Publié en mars 2004 par l'éditeur bruxellois Kana dans sa collection "Big Kana", "Évasion" est le treizième volume de la version française de "Monster", un manga de type seinen. C'est un ouvrage broché (dimensions 12,8 × 18,0 centimètres, avec jaquette plastifiée amovible) d'environ deux cents planches en noir et blanc. Il se lit de droite à gauche. Au Japon, "Monster" fut publié en magazine de 1994 à 2001, puis réédité en volumes reliés de 1995 à 2002. En France, "Monster" est sorti en dix-huit recueils entre 2001 et 2005, réédités en une intégrale en neuf volumes - ils regroupent deux tomes chacun - entre 2010 et 2012.
"Évasion" a été entièrement (a priori) réalisé (scénario, dialogues, dessins et encrage) par le Tokyoïte Naoki Urasawa (il est né en 1960), qui est également connu pour "Yawara!" (de 1986 à 1993) ainsi que pour "20th Century Boys" (de 2000 à 2007).
Précédemment, dans "Monster" : Tenma est appréhendé par la police tchèque et incarcéré à Prague, avant d'être extradé vers l'Allemagne. Le docteur Leichwein court l'aider. Eva Heinemann lui impose sa compagnie ; elle prétend avoir vu Johann.
Prague, hôpital Saint-Jaromir : assis sur son lit, l'inspecteur Jan Suk visionne le journal télévisé, que diffuse un poste compact posé sur la table de chevet de sa chambre. D'après les informations, Tenma reste le suspect nº1 dans l'affaire des meurtres de Düsseldorf et de Heidelberg. L'arrestation du Japonais est ensuite annoncée ; il serait extradé vers l'Allemagne ce jour même, vraisemblablement vers Düsseldorf. Suk refuse de le croire : "Comment est-ce possible ?" N'est-ce pas ce médecin qui - d'après Grimmer - le sauva en lui prodiguant des soins d'urgence après qu'il fut blessé par trois balles de fusil ? Grimmer avait souligné que Tenma était, lui aussi, accusé de crimes qu'il n'avait pas commis et conclu que leurs situations étaient "similaires". Suk est conscient qu'il doit la vie à Tenma, et que celui-ci est dans la même situation que lui. Il repense à ce que lui avait dit Heinrich Runge, le fameux commissaire du BKA : "Un inspecteur... doit toujours manier ses outils avec précaution et sang-froid"...
Le titre de ce tome est sans équivoque ; alors puisque le scénario passe par la case prison, quoi de plus évident que de mettre en scène deux intervenants symboliques du système carcéral, un détenu et un avocat, mais pas n'importe lesquels. D'abord Gunther Milch, le braqueur de fourgons multirécidiviste. Ce maître de la simulation, qui n'a pas sa langue dans sa poche, est devenu un roi de l'évasion. Il a réussi à s'enfuir à douze reprises, mais a été repris à chaque fois. Curieux bonhomme, incapable de rester en liberté, comme si seules comptaient l'évasion et sa planification et qu'il souhaitait inconsciemment retourner au mitard, pour avoir le plaisir d'en ressortir. En contant cette terrible enfance, Urasawa sous-entend que Milch avait déjà l'âme d'un prisonnier avant d'être incarcéré. Puis Fritz Verdeman, hanté par le destin d'un père condamné pour espionnage qui se suicida dans sa cellule ; devenu avec le temps "le héros des tribunaux", obsédé par les fausses accusations au point d'en faire la grande mission de sa vie. Deux hommes fracturés par la vie, façonnés par le destin de leurs parents et la prison, devenus des pointures dans leur partie. Si l'histoire de Verdeman paraît un brin convenue, celle de Milch fait froid dans le dos ; "Monster" n'a jamais été aussi noir que depuis le début de la seconde moitié. Ainsi, à peine les grands personnages secondaires revenus au cœur de la saga qu'Urasawa en crée de nouveaux. D'un côté, l'intrigue le justifie ; de l'autre, le lecteur s'interroge sur cette chaîne infinie de seconds rôles. S'il confirme son intarissable créativité en la matière, Urasawa n'oublie pas tout à fait les "anciens". Par exemple Runge, dont l'enquête progresse. Mieux : par le truchement d'une remarque finement placée, le voilà qui opère un revirement à propos de Tenma. Quant à ce dernier, égal à lui-même, miné par la culpabilité, il prend tous les risques pour réparer les conséquences de sa décision. N'oublions pas cette implacable maîtrise du suspense, en témoignent la scène où Suk rencontre ses collègues (pages 12-15) et celle où le visage de maître Alfred Baul est dévoilé, provoquant un émoi terrible chez Tenma (pages 97-100).
La partie graphique est dans la lignée des numéros précédents. La différence marquée en matière de finition entre décors d'un côté et personnages de l'autre continue d'intriguer le lecteur, qui finit par se demander si les premiers, dont la précision est décidément troublante, n'ont pas été conçus au dessin numérique, et ce, bien que les premiers épisodes de "Monster" aient presque trente ans à ce jour. Concernant ses figurants (exemple, le plus petit des deux policiers en page 13), Urasawa peine à varier les physionomies. En outre, le lecteur pourra trouver outrancier le traitement réservé à Eva Heinemann, dépeinte - sauf à la fin - comme une mégère hystérique obsédée par sa revanche, à la limite de la caricature. Mais cela n'enlève rien à la lisibilité des dessins, la clarté du découpage, ou l'impact des onomatopées.
La traduction est effectuée par Thibaud Desbief, qui est attitré à "Monster" depuis le tout premier tome. Un travail de qualité : texte impeccable, ni faute ni coquille.
Nouveau tome, nouveaux personnages secondaires. S'agit-il d'un artifice narratif pour prolonger la série ? Il semble que non, tant ces éléments se justifient pleinement et s'intriquent à la perfection. Quant à l'intrigue principale, Urasawa continue à en révéler les innombrables connexions ; la conclusion approche, peu à peu...
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
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Docteur Tenma, Docteur Leichwein, Heinrich Runge, Eva Heinemann, Gunther Milch, Fritz Veldeman, Alfred Baul, Naoki Urasawa, Kana
Comment ça quatre étoiles ?
RépondreSupprimer[…] comme si seules comptaient l'évasion et sa planification : une vision intéressante de façon pour l'individu de répéter les mêmes schémas qui le valorisent.
Monster n'a jamais été aussi noir que depuis le début de la seconde moitié : une phrase qui m'a pris par surprise car ce qui précède dans ton article ne laisse pas deviner cette dimension.
Une chaîne infinie de seconds rôles : à la lecture de ton article, j'ai la sensation que c'est ce point-là qui coûte une étoile à ce tome. Du peu que je me souviens des premiers tomes, Tenma voyage beaucoup ce qui lui faisait rencontrer beaucoup de monde, et l'enquête de l'inspecteur l'amène à remonter la chaîne de beaucoup d'individus dont la vie a été impacté par Johann.
Les décors conçus au dessin numérique : je me souviens que les balbutiements de l'infographie datent du début des années 1990. En revanche, il me semble que les logiciels de modélisation n'ont fait leur apparition dans les comics que ces dix dernières années.
Mais oui, cher ami, quatre étoiles. Et tu as eu la bonne sensation. Après avoir retrouvé la plupart des personnages secondaires dans le tome précédent, ici j'ai à nouveau le sentiment d'une sorte de séparation forcée, en quelque sorte, où l'auteur m'impose de nouveaux venus un peu trop vite. C'est aussi tout l'art d'Urasawa, mais là je me suis dit que le mécanisme se répétait trop tôt.
SupprimerMerci pour cette précision concernant le dessin numérique. Pour moi ça reste donc une forme de mystère, mais j'ai déjà repéré ça dans d'autres mangas.