Intitulé "Le Trio maléfique", cet album est le vingt-et-unième tome de "Ric Hochet", titre créé par le Tournaisien André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010), dit Tibet ; il fut prépublié dans les "Tintin Sélection" nº22 (décembre 1973), 23 (mars 1974) et 24 (août 1974), et sortit en album chez Le Lombard en septembre 1975. Cet ouvrage de dimensions 22,5 × 30,0 centimètres, relié, couverture cartonnée, inclut quarante-quatre planches. Série-fleuve en soixante-dix-huit volets, "Ric Hochet" s'étend sur près de cinquante ans (de 1963 à 2010). Une nouvelle série a vu le jour en 2015.
Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessins, encrage, mise en couleurs). Tibet ne réalisait pas les décors, qu'il déléguait intégralement à des assistants : les décoristes. Le nom du décoriste des tomes nº18 à 25 est inconnu : frère d'un célèbre dessinateur, l'artiste préféra conserver l'anonymat. Son identité reste un mystère, encore aujourd'hui.
Paris. Ce soir-là, Ric Hochet rentre chez lui. Quelle n'est pas sa surprise de trouver trois silhouettes dans le salon obscur. Pris de court, il réagit néanmoins sans tarder et cherche à allumer le plafonnier. L'un des inconnus l'informe que le courant a été coupé, un second que leurs revolvers sont braqués sur lui ; le dernier actionne sa lampe torche. Ils expliquent leur intention de "jouer ensemble" : lui, le détective, eux, trois criminels en puissance. Ils lui affirment que chacun d'entre eux commettra un forfait "dans les prochains jours" et lui lancent "un triple défi". Ric choisit cet instant pour foncer sur le trio les poings en avant, mais celui qui tenait la lampe torche l'éteint, et l'un de ses comparses étourdit Ric d'un coup du tranchant de la main sur la nuque. Sonné, Ric ne peut que regarder les trois intrus quitter l'appartement et lui donner rendez-vous le lendemain à Messidor 2, une ville nouvelle. Ric se relève au prix d'un réel effort et se dirige à tâtons vers les rideaux. Il lui vient l'idée de prendre son appareil photo. Il se penche par la fenêtre : les malfrats sortent de l'immeuble et courent vers leur voiture...
Un curieux album que "Le Trio maléfique". D'abord par la brièveté de son introduction. En guise de prologue, trois criminels s'invitent chez Ric Hochet pour lui déclarer la guerre, dès la première case ou presque. Pas de fioriture ; une entrée en matière brute et directe. Quand Ric ne va pas au crime, c'est le crime qui vient à lui ; c'est efficace, mais le lecteur fidèle est habitué à une mise en contexte plus progressive. Ensuite, la nature de l'intrigue. D'ordinaire, dans les romans à énigme, le coupable se cache parmi les protagonistes innocents, jusqu'à ce que tous soient convoqués par l'enquêteur à une réunion générale, lors de laquelle le pot aux roses sera dévoilé. Ici, c'est l'inverse : les trois coupables se dissimulent dans un groupe de quatre suspects. Il s'agit donc davantage de deviner qui est l'innocent, bien que (et c'est là une invraisemblance) l'intéressé montre décidément bien peu d'empressement à défendre son cas et à se distinguer des autres. Est-ce une volonté de Duchâteau d'apporter quelque chose de différent à un genre, à un modèle dans lequel il a allégrement puisé pour alimenter la série ? C'est envisageable. L'humour est toujours présent, mais là encore, la situation est inversée. D'habitude, c'est Ric le goguenard qui tient des propos railleurs à l'égard de l'adversaire. Ici ce sont les trois bandits qui se moquent du journaliste et de la police, incapables de réunir des preuves suffisantes pour les appréhender. Certaines plaisanteries tombent cependant à plat ou sont convenues ; c'est le cas de la séquence avec le vicomte Jean-Loup de Chasseneuil. Autre point, la structure de l'histoire, très académique : les coupables tombent l'un après l'autre dans une structure en trois actes un brin trop évidente. Cela étant, Duchâteau insuffle suffisamment de rythme dans son intrigue pour que la linéarité soit (quasiment) imperceptible. Cela suffit à limiter l'ennui du lecteur. Enfin, pour terminer, ce dernier pourra ressentir une forme de désintérêt pour un opus qui s'apparente peut-être plus à un exercice de style, d'autant que les mobiles des trois antagonistes sont futiles ; néanmoins, sa curiosité l'emportera jusqu'au dénouement de l'affaire.
Pas d'évolution significative de la partie graphique ; elle est dans la lignée des tomes précédents de cette décennie. Les amateurs retrouvent la lisibilité du découpage grâce à une mise en page limpide. Les planches sont structurées de façon traditionnelle, c'est-à-dire en quatre bandes, chacune comprenant jusqu'à trois, voire quatre cases. L'ensemble est assez dense, presque étriqué, et ne laisse guère de place à des compositions plus amples, nécessitant plus d'espace ; le château des Chasseneuil, par exemple, n'est même pas représenté en entier. Il semblerait d'ailleurs que le décoriste se contente du strict minimum - mais émettre un tel jugement reviendrait à oublier qu'il devait prendre en compte les consignes de Duchâteau et Tibet (a priori, car il est peu probable qu'ils aient laissé carte blanche au décoriste). À part la vue convenue sur la tour Eiffel, l'histoire pourrait finalement se passer n'importe où, les séquences se déroulant en intérieur, dans des terrains vagues ou en forêt.
"Le Trio maléfique" restera dans l'histoire de "Ric Hochet" comme le seul recueil dans lequel il y a plus de coupables que d'innocents. Malheureusement, l'essai n'est pas transformé de façon suffisamment convaincante et la partie graphique ne séduit pas suffisamment, bien qu'efficace. Malgré tout, le lecteur ira jusqu'au bout.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Ric Hochet, Commissaire Bourdon, Géo, Gérald, Nick, Yvan, Luc Donnait, André-Paul Duchâteau, Tibet, Le Lombard
Passage de 4 à 3 étoiles, du tome 20 au tome 21.
RépondreSupprimerQuand Ric ne va pas au crime, c'est le crime qui vient à lui : belle formule, et c'est plutôt agréable que l'aventure commence le plus rapidement possible, dans ces albums 48CC à la pagination limitée.
Il s'agit donc davantage de deviner qui est l'innocent : beau renversement du schéma habituel. Je vois que c'est ce que tu as relevé également pour l'humour. Je comprends bien ainsi ta remarque sur la notion d'exercice de style.
La linéarité est quasiment imperceptible : je constate que ce critère reste présent dans ta grille d'analyse.
Il semblerait d'ailleurs que le décoriste se contente du strict minimum : une première me semble-t-il dans cette série.
Je n'ai pas été convaincu par ce tome, non. Cela étant, ce n'est pas non plus mauvais, hein. Jusqu'ici, les mauvais "Ric Hochet" à mon goût sont rarissimes (un seul, je crois). Mais pour tout te dire, j'ai dû m'y reprendre à trois fois pour le lire, ce qui n'arrive normalement jamais lorsque je lis un "Ric Hochet".
SupprimerEt oui, j'ai été déçu par le travail du décoriste. D'où ma question : quelle était sa marge de manœuvre ? Faisait-il ce qu'il voulait, ou devait-il suivre un cahier des charges précis développé par Duchâteau et Tibet ? Je l'ignore, mais je suis convaincu qu'il n'avait pas carte blanche, ou en tout cas pas complètement.