Publié en août 2015, dans la collection "Vertigo Signatures" d'Urban Comics, cet ouvrage est le deuxième d'un triptyque consacré au run de Garth Ennis sur "Hellblazer", soit une cinquantaine de numéros écrits sur deux périodes distinctes, 1992-1994 et 1999. Cet album contient les versions françaises des "Hellblazer" #57-71 (de septembre 1992 à novembre 1993), de "Tainted Love", une histoire complète tirée de "Vertigo Jam" (août 1993), et du "Hellblazer Special" (novembre 1993). Ce volume de dimensions 19,0 × 28,5 centimètres, avec une couverture cartonnée, compte quatre cent dix-sept planches (approximativement) sans inclure les couvertures - toutes en couleurs. En guise de bonus, une préface de Warren Ellis, deux couvertures, de courtes biographies.
C'est donc Ennis qui écrit les scénarios de ces seize épisodes. Ennis est un auteur important dans le domaine des comics de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. Citons entre autres "The Punisher", "The Boys", "Preacher". Les artistes qui l'accompagnent ici sont Will Simpson et Steve Dillon, qui devient "titulaire". Les numéros dessinés par Simpson sont encrés par Mike Barreiro ou Kim DeMulder. Tom Ziuko a composé les mises en couleurs ; Daniel Vozzo et Stuart Chaifetz interviennent chacun sur un numéro.
Précédemment, dans "Hellblazer" : Constantine menace Drake de le tuer s'il sort de la maison. Il l'abandonne ainsi à Triskele, qui l'emmène en enfer ; Constantine laisse le nourrisson avec un mot. Au pub, il tente d'oublier cette "sale nuit" avec un whisky.
Stokesley, Yorkshire. Un complexe entouré d'une clôture, isolé, à l'abri de tout regard indiscret. Deux hommes en blouse blanche déchargent des housses de corps d'un camion, sans les ménager, les empilent sur un chariot, et les transportent à l'intérieur d'un hangar ; de ces sacs mortuaires sont extraits des cadavres humains encore frais, tous dénudés. Les employés en installent un sur une chaise métallique ; ils l'attachent avec de larges ceintures de cuir, une pour maintenir le torse, l'autre les cuisses. L'un d'eux fait signe à d'autres employés : "C'est bon." À côté d'eux, une caméra et un support sur lequel est posé un fusil de précision...
Ça commence fort, avec un arc sordide où la brutalité froide et mécanique le dispute à la folie. Aussi original que cruel, le suivant évoque le fruit des amours interdits entre Tali et Ellie. Puis arrive une période plus tranquille pour Constantine - toutes proportions gardées. Déjà éprouvé, le lecteur, s'il est sensible, appréciera la pause. Mais s'il est familier de l'œuvre d'Ennis, il est conscient que le calme n'augure qu'une tempête bien plus violente. En attendant, il est serein en étant témoin de l'amour florissant entre John et Kit (malgré des nuages), en voyant "oncle John" punir un apprenti sorcier qui veut impressionner sa nièce, en assistant à une improbable soirée d'anniversaire. Ennis n'attend pas pour fracasser cette illusion de quiétude : certes, Constantine a enclenché son plan, mais il va réaliser qu'il ne peut raisonnablement espérer maintenir Kit en dehors de ses affaires. La violence crue opère son retour - et avec elle la cruauté et le cynisme de Constantine. Sa relation avec Kit, jusque-là en toile de fond, passe au premier plan. L'inéluctable se produit alors. Rupture et peine de cœur atteignent l'homme et le détruisent mieux que n'importe quel démon. La descente aux enfers commence. Constantine montre ce qu'il a de pire en lui, et Ennis, en bon iconoclaste, le lui fait payer cher. L'alcoolisme s'invite à son tour pour faire plonger Constantine dans les abysses de la société britannique de l'ère John Major, mais le gaillard prouve au roi des vampires qu'il faut encore compter avec lui ! Ennis creuse la facette humaine de Constantine, afin d'exposer ses côtés les plus sombres ; il conçoit un chapelet d'épisodes marquants, prenants, et passionnants, qui alternent tranches de vie et scènes-chocs, mais où les explications derrière les actes ne sont pas toujours limpides. Par rapport à ses premiers numéros, l'auteur opère un virage aussi surprenant que risqué, en faisant progressivement passer l'élément surnaturel à l'arrière-plan de l'histoire d'amour entre John et Kit - ce qui accentue la tonalité adulte de l'ensemble. Quant à l'impact sur l'atmosphère - dont l'outrance fait désormais partie intégrante -, la cohérence de cette dernière est étonnante.
Dillon devient donc dessinateur attitré de "Hellblazer" ; le contraste entre son style et celui de Simpson est prononcé, mais passe sans le moindre désagrément du côté du lecteur. Le coup de crayon de Dillon est aisément identifiable ; il pourra être qualifié de réaliste et d'épuré de par son approche minimaliste du détail ; ce n'est pas chez lui que l'on trouve les compositions les plus travaillées, bien que la qualité des finitions, la lisibilité des cases, la clarté du découpage soient irréprochables. L'une des autres forces de l'artiste est sa figuration de l'expressivité, avec un brin d'exagération, mais sans tomber dans la caricature : par exemple, la condescendance aussi sereine que glaciale du docteur Amis, la rage de Chas, le rictus moqueur de Kit, ou encore le sourire carnassier d'Ellie. Terne, la colorisation tire trop sur le pastel.
La traduction de Philippe Touboul est satisfaisante, malgré deux fautes d'accord dont une belle (répétée) à un titre : c'est "Héritage familial", pas "Héritage familiale".
Voilà une vision marquante de Constantine ; il est capable du meilleur comme du pire sans juste milieu, à la fois séduisant par son humour, mais aussi cynique et cruel, et enfin terriblement malheureux. C'est lorsque tout est noir et sans espoir qu'Ennis lui fait toucher le fond pour mieux le relever ; c'est classique, mais imparable.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
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Constantine, Kit, Chas, Ellie, Gabriel, Satan, Triskele, Sept archanges, Roi des vampires, Garth Ennis, Steve Dillon, Urban Comics, Vertigo
J'ai commencé par regarder le nombre d'étoiles, parce que c'est un élément visuel, puis j'ai lu l'article : je ne suis pas sûr de comprendre ce qui a coûté sa 5ème étoiles à ce recueil. Le fait que les explications derrière les actes ne soient pas toujours limpides ?
RépondreSupprimerEnnis conçoit un chapelet d'épisodes marquants, prenants, et passionnants, qui alternent tranches de vie et scènes-chocs : j'avais relevé cette évolution du dosage des ingrédients qui m'avait tout autant plu qu'à toi.
Le coup de crayon de Dillon pourra être qualifié de réaliste et d'épuré de par son approche minimaliste du détail. - Là aussi même ressenti que toi : au crédit de Dillon il faut porter une grande lisibilité de ses planches et un sens visuel du grotesque qui fait mouche. Steve Dillon se révèle un metteur en scène assez habile, capable de concevoir un découpage rendant ces scènes vivantes, et dépassant la simple alternance de champ / contrechamp. Les différents intérieurs (maison des Masters, appartement de Kit Ryan, entrepôt désaffecté) disposent de juste assez de détails pour être consistants et substantiels. Malgré tout Dillon n'est pas un chef décorateur très minutieux, c'est comme s'il avait disposé de juste assez de budget pour glisser un ou deux accessoires par endroit pour éviter une impression trop générique.
Avec les épisodes de ce tome, Garth Ennis et Steve Dillon ont trouvé leurs marques pour cette série, et plongent le lecteur dans une horreur aussi personnelle que palpable.
https://www.babelio.com/livres/Ennis-John-Constantine-Hellblazer-tome-7--Tainted-Love/703884/critiques/775829
Effectivement, je devais mettre cinq étoiles ! J'ai corrigé ; merci. Cela étant, sache que j'ai longtemps tergiversé. Je ne savais comment prendre ce virage à 180° des intrigues par rapport au premier volume. Et je suis toujours gêné par la personnalité de Constantine (le coup de la tronçonneuse), malgré cette caractérisation d'exception que lui offre Ennis.
SupprimerLes explications derrière les actes - C'est l'histoire du cœur de Gabriel. Constantine le lui ôte pour que l'autre le protège, mais j'ai trouvé que ça ne tenait pas debout, car Gabriel, après ce qu'on lui fait subir, n'est plus qu'une épave. Donc je vois mal comment il pourrait protéger Constantine, ça me paraît tiré par les cheveux.
Le sens visuel du grotesque qui fait mouche - Voilà des mots justes, qui définissent parfaitement le style d'Ennis ; j'espère que tu ne m'en voudras pas si je les réutilise à l'occasion d'un autre commentaire. Cela étant, ce sens du grotesque m'avait plus frappé dans "Punisher" que dans "Hellblazer", mais c'était parce que le ton d'Ennis s'y prêtait plus aussi.