas de trait d'union en français.

Fresque conceptuelle et visuelle extraordinaire et magistrale, la saga "O.M.A.C." aura marqué les esprits. John Byrne reprendra le titre le temps d'une seconde période éditoriale, en 1991. Quant à l'Œil et ses agents, ils seront intégrés sous une autre forme dans l'univers de DC Comics, notamment dans "Infinite Crisis", de 2005. 

Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

OMAC, Otto Ordinaire, Agence planétaire de la paix, Œil, Mr Big, Maréchal Kafka, Cabale du Crime, Dr Skuba, Jack Kirby, Mike Royer, D. Bruce Berry, DC Comics, Urban Comics

2 commentaires:

  1. Aaaaaaaaaaaahhh !!! Quel plaisir de découvrir mieux qu'un 5 étoiles comme verdict.

    Parmi toutes les trouvailles de son imagination : je suis toujours autant en admiration sur la puissance créatrice de Jack Kirby, son imagination intarissable.

    Bien que trop courte et marquée d'une conclusion abrupte : j'aurais bien aimé également que Kirby dispose d'un épisode de plus pour conclure.

    Les planches du maître ont été traitées dans le plus grand respect : 100% en phase avec ton appréciation. Dans mes bras !

    https://www.babelio.com/livres/Kirby-OMAC/654366/critiques/685495

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    1. Mieux qu'un cinq étoiles - Que veux-tu. À ma décharge, je ne peux pas voir des chefs-d'œuvre partout, cela n'existe pas. Ici, c'est ce que j'ai lu de meilleur de la part de Kirby ; une affirmation qui n'engage que moi. J'ai pourtant eu quelques difficultés à me convaincre de le lire, celui-là. Je pense déjà au "Démon", en espérant que je vais me régaler.

      Concernant les deux encreurs, j'ai lu ton article ; je trouve ça toujours amusant et encourageant de découvrir que nous sommes d'accord sur les aspects les plus pointus d'une œuvre.

      Toujours concernant Kirby, figure-toi que je suis en train de lire sa bibliographie par Mark Evanier.

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