mardi 12 septembre 2023

Luke Cage : "Mafia Blues" (Panini Comics ; avril 2003)

Intitulé "Mafia Blues"cet ouvrage propose une histoire complète de Luke Cage, qui comprend les versions françaises des "Cage" #1-5 (de mars à septembre 2002 en version originale), soit l'intégralité de la période éditoriale de 2002. Il est paru en avril 2003 chez Panini Comics, d'abord dans la collection "MAX" (broché ; couverture souple), avant d'être réédité en septembre 2016, dans la collection "Marvel Dark" à l'occasion de la diffusion de la série télévisée (2016 à 2018) sur Netflix. Cette réédition se présente sous la forme d'un album (17,7 × 26,7 cm, relié, avec couverture cartonnée) de cent dix planches, toutes en couleurs. En bonus, cinq études de couvertures et deux études de personnage (avant et après mise en couleurs), le tout signé Richard Corben. 
Le scénario est conçu par Brian Azzarello (confer "Lex Luthor", "Joker" ou "Wonder Woman"). La partie graphique - les dessins et l'encrage - a été composée par Richard Corben (1940-2020), un dessinateur légendaire couvert de prix. Parmi ses œuvres, citons "Den" ou "Bloodstar" - entre beaucoup d'autres. C'est l'Hispano-Américain José Villarubia qui a élaboré la mise en couleurs. 

New York City, quartier de Harlem. Visiblement préoccupée, une femme entre au strip club le "Wiggle Room". Le videur la laisse passer sans lui adresser la parole. Elle gravit quelques marches et arrive dans la pièce principale. Une danseuse se déhanche sur une estrade. La plupart des tables sont inoccupées, sauf deux. Une poignée de badauds sont installés au comptoir. À côté d'eux, une serveuse se tient debout, seins nus. Notre inconnue demande un renseignement au barman ; il désigne du doigt celui qu'elle cherche. Elle avance vers son objectif en évitant la danseuse, lancée dans une chorégraphie qui l'a amenée à ôter le haut. Celui qu'elle cherche, c'est Luke Cage. Attablé seul avec un verre, le colosse - un bonnet vissé sur la tête, les lunettes de soleil sur les yeux (malgré la faible lumière) et un casque audio sur les oreilles - est nonchalamment assis juste devant un miroir qui recouvre le pan entier du mur, sans que l'on sache vraiment s'il s'y admire, ou s'il scrute attentivement ce qu'il se passe derrière lui... 

En 2002, Luke Cage n'avait pas été en solo depuis la précédente saison éditoriale de la série (1992-1993), bien qu'il y ait eu "Heroes for Hire" (1997-1999) entre-temps. Une relance après une pause signifie une remise au goût du jour, surtout pour MAX, le label adulte de Marvel. Azzarello applique un traitement qu'il maîtrise : celui du roman noir urbain. On l'a connu impulsif, têtu et prompt à la colère, mais ce Cage-là n'est pas très bavard, plutôt du genre franc et direct. Roublard, il est expert dans l'art de faire monter les enchères. Il a un côté poseur, un peu narcissique et un sourire irrésistible. À l'évidence il plaît aux femmes. Il est conscient de ce qu'il se passe à Harlem : ses soliloques sont éloquents. L'histoire que lui imagine Azzarello repose sur le principe du héros à louer, et donc aux origines de Cage. Le gaillard accepte à contrecœur une affaire pour une poignée de dollars, ce qui doit advenir des coupables n'étant pas précisé ; commence alors une balade chargée d'adrénaline aux côtés de Cage. Harlem, l'aspect délaissé de ses rues et ses trottoirs, son atmosphère chargée d'électricité, les victimes de fusillades, ses gangs et leurs chefs, les armes à feu sorties à la moindre embrouille, les commerçants qui craignent les "ennuis", les policiers ripoux et les politiciens véreux. Voyant cela, le lecteur devine que l'impact du superhéros sur son environnement est égal à zéro. Autour de l'affaire, des gangs afro-américains et la maggia, représentés par quatre antagonistes : Clifford Townsend, Sonny Caputo, et deux super-méchants connus pour être des ennemis de Spider-Man : l'albinos Alonzo Lincoln alias Tombstone et Michael Marko l'Homme-Montagne, qui ont été actualisés aussi. À part Marko, les caractérisations sont banales. Quant à l'histoire, ce n'est pas une franche réussite. Si le contexte est vraisemblable (bien que convenu) et le cadre réaliste, Azzarello accouche d'une intrigue terriblement prévisible (le lecteur devine rapidement le pot aux roses) pour laquelle l'inspiration a fait défaut, semble-t-il. Selon son humeur, le lecteur percevra le statu quo de la conclusion comme une pirouette scénaristique ou une dernière touche d'humour noir. 
En voyant le nom de Corben sur la couverture, le lecteur peut hésiter. Corben sur Cage ? Et pourquoi pas ? D'emblée, il est séduit. Ce style hybride tellement personnel et instantanément identifiable entre hyperréalisme, art naïf et art urbain, caractérisé par un détail incroyablement dense (un exemple a priori insignifiant et pourtant révélateur : le grillage du playground), un encrage millimétré sans erreur, des têtes légèrement disproportionnées, des silhouettes comme compressées dans leur corps et leurs vêtements. Corben a encore le don d'accentuer certains traits du visage, sans pour autant tomber dans la caricature. À une patte déjà très originale s'ajoutent la mise en page, l'utilisation parfois grotesque des onomatopées, la diversité des plans et des angles de prises de vues. Il y a quelque chose dans chaque vignette. 
La traduction est confiée à Laurence Belingard. Une fois n'est pas coutume, son travail est irréprochable. Le texte est impeccable : il ne comprend ni faute ni coquille.

Outre une vision pessimiste des quartiers défavorisés, "Mafia Blues" est un récit ordinaire qui ne sortirait aucunement du lot sans les dessins de Corben. Ceux-ci offrent une substance aux différents éléments et personnages de l'histoire. Pour le reste, le lecteur devra se contenter de l'ambiance, de l'humour et des scènes d'action. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Luke Cage, Clifford Townsend, Sonny Caputo, Alonzo Lincoln (Tobmstone), Michael Marko l'Homme-Montagne, Brian Azzarello, Richard Corben, Marvel Dark

8 commentaires:

  1. Un excellent souvenir de lecture.

    Mais ? Mais ? Serait-ce ton premier article sur un comics de Richard Corben ? Si oui, ce D'emblée il est séduit m'a fait énormément plaisir (si non, aussi d'ailleurs).

    Je suis allé me replonger dans mon propre article qui date de 2016 et je me suis rendu compte que j'avais relevé les mêmes choses que toi, que ce soit pour le scénario avec une intrigue prévisible, et une bonne ambiance polar urbain. Quand aux dessins, j'avais également beaucoup apprécié la mise en couleurs de José Villarrubia.

    Quel sera ton prochain Corben ?

    https://www.amazon.fr/gp/customer-reviews/R36JP944IY4BQ1/ref=cm_cr_dp_d_rvw_ttl?ie=UTF8&ASIN=280945891X

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    1. Je vois que tu as été bien plus enthousiasmé par cet album que moi.

      Ce c'est pas mon vrai premier Corben (il s'en est fallu de peu), même si j'ai déjà feuilleté beaucoup d'albums qu'il a illustrés. Ma première lecture complète d'une histoire dessinée par Corben est un arc de "Hellblazer" écrit par Azzarello. Une perle. Je suppose que tu l'as lue.
      J'ai un volume de "Ghost Rider" en attente de lecture qui commence par une histoire dessinée par Corben.
      J'aimerais bien lire son "Banner".
      En dehors de ça, je ne sais pas trop. Tu as lu son "Punisher" ?
      Ce qu'il a fait en marge de cela ne m'attire pas suffisamment et surtout : par rapport à tout ce que j'ai encore en stock, je ne souhaite pas prendre le temps.

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    2. Sonny Caputo : son surnom de Hammer m'avait fait penser à une variation de Hammerhead, ennemi de Spider-Man également.

      Hellblazer de Corben & Azzarello : j'avais fini par l'acheter en français tellement je désespérais que DC ne le réédite, ce qu'ils ont fait depuis.

      https://www.brucetringale.com/ils-sont-enfermes-avec-moi-walter-joseph-kovacs/

      Ghost Rider : ce doit être le seul épisode de Corben pour Marvel que je n'ai pas lu, je n'avais pas le courage de lire toute une série écrite par Daniel Way. Pourtant j'avais bien aimé Starr the slayer, également de Corben & Way :

      https://www.amazon.fr/gp/customer-reviews/R2N2B4GJBSAWAI/ref=cm_cr_dp_d_rvw_ttl?ie=UTF8&ASIN=2809476233

      Punisher: The end - J'étais venu pour Garth Ennis et la version MAX, je n'y ai pas trouvé mon compte. Mais Bruce en chante les louanges.

      Dans les années 2000, Marvel a décidé d'offrir la possibilité à plusieurs créateurs d'écrire la dernière histoire de différents héros sous le titre générique de The end : Hulk par Peter David, X-Men par Chris Claremont, Marvel Universe par Jim Starlin par exemple. Ici Ennis respecte à la lettre le principe pour un voyage dans des États-Unis radioactifs. Le résultat m'a laissé sur ma fin parce qu'Ennis se contente d'aligner les scènes attendues de désolation et des effets de radiations intenses, sans beaucoup d'inventivité par rapport à d'autres récits de même nature. Et il finit à nouveau sur un long dialogue explicatif qui fait baisser l'intensité du récit.

      Cotés illustrations, je me faisais une joie de retrouver Richard Corben (dessinateur underground de Den), étant revenu aux dessins pour la branche MAX de Marvel (Starr the Slayer & Haunt of Horror) ou pour Mike Mignola (Hellboy 10). C'est toujours un grand plaisir pour moi de retrouver ses dessins mélangeant des touches de photoréalismes, avec des visages plus cartoons et un don pour l'horreur et le grotesque. Malgré mon grand respect pour Corben, je dois reconnaître qu'il était en dessous de ses capacités. Il y a des cases magnifiques : l'ombre mangeant le visage de Castle la nuit dans un bus remplis de cadavres de personnes s'étant suicidées. Il transcrit à merveille le craquèlement de la peau sous l'effet des radiations, et le sang qui coule des crevasses au visage. Mais les visions du monde post apocalyptique restent assez communes et son style ironique dessert le caractère monolithique et premier degré de Castle. 4 étoiles.

      https://www.brucetringale.com/dieu-cree-frank-detruit/

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    3. Merci pour tous ces tuyaux.

      J'ai vu que le Hulk de Corben - et d'Azzarello, tiens donc ! - avait été publié par Panini Comics dans la collection "100% Marvel" en septembre 2002.

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    4. A l'occasion du prix remis à Richard Corben au FIBD d'Angoulême, Panini avait publié ce recueil avec les histoires superhéros Marvel Banner, Cage, Ghost Rider, Punisher.

      https://www.babelio.com/livres/Corben-Banner-Cage-Ghost-Rider-Punisher/1202126

      Mon avis sur la minisérie Banner ;

      https://www.babelio.com/livres/Azzarello-Banner/751794/critiques/854409

      Ce que Corben a fait en marge : Richard Corben est un des créateurs underground ou indépendants des années 1970. Il est venu travailler chez Marvel en passant, avant de refaire des comics indépendants, mais cette fois-ci avec une maison d'édition (Dark Horse), plutôt que par sa propre maison d'édition.

      Pour Marvel, on peut citer également Starr le tueur, les 2 tomes de L'antre de l'horreur l'un consacré à des adaptations d'Edgar Allan Poe l'autre à des adaptations de Howard Philips Lovecraft. Il y a bien sur un commentaire pour chacun de ces tomes sur amazon et Babelio.

      https://www.babelio.com/livres/Corben-Starr-le-tueur/1117899/critiques/854408

      https://www.babelio.com/livres/Corben-Lantre-de-lhorreur/650830/critiques/755178

      https://www.babelio.com/livres/Corben-Haunt-of-Horror-Lovecraft/751118/critiques/854016

      A la même époque, il a également fait quelques histoires pour DC : Solo, Hellblazer, un récit court de Batman dans Black & White. Puis quelques histoires pour Hellboy, avec Mike Mignola, dont les épisodes se déroulant au Mexique.

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    5. Merci pour ces infos complémentaires.

      Oui, je connais l'existence de cet album Corben chez Panini.

      Je devrais peut-être lire aussi ses "Hellboy". Je m'étais contenté de ceux de Mignola. C'est une série que je vais reprendre tôt ou tard.

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    6. Hellboy: House of the living dead

      https://www.babelio.com/livres/Mignola-Hellboy-House-of-the-Living-Dead/830792/critiques/1018140

      https://www.babelio.com/livres/Corben-Hellboy-dition-Speciale-Richard-Corben/1141269

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    7. Super, merci Présence.

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