Paru en avril 2014 dans la collection "Vertigo Essentiels" d'Urban Comics, cet ouvrage est le second tome de l'intégrale de la série "Ex Machina", soit cinquante numéros écrits entre 2004 et 2010, quatre "Ex Machina Special" (deux en 2006, un en 2007, et un en 2009) et le "Ex Machina: Inside the Machine" (d'avril 2007). Cet album, second de cinq volumes, comprend les versions françaises des "Ex Machina" #12-20, sortis entre août 2005 et juillet 2006 en version originale, et des "Ex Machina Special" #1-2 (juin et août 2006). Ce recueil relié - dimensions 19,0 × 28,5 centimètres, couverture cartonnée - contient environ deux cent quarante-quatre planches, toutes en couleurs. À une préface des Wachowski (d'une page) viennent s'ajouter plusieurs bonus en fin d'ouvrage : des extraits du script accompagnés de leurs crayonnés (vingt-deux pages) et de succinctes biographies des auteurs (deux pages).
Tous ces numéros sont écrits par le scénariste Brian K. Vaughan, qui est connu surtout pour "Y, le dernier homme", "Les Seigneurs de Bagdad" ou encore "Saga". Tony Harris est le dessinateur de la série régulière. Durant sa carrière, il a été récompensé de deux prix Eisner : un pour "Ex Machina" (2005) et un pour "Starman" (1997). Ses planches sont encrées par Tom Feister, sauf un numéro encré par Harris. Chris Sprouse dessine les "Special", encrés par Karl Story. La mise en couleurs a été confiée à J. D. Mettler.
Précédemment, dans "Ex Machina" : Hundred évoque son projet de lutter contre les "arnaqueurs de la voyance" avec Zehala, une voyante. Ils sont en désaccord. Sorti, Hundred ordonne à Angotti d'appliquer la tolérance zéro et de commencer par Zehala.
New York City, lundi 1er mai 2000. Hundred se trouve dans une boutique de comics. Son gérant, Leto, lui demande ce qu'il lui est arrivé au visage. Hundred répond qu'il s'agit d'un "accident du travail", mais ne souhaite pas en parler. Leto insiste. Il ne veut pas se mêler de ses affaires, mais sa belle-sœur travaille pour un "bon chirurgien esthétique", en banlieue. En plus de ça, il a lu dans "Wired", un magazine, que des scientifiques avaient fait "pousser une oreille humaine sur le dos d'une foutue souris" ; alors...
Vaughan - sans que cela ne gêne la lecture - continue à écrire sa série sur quatre, voire cinq lignes temporelles qui s'entremêlent, l'enfance de Mitchell, son activité de justicier masqué jusqu'aux attentats du 11 septembre 2001, son quotidien de maire et d'autres selon les besoins du scénario. Bien que la carrière de la Grande Machine n'ait pas été un franc succès, le lecteur est impressionné par les risques affrontés : le salarié licencié menaçant de détruire le visage de la statue de la Liberté avec un hélicoptère ou un reflet maléfique, qui commande aux animaux comme Hundred aux machines. En tant que maire, il est épié en permanence ; on attend qu'il s'engage sans équivoque sur des sujets-clés tels que la guerre d'Irak ou la peine de mort. Mais qu'il soit franc ou qu'il tergiverse, un politicien ne convaincra jamais les acharnés, d'autant que les médias, en quête d'audience, jettent de l'huile sur le feu. Si certaines revendications amusent (la Femen avant l'heure du #15), le maire doit gérer des menaces et tragédies sérieuses : prise d'otage, attentat, lynchage, bavure policière. Il semble aussi que les évènements incitent - lentement, mais sûrement - Hundred à remettre le masque, ce jeune homme étant de plus en plus poussé à utiliser ses capacités spéciales pour accélérer la résolution de certains problèmes. Autre aspect, l'importance des souvenirs d'enfance comme refuge ; la fermeture de la boutique de comics l'attriste, et plus tard il ramène sa mère auprès de lui. Quant au quiproquo sur sa vie privée, il est adroitement entretenu. Néanmoins, vivacité et intelligence de l'écriture n'impliquent pas forcément que l'émotion soit présente. Ce n'est pas le cas, malgré la tentative avec Journal. Mais le centrage permanent sur Hundred ne laisse pas de place pour développer la vie d'autres personnages. Dès lors, difficile de ressentir de la tristesse à l'issue de la mort d'un second rôle - dont la fin est expédiée en deux planches. Enfin, toxicos s'injectant leur came dans le bras ou prostituées en plein acte... ; Vaughan montre la facette noire de la ville. La violence est d'ailleurs invitée récurrente d'un titre qui ne lésine aucunement sur les scènes-chocs.
Harris force l'admiration par la netteté de sa ligne réaliste, son dosage du détail (l'intérieur de la boutique de comics, mais aussi les touches d'humour comme ces deux employés de la mairie échangeant un doigt d'honneur) et une belle maîtrise de l'expressivité. Il dispose d'un sens de la composition peu commun : notons la chute de la Grande Machine en direction du flambeau de la statue de la Liberté (page 12) ou ces deux policiers examinant le cadavre (page 196). Son découpage est irréprochable. Sprouse travaille dans un registre relativement similaire ; il n'y a donc pas de rupture visuelle, ce qui est agréable. Les ressemblances sont étonnantes. Cela étant, une comparaison attentive révèle un trait moins précis et des finitions moins soignées. La colorisation contribue aux atmosphères en créant les contrastes nécessaires.
Traduction de Jérémy Manesse ; c'est du solide, mais il y a trois fautes de mode. Et pourquoi comic-con au masculin ? La préface (Yann Graf ?) compte une autre faute.
Malmené de tous les côtés, Hundred continue à aspirer à faire les choses de la manière la plus juste ; cette immersion dans la vie politique d'une mégalopole telle que New York City est toujours aussi prenante et intéressante, et les analepses fréquentes sur les exploits de la Grande Machine permettent d'empêcher la monotonie.
Mon verdict : ★★★★★
Barbüz
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Ex Machina, Mitchell Hundred, Rick Bradbury, Ivan "Kremlin" Tereshkov, Ray, Commissaire Angotti, Dave Wylie, L'Automate, Jack Pherson, New York, Brian K. Vaughan, Tony Harris, Urban Comics, Vertigo
C'est un vrai plaisir que de replonger dans cette série par tes commentaires.
RépondreSupprimerQu'il soit franc ou qu'il tergiverse, un politicien ne convaincra jamais les acharnés, d'autant que les médias, en quête d'audience, jettent de l'huile sur le feu : d'un coté, ça fait du bien de voir un scénariste de comics se plonger dans les mécanismes de fonctionnement d'une représentation élective ; d'un autre côté, il est encore loin du compte e la réalité, encore un peu idéaliste.
Les événements incitent Hundred à remettre le masque : je ne me souviens pas avoir ressenti cette tentation à la lecture, j'avais l'impression qu'il avait définitivement tourné la page, préférant une action civile plus complexe, à des réolutions (superficielles) à coups de poing.
Harris force l'admiration par la netteté de sa ligne réaliste, son dosage du détail et une belle maîtrise de l'expressivité : 100% d'accord, quel plaisir visuel.
- Épisodes 11 à 16 -
Dans chaque histoire, il utilise la même construction (une intrigue sous forme d'enquête + une question politique) dans des formats plus courts. L'épisode 11 sert à creuser un épisode traumatisant de la vie de Mitchell Hundred, sous un angle qui relativise la notion de héros. Hundred y gagne en épaisseur, en ambigüité, en crédibilité. Les 3 épisodes suivants servent à illustrer un principe simple : il faut aider le système si vous voulez qu'il vous aide. Par système, il faut comprendre "société". Vaughan fait preuve d'un talent indéniable pour entremêler les différentes composantes de son récit pour aboutir à un tout harmonieux dont les différents éléments se répondent entre eux. À ce titre, ces 3 épisodes font se répondre l'engagement d'Hundred avec les actions également engagées d'Automaton, tout en permettant au lecteur d'apprendre à mieux connaître le personnage principal. Il est également possible de constater la nature de l'engagement de Rick Bradbury et Ivan Tereshkov, tout en découvrant de nouvelles informations sur le pouvoir d'Hundred. Vaughan réussit une narration parfaitement équilibrée, satisfaisante sur tous les plans.
La dernière partie est tout aussi réussie, alors que Vaughan prend le risque de changer le ton de la série en quittant New York, pour un voyage haut en couleurs. À nouveau il crée un personnage inénarrable en la personne de la mère de Mitchell, tout en versant franchement dans le drame, avec un petit plus sous la forme de l'utilisation des pouvoirs d'Hundred.
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RépondreSupprimer- Épisodes 17 à 20 -
Brian K. Vaughan poursuit sa plongée dans l'envers du décor de décision souvent résumée de façon caricaturale dans les journaux. Certes il s'agit d'une bande dessinée et Vaughan se repose souvent sur une présentation de la problématique partagée entre 2 contraires. Ainsi l'autorisation de la manifestation oppose le droit d'expression à la conviction morale d'une nation de ne pas accepter le terrorisme. Les nuisances liées aux alarmes de voitures opposent le droit de protéger sa propriété privée au dérangement occasionné aux riverains. De la même manière chaque prise de décision est simplifiée, sans creuser la formation d'un consensus au travers de multiples intervenants. Et pourtant Vaughan trouve d'autres moyens pour étoffer sa narration et nourrir la réflexion. Restant fidèle à son parti pris initial, le responsable de l'attentat au gaz sera découvert grâce à Hundred et ses pouvoirs, dans une résolution se pliant aux règles établies du récit d'aventure. Et pourtant, en cours de route, Vaughan aura su intégrer de manière naturelle les conséquences de la vengeance individuelle, et opposer cette forme dégénérée de justice, à celle mise en place par une société. Il s'élève au dessus d'un schéma simpliste pour prendre position sur la nécessité d'une société organisée avec des lois, forcément imparfaites. Il met en scène la frustration du responsable politique ayant des moyens conséquents à sa disposition (Hundred décide d'une fouille systématique de tous les sacs des usagers du métro), et pourtant peu adaptés à la crise (ces fouilles évoquent la vaine recherche de l'aiguille dans une meule de foin). Vaughan se révèle encore plus crédible dans sa façon de décrire le traitement et la maîtrise de l'information. Au lieu de donner dans l'angélisme, il ose justifier l'obligation faite aux responsables (ici politiques) d'utiliser l'information à des fins de manipulation pour le bien du plus grand nombre (quitte à tordre un peu les faits), comme un spin doctor sans scrupule (façonneur d'image, en bon français).
Loin de se transformer en un exposé aride sur les difficultés du pouvoir, l'histoire trouve un équilibre harmonieux entre idées et comédie dramatique. Les personnages disposent chacun de leur personnalité, plutôt affable et sympathique, et ils restent des êtres humains animés autant de passions que de convictions, pour qui la saint Valentin a encore un sens.
Hundred y gagne en épaisseur, en ambigüité, en crédibilité. - Effectivement, c'est très vrai. Mais au détriment des autres personnages, ai-je envie de préciser (et pour rebondir sur mon commentaire).
SupprimerJe trouve que ton étiquetage de la série en comédie dramatique est très juste. C'est ce que j'avais déjà ressenti à la lecture du premier tome. Il y a tellement d'humour dans cette série, tellement de dérision que les scènes vraiment dramatiques semblent un peu décalées ou ne convainquent pas forcément. C'est ce que j'ai ressenti dans ce tome, notamment, avec la mort de Journal Moore, que j'ai trouvée dénuée de tristesse, alors que j'aurais voulu que ça me touche plus que ça, que ça m'émeuve.