jeudi 5 octobre 2023

"The Fable" : Tome 5 (Pika Édition ; décembre 2021)

Sorti chez Pika Édition (groupe Hachette Livre) en décembre 2021, dans la collection "Pika Seinen" de l'éditeur, ce recueil est le cinquième numéro de la version française du manga seinen "The Fable" - parfois sous-titré "The silent killer is living in this town". C'est un fascicule broché, de dimensions 13,0 × 18,0 cm, avec jaquette plastifiée amovible et colorisée. Il comprend à peu près deux cents planches (en incluant les couvertures) en noir et blanc (en nuances de gris plus précisément) ; il se lit de droite à gauche. Au Japon, la série fut prépubliée de 2014 à 2019 dans "Weekly Young Magazine" (éditeur Kōdansha Ltd). 
C'est Katsuhisa Minami qui a créé cette série et entièrement réalisé ce cinquième recueil : le scénario, le dessin et l'encrage. L'auteur, né en 1971, est encore peu connu dans nos contrées : rares sont ses œuvres qui ont été traduites en français. Outre "The Fable", Minami a aussi produit deux saisons de "Naniwa Tomoare" - une publication qui lui vaut le 41e prix Chiba Tetsuya (en 1999). Enfin, "The Fable", qui compte vingt-deux volumes en tout, a été adapté en film sous le même titre, en 2019. 

Précédemment, dans "The Fable" : Un soir. Kojima est en embuscade devant chez Misaki ; il attend patiemment qu'elle rentre du travail. Lorsqu'elle arrive, il l'accoste sans tarder et cherche à la déstabiliser en énumérant ses divers noms de scène. 
Misaki est interloquée, mais Kojima enchaîne ; alors, par quel nom doit-il l'appeler ? Miki Kawamura ? Tsubasa Yamakawa ? Ou Misaki Shimizu ? Se reprenant, elle répond qu'elle s'appelle Misaki. Kojima continue tranquillement. Qu'elle l'excuse d'aborder ce sujet à leur première rencontre, mais il va bientôt "se lancer dans une affaire de deliheal". Voyant qu'elle ne le suit pas, il précise qu'il s'agit de "delivery health" ; il imagine qu'elle connaît. Alors comme "il paraît" qu'elle cumule "les petits boulots", il s'est dit qu'elle serait intéressée par le fait de "gagner dix fois plus" sans trop se fatiguer. Elle rétorque qu'elle n'exerce pas ce genre de travail, qu'elle ignore qui il est. Qu'il la laisse tranquille ! Mais Kojima s'attendait à ce qu'elle réagisse ainsi... 

Ce cinquième tome se dévore d'une seule traite : il est impossible de le lâcher avant de l'avoir achevé. Il faut dire que Minami semble être maître dans l'art de doser la tension. Il utilise principalement Kojima - parfait reflet contraire de Fable - pour cette montée de pression. Le lecteur est immédiatement accroché : comment Misaki, jeune femme agréable qui cumule les boulots pour vivre décemment, peut-elle résister à un yakuza encore plus enclin à la violence que ses comparses ? Bien entendu, se limiter à ça étant trop simple, Minami corse l'affaire en imaginant une chaîne de protagonistes dont chaque maillon (sauf le dernier, et encore) a un ennemi dans le dos : Misaki et Kojima, Kojima et Sunagawa, et Sunagawa et "Akira". Chaque maillon élabore un plan pour sa cible : selon le cas, l'exploiter, le supprimer ou l'empêcher d'agir. "Akira", lui, est exposé à un double dilemme. D'un côté, vivre normalement (comme il le lui a été ordonné) ou reprendre son activité, de l'autre être le chevalier blanc de Misaki ou rendre service à Takeshi Ebihara, le lieutenant du clan Maguro. Minami écrit donc une variation sur le thème de la tentation de saint Antoine, ladite tentation prenant ici sous la forme d'une faveur demandée - voire d'une transaction, puisque Fable récupère la Nissan Skyline "Hakokusa". La dynamique de ce système fonctionne à merveille et s'avère irrésistible, le lecteur suit impatiemment les décisions et les mouvements de chaque camp en guettant les éventuelles complications. La sexualité est toujours présente. C'est Kojima qui force Misaki à lui sucer les deux doigts pour feindre une fellation (la sensation flagrante de contrainte pourra gêner le lecteur). C'est Kainuma qui viole à nouveau l'intimité de la jeune femme - à défaut de la violer elle, sans doute ? L'humour n'est pas en reste. C'est Kainuma qui bout intérieurement et se défoule (de façon maîtrisée) sur son écran à l'idée d'une idylle naissante entre "Akira" et Misaki. C'est "Akira" qui se promène entièrement nu, sans volonté aucune de s'exhiber, mais dans l'ignorance la plus totale des conventions sociales les plus fondamentales (que le point de vue soit japonais ou occidental). 
Minami livre une performance graphique méritoire. Ses personnages sont très réussis. Par exemple : le langage corporel de Kojima, lorsqu'il intimide Misaki, révèle son assurance et sa désinvolture. Misaki touche par un charme discret. Takeshi exprime toute son inquiétude, mêlée de colère et de surprise. Il y a aussi la "Hakosuka", qui dévale les rues de la ville et est représentée sous des angles de prises de vues qui accentuent son aspect sportif. Ajoutons une nuée de traits multidirectionnels afin de figurer la vitesse : effet garanti. Le lecteur pourra regretter ces décors souvent épurés, parfois réduits à une simple couche de couleur unie ; il ne pourra pas ne pas le relever, mais cela ne le perturbera pas s'il évite d'y accorder trop d'attention. À sa décharge, il est probable que Minami œuvre sans décoriste ; point à confirmer. 
La traduction a été à nouveau effectuée par Djamel RabahiIl propose là un texte tout à fait compréhensible et impeccable, ni faute ni coquille. Un travail de qualité.

La pression monte de plus en plus dangereusement, dans cette petite ville de province que les plans des différents protagonistes risquent de transformer en poudrière. Certains personnages sont sous les feux de la rampe, alors que d'autres sont à peine utilisés ; cela n'enlève néanmoins rien à l'efficacité et à l'énergie de ce tome. 

Mon verdict : ★★★★

Barbüz
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The Fable, Akira Satō, Yōko Satō, Misaki, Kainuma, Yakuzas, Clan Maguro, Kojima Ebihara, Takeshi Ebihara, Takahashi, Katsuhisa Minami, Pika

2 commentaires:

  1. The Fable serait-il en bonne position pour combler le vide laissé par la fin de Monster, dans tes lectures ?

    À sa décharge, il est probable que Minami œuvre sans décoriste : cela répond exactement à la question qui était en train de prendre forme à la lecture de ton paragraphe sur les dessins.

    Merci pour le lien de la tentation de Saint Antoine, car la référence m'échappait. Cette comparaison permet également de mieux imaginer la dynamique du récit.

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    1. J'ai lu tout ce que j'avais en stock. Là encore, je suis parti sur une série fleuve, car il y aura vingt-deux tomes, soit quatre de plus que "Monster" ! Ouille ! Si j'avais su (ce n'est que récemment que j'ai appris qu'il y en avait tant)... Et en plus, je viens de découvrir qu'il y avait déjà une série dérivée ! Ça promet !
      Donc oui, "The Fable" semble en bonne position pour combler le vide laissé par "Monster", bien vu. La nature a horreur du vide, la lecture aussi.

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