lundi 11 septembre 2023

Durango (tome 14) : "Un pas vers l'enfer" (Soleil ; avril 2006)

Intitulé "Un pas vers l'enfer", cet ouvrage est le quatorzième de "Durango" : la série de western spaghetti créée en 1981 par Yves Swolfs, connu également pour "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" fut d'abord publié par Les Archers puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin par Soleil (groupe Delcourt), depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité la somme. "Un pas vers l'enfer" est sorti en avril 2006. Cet album de dimensions 30,0 × 23,0 centimètres, relié et avec une couverture cartonnée, contient quarante-six planches, toutes en couleurs. 
Swolfs a écrit "Un pas vers l'enfer". C'est le premier tome de la série dont le Bruxellois n'a réalisé ni les dessins ni l'encrage. La partie graphique a été produite par le Savoyard Thierry Girod. Girod s'était déjà essayé au western avec "Wanted" (1995-2004). La mise en couleurs est composée par Jocelyne Charrance, artiste qui avait, elle aussi, travaillé sur "Wanted"

Une bourgade miteuse du Far West. Sous un soleil terne, un vieil homme peu rassuré part avec les trois chevaux qui étaient attachés devant le saloon. Le cavalier d'une des montures l'aperçoit par une fenêtre de l'établissement : il n'en croit pas ses yeux ! Il prévient aussitôt ses deux camarades : un "vieux fou" part avec leurs "canassons" ! Ses comparses et lui sortent afin de demander des comptes au bonhomme. Leur meneur - un homme au visage taillé à la serpe et aux longs cheveux blancs - l'apostrophe : est-il "à ce point fatigué de la vie ?" N'a-t-il pas "passé l'âge de jouer aux voleurs de chevaux ?" Une autre voix l'interrompt : "Il n'avait pas le choix". C'est Durango, qui révèle avoir poussé le vieillard à s'emparer des chevaux ; lui n'était pas intéressé, quant à eux ils n'en auront plus besoin. Le pistolero aux cheveux blancs se fait menaçant ; s'il les connaissait, il n'oserait pas. Durango rétorque qu'il connaît, surtout depuis son passage à Nortonville ; il l'appelle même par son prénom, Clyde. L'autre comprend. Durango et les trois sont au milieu de la route : face à face, séparés d'environ cinq mètres... 

Sans évoquer directement sa qualité artistique, voici un tome intéressant sous bien des aspects ; cela fait huit (longues) années que le volume précédent - "Sans pitié" - est sorti. Alors que Durango repartait en chasse, Celia Norton lui avait demandé s'il reviendrait. "J'essaierai", avait-il répondu (planche neuf). Ici, le lecteur comprend que non seulement a-t-il essayé, mais qu'il y est parvenu. Étrange album, qui commence comme les autres s'achèvent : par un duel au soleil. Pause ou pas, Durango n'a rien perdu de sa précision mortelle ; en annonçant aux tueurs qu'ils n'ont plus besoin de montures, il semble plus sûr de lui que jamais. Surpris, le lecteur apprend que le pistolero traque les responsables de la mort de Celia, qui était enceinte. Swolfs n'a pas raconté cette tragédie en album pour une raison qui lui appartient. Dès lors, le lecteur a l'impression d'avoir loupé un épisode. Quoi qu'il en soit, après le premier acte de sa vengeance, Durango remonte la chaîne pour punir les commanditaires, une entreprise minière qui embauche des sicaires pour menacer ses concurrents et les racheter à bas prix. Swolfs prend ici le lecteur à contrepied à plusieurs reprises, à commencer par les victimes. Gainsworth, le propriétaire psychorigide de la petite mine locale, n'invite pas à la sympathie. Sa colérique épouse, à force de haïr cette région de toutes ses tripes, non plus. Seul Tommy, le fils, est touchant. Il voit ses parents être menacés, subit le tir dans la pomme par Lance Harlan, doit enterrer son père, est enlevé un revolver sur la tempe, retenu en otage et assiste au déferlement final de plomb et de sang. Il s'urine dessus et pleure, mais ne crie ni ne se plaint. L'Ouest est implacable pour les enfants aussi. Enfin, il y a la scène où Durango est perçu comme l'intrus menaçant l'espace de quelques cases, comme si Swolfs tenait à souligner le fossé entre gens du commun et pistoleros. Ingrédient essentiel de "Durango", la violence est moins sauvage ici que d'habitude ; en s'éloignant de l'outrance du western spaghetti, la série s'est aspirerait-elle à une forme de classicisme ? Le duel final boucle la boucle - pour l'instant, car il s'agit en fait d'un triptyque. 
Le changement majeur apporté par ce recueil est la présence de Girod au poste de dessinateur. L'artiste ne commet aucune faute de goût et prouve toute l'étendue de son talent. Son trait est évidemment réaliste. Il reproduit cette patte Durango avec un certain succès, les visages burinés, la remarquable densité de détail et le rendu cinématographique de sa mise en page grâce à l'effet format 16/9 (peut-être est-ce dû aux indications de Swolfs, mais cela n'est que spéculation). Peut-être utilise-t-il davantage la technique de l'incrustation. Il y a certaines cases - des portraits de Durango (conf. la vignette centrale en planche treize) - qui sont étonnantes, comme si elles avaient été élaborées par Swolfs lui-même. Les décors sont fameux et les arrière-plans soignés. Il y a néanmoins une caractéristique de la série sur laquelle Girod butte, sans l'ignorer : l'expressivité des regards. Enfin, cette mise en couleurs est terne, comme sous un voile de poussière, peut-être s'agit-il d'un effet désiré. 

Ainsi, la vengeance sort le pistolero de sa réserve. "Un pas vers l'enfer" est un album efficace dans l'absolu, aucun doute. Plus classique aussi, la violence y étant moins crue que dans d'autres volets. Cet opus se caractérise également par la transition au poste de dessinateur. Girod convainc, sans parvenir à faire oublier Swolfs. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Durango, Gainsworth, Shérif Butler, Clyde, Lance Harlan, Les frères Leary, Yves Swolfs, Thierry Girod, Jocelyne Charrance, Soleil

2 commentaires:

  1. Tu n'auras pas mis 8 ans entre la lecture du tome 13 et celle du tome 14. :)

    Swolfs n'a pas raconté cette tragédie en album : ça me rappelle, toute proportion gardée, Impitoyable de Clint Eastwood, qui commence après un certain nombre de tragédies alors que le héros a déjà plusieurs décennies au compteur. Toute proportion gardée car il ne s'agissait pas d'une série. On peut trouver d'autres exemples dans des séries : je me souviens que Dave Sim avait utilisé ce procédé dans Cerebus : un épisode qui commençait dans une toute autre situation que le précédent et une amnésie du personnage principal. Peut-être que le meurtre sera raconté dans un tome ultérieur ?

    Swolfs prend ici le lecteur à contrepied à plusieurs reprises, à commencer par les victimes : je ne suis pas sûr d'avoir suivi, les Gainesworth sont-ils des victimes ?

    Un autre exemple de série qui reste intéressante quand le scénariste reste, mais impossible de passer outre l'inévitable comparaison entre le dessinateur originel et le repreneur.

    La violence y étant moins crue que dans d'autres volet : est-ce que cet écart dans les caractéristiques fondatrices de la série a compté dans ta note finale ?

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    1. Je n'ai pas mis huit ans, mais je me mets dans la peau d'un fan de l'époque 😇. Certains avaient sans doute pensé que la série était terminée. Elle aurait d'ailleurs très bien pu en rester au tome treize. D'autres voulaient que ça continue ; je suppose que ces huit années ont dû leur sembler longues.

      Les Gainsworth sont des victimes, mais peu sympathiques du fait de leurs défauts et leur attitude.

      L'écart ? Il y a plusieurs choses. J'y reviendrai, mais le texte est plus fourni, c'est plus bavard. La violence est moins brute, moins glaciale. Les victimes ne suscitent guère de sympathie. Et Girod ne dessine pas comme Swolfs, malgré ses efforts et son talent ; c'est juste une question de personnalité du trait, seul Swolfs dessine comme Swolfs. Tout ça fait que je n'ai pas été convaincu, même si je ne me suis pas ennuyé non plus.

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