jeudi 6 avril 2023

"The Fable" : Tome 3 (Pika Édition ; août 2021)

Sorti chez Pika Édition - du groupe Hachette Livre - en août 2021 dans la collection "Pika Seinen" de l'éditeur, cet ouvrage est le troisième numéro de la version française du manga seinen "The Fable", parfois sous-titré : "The silent killer is living in this town". C'est un fascicule broché, de dimensions 13,0 × 18,0 cm, avec jaquette plastifiée amovible et colorisée. Il comprend à peu près deux cents planches (en incluant les couvertures) en noir et blanc (en nuances de gris plus précisément) ; il se lit de droite à gauche. Au Japon, la série fut prépubliée de 2014 à 2019 dans "Weekly Young Magazine" (éditeur Kōdansha Ltd). 
C'est Katsuhisa Minami qui a créé cette série et a entièrement réalisé ce troisième recueil, le scénario, le dessin et l'encrage. L'auteur, né en 1971, est encore peu connu dans nos contrées : rares sont ses œuvres qui ont été traduites en français. Outre "The Fable", Minami a aussi produit deux saisons de "Naniwa Tomoare" - une publication qui lui vaut le 41e prix Chiba Tetsuya (en 1999). Enfin, "The Fable", qui compte vingt-deux volumes en tout, a été adapté en film sous le même titre, en 2019. 

Précédemment, dans "The Fable" : Après l'avoir invité au restaurant, Takeshi Ebihara, le lieutenant du clan Maguro, persuade "Akira" de se trouver un emploi. Apercevant Misaki, il lui révèle son faible pour elle et lui ordonne de ne pas l'approcher. 
"Yōko" est chez elle, assise à la table de sa cuisine ; l'air fatigué, elle sirote une tasse de thé bien chaud. Elle jette un œil au sol. Allongé à même le parquet, Takahashi dort profondément en ronflant, le tuyau de l'aspirateur presque enroulé autour de son cou. Yōko est circonspecte ; hier soir, elle le trouvait "tout mignon", mais depuis, quelque chose "a changé". De son côté, "Akira" est réveillé par la lumière du jour, qui filtre à travers le store de la salle de bains ; il a passé la nuit dans la baignoire. Il la programme afin qu'elle se remplisse automatiquement et à la bonne température ; il jouit de l'instant. Ebihara débarque au siège du clan Maguro, un bâtiment cossu. Là, il tombe sur Kuro ; il demande au jeune homme où se trouve Takahashi... 

La couverture est trompeuse, ce n'est pas ici que Fable reprend du service. Minami continue à installer le contexte et à développer la substance des personnages. Cela prend du temps ; par conséquent, le rythme tourne au ralenti. Après Takahashi dans le tome deux, c'est à Kuro que l'auteur s'intéresse. Ce jeune homme à la chevelure peroxydée n'a d'autre ambition que de devenir tueur à gages, et pour mentor, c'est Fable qu'il souhaite. Il est prêt à tout pour attirer l'attention de celui qu'il considère déjà comme son maître. Gâchis ? À sa décharge, le marché du travail japonais n'a rien d'enthousiasmant ni de glamour. À travers la recherche d'emploi pleine d'humour d'Akira, Minami dépeint un Japon laborieux à l'opposé de l'image élitiste des keiretsu. C'est l'envers du décor ; celui des PME/TPE dont la survie ne tient qu'à un fil, des bas salaires, et des emplois ingrats. Et encore faut-il être coopté ! Mais nous sommes au pays où le chômage est un déshonneur. Ainsi, Fable/Akira accepte un poste de livreur (et nettoyeur de toilettes) payé 800 yens de l'heure (l'équivalent de 6,10 euros) dans une petite boîte de graphisme dont le patron - qui n'a rien d'un startuper - vit dans l'agence même pour "réduire les dépenses". Fable/Akira, entre journées de boulot et programmes télévisés d'une ineptie grossière, continue tant bien que mal à se fondre dans le moule. Malgré son palmarès long comme le bras, il a ses chances d'y parvenir, les autres personnages masculins ne valant guère mieux ; outre Kuro, il y a Kainuma, un pervers qui s'introduit chez Misaki après lui avoir volé ses clés et viole son intimité, paré de sa lingerie, et Kojima, jeune yakuza enclin à la violence qui vient de tirer quinze ans, qui refuse de comprendre que "les temps ont changé", et qui n'aspire qu'à regagner son titre de "prophète de la terreur". Il est instructif, ce développement sur les yakuzas (s'il est authentique): Ebihara y explique l'évolution nécessaire des clans, l'apparition du salariat, la désuétude des armes à feu, etc. Pour conclure, le lecteur se dit que "The Fable" s'encroûte un brin, mais pour l'instant la série reste cohérente, drôle, décalée, et continue à se lire avec plaisir. 
La partie graphique ravit le lecteur. Il retrouve avec bonheur ce trait précis, exact, ces arrière-plans détaillés sans surcharge, bien que beaucoup soient parfois réduits à une simple couche de couleur unie (surtout pour les gros plans, les plans poitrine et les plans taille), cette approche réaliste de l'expressivité, et le réalisme presque naturaliste qui caractérise l'œuvre : les postures des personnages, les vêtements (les costumes des yakuzas cadres, sans fantaisie), les objets de la vie quotidienne, les véhicules, ou encore l'absence d'invraisemblances anatomiques. La limpidité des compositions, la science du découpage, et la clarté des enchaînements figurent parmi les points forts de Minami. Notons quand même que certaines planches présentent un encrage un peu trop atténué. Elles manquent donc d'un peu de contraste. 
La traduction de Djamel Rabahi propose un texte tout à fait compréhensible. Relevons néanmoins une faute d'accord élémentaire, en page 137 ("opposé" prend un "s").

Ce troisième numéro est dans la lignée du deuxième. L'absence d'action décevra à tous les coups, mais Minami continue à développer le cadre et le contexte autour de Fable/Akira. Les seconds rôles qu'il a conçus sont réussis et la galerie, qui commence à s'étoffer, permet à l'auteur une gestion plus équilibrée des personnages. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

The Fable, Misaki, Yakuzas, Clan Maguro, Takeshi Ebihara, Takahashi, Kuro, Kojima, Katsuhisa Minami, Pika

2 commentaires:

  1. Décidément une série qui surprend : une plongée dans le monde des PME/TPE, l'apparition du salariat dans les clans, la véracité dans les costumes et les objets de la vie quotidienne, les véhicules. Visiblement une immersion de qualité dans le Japon ordinaire et banal, mais exotique aux yeux d'un occidental.

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    1. Qui surprend, en effet. Entre le pervers qui finit une culotte sur la tête, les jeunes yakuzas qui n'aspirent qu'à sortir les pistolets, les anciens qui ne veulent pas provoquer de remous, et Fable qui s'implique dans sa recherche de la normalité... ; pour le moment, je reste client.

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