Intitulé "El Cobra", cet ouvrage est le quinzième volume de "Durango" : cette série de western spaghetti lancée en 1981 par Yves Swolfs, connu également pour "Dampierre", "Légende", "Le Prince de la nuit", etc. "Durango" fut d'abord publié par Les Archers puis par Dargaud, Alpen Publishers, Les Humanoïdes associés, et enfin par Soleil (groupe Delcourt), depuis 2003. La maison continue la publication et a réédité toute la somme. "El Cobra" est sorti en octobre 2008 ; cet album de dimensions 30,0 × 23,0 centimètres, relié et avec une couverture cartonnée, contient quarante-six planches, toutes en couleurs.
Depuis le numéro précédent, Swolfs a choisi de se concentrer sur le scénario ; le Bruxellois a donc écrit celui de "El Cobra". La partie graphique a été produite par le Savoyard Thierry Girod. Girod s'était déjà essayé au western avec "Wanted" (1995-2004). La mise en couleurs est composée par Jocelyne Charrance, artiste qui avait, elle aussi, travaillé sur "Wanted".
Précédemment, dans "Durango" : Lors d'un duel, Durango abat Lance Harlan ; il venge la mort de Celia. Madame Gainsworth ne lui sait aucun gré d'être intervenu. Durango trouve l'adresse du commanditaire sur le cadavre. Direction Leadville.
Durango traverse une vallée boisée à cheval. Destination : Lawrence Mining Co., 320 Main Street à Leadville ; c'est l'adresse précise des commanditaires. Un renseignement qui a coûté "de nombreuses vies" ; Durango a hâte de se trouver face à ceux qui ne donnent à aucune vie "la valeur d'une mine de métal précieux", à "ceux qui ont réduit en cendres ce qui commençait à ressembler à un jardin... à un port d'attache". Il arrive en vue de Leadville, une bourgade animée. Il l'ignore encore, mais quelqu'un le précède : un homme qui entre dans le bureau de la Lawrence Mining Company, un Sud-Américain âgé de trente à quarante ans, portant entre autres un long manteau et un chapeau noir. À la grande surprise des deux employés présents, il retourne la pancarte de la porte indiquant que l'établissement est fermé ; il dégaine un pistolet semi-automatique...
Second tome de la trilogie des mines ou de la Lawrence Mining Company, comme on pourrait l'intituler. Durango remonte les marches de la hiérarchie. Convaincu de sa mission de protecteur des petits, il compte bien abattre cet ogre sans visage qui avale ses concurrents afin d'étendre sa place au soleil, quels que soient les moyens ; il ne s'agit pas tant d'une allégorie anticapitaliste (les notions de propriété et de liberté d'entreprendre ne sont pas remises en question) que de variations sur les thèmes des rapports de force entre petits et grands et de la corruption qu'engendrent pouvoir et richesse - l'ogre n'étant jamais entièrement repu. Sur son chemin se trouve un hidalgo aussi élégant que cruel, El Cobra. Tout est dans le nom : c'est le reflet criminel parfait de Durango. Si Durango a déjà rencontré de nombreux autres pistoleros, c'est bien la première fois que Swolfs utilise ce ressort narratif d'une façon si évidente, si frontale. La légende contre l'admirateur. Le chevalier errant, défenseur de la veuve et de l'orphelin, contre le mercenaire, payé par un employeur qui ne recule pas devant le crime. Le vengeur contre le tueur. Le Mauser C96 contre le Colt M1911 (ou une arme proche fabriquée sur mesure, conf. planche 14 ; cela situerait l'action au début du XXe siècle, ce qui est cohérent avec la continuité). Le Nord-Américain contre le Sud-Américain. Tout les oppose ; le lecteur n'a même pas le temps de se prendre vaguement à espérer que Durango et El Cobra forment un duo afin d'abattre la bête, car l'Argentin ne perd pas son temps et agit sans équivoque. Parmi les autres personnages importants : Mary - une prostituée aussi courageuse et débrouillarde qu'intelligente - et William Lawrence - entrepreneur qui vit dans la peur depuis qu'il a été démasqué à jouer avec le feu et qui s'est réfugié dans l'alcoolisme. L'intrigue est efficace et le scénario réserve des surprises bien pensées au lecteur, mais ce que ce dernier attend est l'inéluctable duel entre Durango et El Cobra comme clou du spectacle. Hélas, cela se termine en pétard mouillé, car il n'y a ni clou ni spectacle ; ce dénouement est tellement loupé qu'il en paraît presque invraisemblable.
Girod produit des planches de qualité dans l'ensemble. Le lecteur relève le trait toujours aussi réaliste, le sens du détail (notamment dans la scène de rue à Leadville), le soin accordé aux décors et aux arrière-plans (c'est primordial, car il y a ici de nombreux passages se déroulant en montagne ; et pour le coup, ces paysages enneigés sont talentueusement façonnés et apportent un véritable plus à l'atmosphère qui se dégage de ces planches), la mise en page cinématographique et une belle diversité de plans, ce qui permet à la série de conserver une partie de cette identité visuelle qu'elle avait lorsque Swolfs était encore le dessinateur. Le lecteur pourra regretter une certaine irrégularité dans les visages, parfois à géométrie variable, mais sans que cela empêche de reconnaître les personnages. La mise en couleurs de Charrance est dans la lignée de celle du volume précédent, c'est-à-dire avec un voile un peu terne, mais certainement en phase avec ce que souhaitent l'auteur et l'éditeur.
Durango continue à appliquer une vengeance froide, avec détachement et sans la moindre émotion apparente, ce qui peut perturber ou décevoir certains lecteurs. Le confronter à son double maléfique était une idée très intéressante - bien que ce face-à-face décidément expédié ne comble aucunement les attentes du lecteur.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Barbüz
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Durango, El Cobra, Mary, William Lawrence, Steiner, Yves Swolfs, Thierry Girod, Jocelyne Charrance, Soleil
Voilà une deuxième partie de trilogie dont le commentaire ne s'est pas fait attendre.
RépondreSupprimerL'ogre n'étant jamais entièrement repu : superbe formule, je la note et je la retiens, il est probable que je finirai par te l'emprunter.
C'est bien la première fois que Swolfs utilise ce ressort narratif d'une façon si évidente, si frontale : je sens comme un goût de déception pour ce qui semble s'apparenter à du manichéisme.
Il n'y a ni clou ni spectacle : pour ma part, j'ai fini par apprécier les auteurs qui osent ne pas donner au lecteur ce qu'il attend, cela ne génère pas de frustration en moi. Mais je peux comprendre aussi que ça dépend de l'exécution narrative, c'est-à-dire si l'alternative s'avère moins bien que la scène attendue.
Le soin accordé aux décors et aux arrière-plans : je sens que Thierry Girod marque des points en tant que successeur plus rapidement que Jocelyne Charrance. Du coup, je suis allé voir la suite : un autre dessinateur succède déjà à Girod pour le tome 18, et c'est encore un nouveau dessinateur pour la jeunesse de Durango.
La troisième et dernière partie ne se fera pas attendre non plus.
SupprimerLe ressort - Je n'ai pas été déçu, non. En fait, je me demande surtout pourquoi ce - l'exploitation du thème du reflet déformé - n'est pas arrivé plus tôt dans la série.
Le clou du spectacle - Pour ma part, j'estime que l'alternative s'avère nettement moins bien que la scène attendue. C'en est frustrant.
Girod - De ce que je lis, certains fanas de la série n'appréciaient pas son travail. Un certain Iko (un Italien) est arrivé au tome 17 et il semble avoir rallié à lui certains déçus.