Cet ouvrage intitulé "Sans pitié" est le treizième tome de "Durango", la série de western spaghetti créée en 1981 par le Belge Yves Swolfs, célèbre également pour "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" fut d'abord publié par Les Archers puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin par Soleil (du groupe Delcourt) depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité la somme. "Sans pitié" parut d'abord sans prépublication chez Alpen en mars 1998 puis fut réédité deux fois, par Les Humanoïdes associés en 2006 et plus tard par Soleil en 2008 sous la forme d'un album relié (de dimensions 30,0 × 23,0 centimètres, avec une couverture cartonnée). "Sans pitié" compte quarante-six planches.
Swolfs a scénarisé "Sans pitié" et en a réalisé les dessins et l'encrage. Sa femme Sophie Lafon/Swolfs (qui n'est créditée qu'en dernière planche) en a composé la mise en couleurs. Si le Bruxellois a produit les treize premiers numéros en solo, ou parfois avec l'aide d'un coloriste, il se fera remplacer au dessin à partir du quatorzième volume, "Un pas vers l'enfer" (2006).
Précédemment, dans "Durango", Celia Norton trouve accord avec les mineurs de Nortonville après les morts de son père et de Maxwell, et le travail finit par reprendre. Durango décide de rester auprès de Celia au moins jusqu'à la fin de l'hiver.
Son cheval lancé au galop, Durango traverse le désert. Il ne laisse derrière lui qu'un nuage de poussière. Le soleil de plomb et la maigre végétation témoignent de l'hostilité de la région. Il est donc reparti sur les pistes : il lui aura fallu une bonne raison pour le faire. Il est "sur les traces d'une ordure" : l'un de "ces monstres que la Terre n'aurait jamais dû porter..." Ce "chacal" a eu la "mauvaise idée" de passer par Nortonville - où Durango coulait "des jours paisibles !" Quelques jours plus tôt, une bande de pillards y avait attaqué l'agence de la First National Bank et vidé les coffres. La voie semblait libre jusqu'à ce que le shérif arrive, essoufflé par l'embonpoint ; il ordonnait aux bandits de lever leurs mains en l'air, lorsqu'il avait été descendu...
Cette histoire complète est très intéressante malgré un début difficile, une désagréable sensation de déjà-vu, de haut-le-cœur lorsque la famille Roswell est retrouvée massacrée (planche 8) : une de plus dans la série - toujours en narration suggestive afin de faire imaginer le pire. Mais il faut remettre Durango en selle ; si le poste de shérif de Nortonville ne l'intéresse pas, venger une famille trucidée marche à tous les coups. Celia s'interroge sur les motivations de son amant et lui reproche de saisir l'opportunité de renouer avec ses "instincts de tueurs". Durango rétorque que "chacun à une mission sur cette Terre". La sienne est de nettoyer "sa surface de quelques ordures", conclut Celia ; Durango reste évasif. Le souvenir d'un traumatisme remonte à la surface (planche 17) à la suite des propos de Celia et fait de la nature de ses motivations le leitmotiv du tome. Face à lui, Louie Holedigger, un tueur en série déséquilibré, sadique et incapable de résister longtemps à ses pulsions. Holedigger est inorganisé, mais rusé ; le titre de l'album s'applique d'ailleurs autant à lui qu'à Durango. Lors de leur ultime face-à-face (planches 43-45), Holedigger lui déclare qu'il le perçoit comme son semblable : "Nous sommes pareils, dans le fond" et développe. Une idée que Durango rejette froidement. Le lecteur s'interroge sur cette remise en question ; elle ne marque pas de tournant dans la série, mais semble plutôt utilisée pour revenir sur l'enfance de Durango. Swolfs la fera-t-il aboutir au fil des albums ? Notons aussi la volonté d'offrir de l'épaisseur aux seconds rôles : le shérif Retton, la contrepèterie avec son nom, son emploi amusant du "on" pour s'adresser à Durango et la réponse bien placée de celui-ci (planche 24). Autres exemple, Ma Holedigger, en mère acariâtre, castratrice, et le chef amérindien, de prime abord le stéréotype du vieux sage, mais dont la grave erreur de jugement coûte cher à la tribu. La scission du fil narratif en deux parties - Durango d'un côté, Holedigger de l'autre - réduit le poids de la linéarité à néant. L'auteur sait doser la surprise, le suspense, et il maîtrise l'art du dénouement final dans le respect des conventions de ce genre.
À ce jour, "Sans pitié" reste le dernier tome dessiné et encré par Swolfs. Il lui aura fallu du temps pour produire l'album, quatre ans. À sa décharge, l'artiste entame un autre chantier de taille en 1994, celui du "Prince de la nuit", dont il réalise les trois premiers volets à raison d'un par an. Cela explique pourquoi il transmettra la tâche de dessinateur de "Durango" à un autre artiste après ce tome. Quoi qu'il en soit, rien de bâclé ici, des planches de qualité, toujours du même trait réaliste, d'un niveau de détail très satisfaisant (par exemple, la décoration de la salle principale du saloon de Holwood), une mise en page de facture classique, sans exclure le dynamisme, un découpage d'une limpidité à toute épreuve, et un travail sur les paysages et les espaces de cet Ouest américain qui laissera le lecteur pantois d'admiration s'il prend le temps d'observer les planches, toutefois. Généreuse en contrastes, la mise en couleurs est très convaincante, malgré la sensation de voile terne par endroits.
"Sans pitié" est un volume dur, qui conte l'histoire d'une traque à travers petites bourgades et grandes contrées sauvages. Et pour la première fois depuis le début de sa série, Swolfs aborde la question de la nature et des motivations profondes de son pistolero, et évoque un traumatisme refoulé qui refait surface. Un bon album.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Western, Durango, Celia Norton, Louie Holedigger, Shérif Retton, Ma Holedigger, Yves Swolfs, Sophie Lafon, Sophie Swolfs, Soleil
Une désagréable sensation de déjà-vu (une famille massacrée de plus dans la série) : pour moi, c'est aussi une conséquence des conventions de genre, leur nombre est limité et le scénariste ne peut faire autrement que d'y revenir.
RépondreSupprimerJe note dans la suite de ton analyse les deux axes pour dépasser les conventions : le passé ou l'histoire personnelle du héros (Le souvenir d'un traumatisme remonte à la surface ) qui dépasse alors les simples conventions en devenant singulier, et l'épaisseur aux seconds rôles (le héros interagissant alors avec des individus différents, ce qui entraînent un déroulement différent).
Un travail sur les paysages et les espaces de cet Ouest américain qui laissera le lecteur pantois d'admiration : y a intérêt, c'est ça qu'on vient chercher dans un album de Durango !!! 😅
PS : le lien précédemment renvoie à Colorado plutôt qu'à L'héritière.
Les paysages - Oui, mais pas seulement, cher ami ; les paysages sont importants en cela qu'ils suscitent l'admiration du lecteur s'ils sont réussis, mais moi, ce que je viens chercher dans "Durango", ce sont des duels au soleil, style la fusillade de l'OK Corral. Je ne m'en lasse pas !
SupprimerMerci beaucoup pour la remarque concernant le lien. La manière de copier-coller les liens que j'utilise ne marche pas, de toute évidence ; il faut que je procède différemment ou que je revienne à la façon dont je procédais au début. C'est bon à savoir.