mardi 3 octobre 2023

"Ex Machina" : Volume III (Urban Comics ; février 2015)

Paru en février 2015 dans la collection "Vertigo Essentiels" d'Urban Comics, cet ouvrage est le troisième de l'intégrale de la série "Ex Machina", soit cinquante numéros écrits entre 2004 et 2010, quatre "Ex Machina Special" (deux en 2006, un en 2007 et un en 2009) et le "Ex Machina: Inside the Machine" (d'avril 2007). Troisième de cinq tomes, cet album comprend les versions françaises des "Ex Machina" #21-29, sortis entre août 2006 et août 2007 en version originale et du "Ex Machina Special" #3 (d'octobre 2007). Ce recueil relié - de dimensions 19,0 × 28,5 centimètres, couverture cartonnée - contient environ deux cent vingt-huit planches, toutes en couleurs. En bonus, la version française du "Ex Machina: Inside the Machine" (soit vingt pages dont une introduction de Brian K. Vaughan, les six premières pages du script, illustrées, des couvertures commentées, des concepts et photos ainsi qu'une postface de Tony Harris) à laquelle s'ajoutent onze pages d'extraits du script du spécial, accompagnés de leurs crayonnés. 
Tous les numéros sont écrits par le scénariste Brian K. Vaughan, qui est connu surtout pour "Y, le dernier homme", "Les Seigneurs de Bagdad" ou encore "Saga". Tony Harris est le dessinateur de la série régulière. Durant sa carrière il a été récompensé de deux prix Eisner, un pour "Ex Machina" (2005) et un pour "Starman" (1997). Tom Feister encore les planches jusqu'au #25 puis Jim Clark reprend l'encrage. John Paul Leon (1972-2021) dessine et encre le spécial. La mise en couleurs est confiée à J. D. Mettler

Précédemment, dans "Ex Machina" : Mars 2003. Alors que l'invasion de l'Irak par les États-Unis et leurs coalisés a débuté, Journal Moore meurt à l'hôpital des suites de l'attaque au gaz à New York City. Le père Zee lui administre les derniers sacrements. 
New York City, lundi 2 avril 2001 : à bord d'un cabriolet BMW, deux dealers de cannabis essaient d'échapper à la Grande Machine. Ils prennent le Holland Tunnel pour le semer. Le justicier s'accroche. Il explique par radio à Kremlin qu'il ne réussit pas à stopper la voiture avec sa voix ; aucun appareil ne l'entend. Kremlin le tance : il n'aurait pas dû crier pendant "le concert débile"... 

L'album comprend quatre arcs de longueur variable (un à quatre numéros), "Fumer tue", "En solo", "Black Out" et "Mascarade""Fumer tue" présente trois variations sur la symbolique du feu et de la fumée : un cambrioleur déséquilibré se déguise en pompier pour commettre ses home-jackings, la dépénalisation de la consommation de cannabis agite les sphères politiques et la presse, une femme s'immole par le feu devant l'hôtel de ville. La troisième, c'est la conséquence ultérieure d'une arrestation de la Grande Machine, qui poursuit un banal vendeur de cannabis comme s'il s'agissait d'un criminel recherché par toutes les polices du monde ! Vaughan ici dénonce la rigidité disproportionnée de l'appareil judiciaire de son pays à ce sujet. Dans "En solo", Bradbury est abordé par un espion dont l'employeur s'intéresse de trop près à la Grande Machine ; un interlude qui met le garde du corps en valeur et rappelle que les capacités de Hundred attisent les convoitises des nations autant que leurs peurs. Suit "Black Out", un arc qui se rapproche plus des conventions du genre super-héroïque. D'un côté, Vaughan évoque la journée des attentats du 11 septembre 2001 ; de l'autre, il met en scène un étrange et menaçant visiteur qui vient d'un monde parallèle, tandis que Hundred a perdu ses pouvoirs. "Mascarade" a été écrit et se déroule au moment d'Halloween, c'est une vague réflexion sur la nature du masque et les motivations de ceux qui en portent un. L'auteur profite de ce numéro pour révéler de succinctes informations sur la nature du pouvoir de Hundred, juste assez pour ne pas dissiper le mystère. Au long de ces épisodes, le lecteur réalise que le travail d'élu est un sacerdoce. Subir les pressions et y résister, affronter les mécontents sans possibilité de se défiler. Au grand dam de Kremlin, Hundred reste persuadé d'avoir plus de poids et de commettre moins de boulettes comme maire qu'en tant que justicier ; il semble avoir raison. Vaughan reste fidèle à son approche : enfouir Mitchell sous une avalanche de problèmes insolubles en les variant. Efficace - comme les personnages secondaires, malgré la légère mise en retrait de la commissaire Angiotti. 
La qualité de la partie graphique n'est perturbée ni par le départ de Feister ni par l'arrivée de Clark. Tant mieux. Détail étrange : les deux adolescents du #21 semblent bien plus âgés qu'ils ne sont censés l'être. Le bonus "Inside the Machine" est très instructif en cela qu'il livre des informations sur la méthode de travail de Harris : avec des photos et des modèles (il est surprenant de voir à quel point Hundred ressemble au sien) - ce qui explique en partie le réalisme et le naturel des physionomies, des anatomies et des postures. Les planches de Harris constituent un très bel exemple de lisibilité. La transition entre son trait, fin et régulier, et celui de Leon, plus brut, plus gras et plus épais et dont l'encrage est plus accusé, ne gêne pas, bien que l'artiste ne reproduise pas le style de Harris pour les mises en page et découpages. 
La traduction a été effectuée par Jérémy Manesse, un ténor du métier. Elle est impeccable, il n'y a absolument rien à redire. Le texte est soigné : ni faute ni coquille.

Dans "Ex Machina", Hundred souffre d'autant plus du syndrome du super-héros qu'il n'en est plus vraiment un, bien que son comportement frôle une forme d'héroïsme à maintes reprises. C'est une série qui est toujours aussi intelligente, captivante et généreuse en humour mordant. Elle reste néanmoins trop rarement émouvante. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Mitchell Hundred, Rick Bradbury, Ivan "Kremlin" Tereshkov, Dave Wylie, Commissaire Amy Angotti, January Moore, Augustyn Zeller, New York City, Brian K. Vaughan, Tony Harris, Vertigo

2 commentaires:

  1. Ta critique ne ravive que de bons souvenirs en moi.

    Ta remarque sur le sacerdoce du métier de politicien transcrit bien l'analyse qu'en fait Vaughan sous forme de mise en situation dans Smoke smoke.

    - Depuis le début, le lecteur était en droit de se demander si Vaughan n'insistait pas un peu trop lourdement sur le passé de superhéros de Mitchell Hundred, en tant que Great Machine. Ici le nombre de pages consacrées à Great Machine est encore plus élevé. Vaughan ne se contente pas de ressasser le même thème : le concept de superhéros n'a aucune application pratique dans la vraie vie. Il développe les conséquences de l'intervention d'un citoyen prenant la loi entre ses mains, et le niveau de dégât causé par son manque de professionnalisme. Il n'oublie pas de montrer qu'Hundred a besoin d'une solide équipe pour assurer la maintenance de son propulseur dorsal et l'aider à réaliser ses missions d'un point de vue logistique. Et il introduit un autre thème qui est celui de la responsabilité de Great Machine vis-à-vis des individus dont il a procédé à l'arrestation. Il ne s'agit plus de jouer au gendarme et au voleur, ou de mettre un terme définitif aux activités criminelles d'un individu. Il y a un après à gérer, après l'arrestation.

    Pendant le mandat électif d'Hundred, Vaughan aborde timidement la question de la légalisation de l'usage du cannabis, visiblement il est moins à l'aise que sur d'autres sujets. Il montre que les décisions d'Hundred ont des conséquences à court, moyen et long termes, avec le comportement de Todd Wylie (une moitié du couple homosexuel dont il a célébré l'union), encore un exemple très savoureux de manipulation de l'information. de manière plus subtile, Vaughan commence à montrer que personne n'est parfait, à commencer par Mitchell Hundred. Or il doit pourtant projeter une image irréprochable du fait de sa position exposée, et promouvoir des politiques qu'il ne souhaite pas cautionner à titre individuel. À nouveau Hundred en tant qu'individu se retrouve dans l'opposition par rapport aux décisions du maire Hundred, jusqu'à transgresser les lois qu'il fait appliquer (faites ce que je dis, pas ce que je fais). Au travers de la lutte d'influence entre la préfète de police et le président des sapeurs pompiers, Vaughan commence également à brocarder un système où les principaux responsables (police, pompiers) sont des élus qui doivent se soucier de l'image de leur service pour pouvoir espérer briguer un mandat de plus.

    J'avais été un peu moins convaincu par l'importance donné à la Grande Machine dans les épisodes 26 à 26.

    - Depuis le début de la série, Brian K. Vaughan a établi un savant dosage entre les décisions de gestion et de politique du maire, sa vie privée (entre relations avec ses proches conseillers, et sa garde rapprochée), des souvenirs de sa vie de superhéros, le tout baignant dans des gestions de crise plus ou moins graves (de la subvention d'une oeuvre d'art faisant polémique, à un acte terroriste perpétré avec un gaz empoisonné), et quelques pincées d'éléments relatifs à ses superpouvoirs. Avec ce tome, l'histoire est phagocytée par l'apparition d'Augustyn Zeller, le drôle de bonhomme, avec la drôle de combinaison. Tout le reste passe au second plan. Ce n'est pas qu'il ne se passe rien, c'est que l'irruption de ce personnage remet au premier plan les éléments fantastiques et de science-fiction de la série pour des révélations potentielles, en impliquant Ivan Tereshkov et Martha Hundred. Cette modification du dosage en faveur de la science-fiction et du thriller change la saveur du récit et empêche le développement substantiel des autres composantes.

    https://www.babelio.com/livres/Vaughan-Ex-Machina-Tome-5--Le-feu-aux-poudres/186393/critiques/1100112

    https://www.babelio.com/livres/Vaughan-Ex-Machina-Tome-6--Court-circuit/186394/critiques/1100113

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    1. Je reste admiratif devant la cohérence de cette série et la capacité de Vaughan à se réinventer tout en tirant les mêmes ficelles, aussi contradictoire que cela puisse paraître. Mais ça va changer, puisque j'ai cru lire qu'il rencontrait le pape dans le volume IV !

      Ici, j'avoue ne pas avoir eu ma dose de commissaire Angotti. À l'issue du volume II, je soupçonnais un début de flirt entre elle et Hundred (le mystère au sujet de la vie sentimentale du maire reste d'ailleurs savamment entretenu), mais il semblerait que je me sois trompé, parce qu'elle apparaît peu dans ce troisième volume. De même, le personnage de Suzanne, qui lui a servi d'alibi un temps, semble avoir été relégué aux oubliettes. Je suppose que Vaughan fera la lumière sur cela bientôt.

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