Intitulé "Ô Alexandrie", ce tome est le vingtième "Alix", série d'aventures créée par le Français Jacques Martin (1921-2010), qui met en scène un jeune Gaulois devenu citoyen romain. Publié chez Casterman en septembre 1996, cet ouvrage relié de dimensions 22,6 × 30,4 centimètres, avec une couverture cartonnée, compte quarante-six planches, toutes en couleurs.
Le scénario est écrit par Martin. Outre "Alix", cet auteur est célèbre aussi pour d'autres titres, "Lefranc" et "Jhen". En 1991, ce monstre sacré de la bande dessinée franco-belge est diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rendit presque aveugle et l'éloigna de sa table à dessin dès l'année suivante ; il se fait alors assister et délègue ce travail. Ici, ils sont deux à être aux côtés du maître (qui endosse un rôle de directeur artistique, certainement) : le Suisse Rafael Moralès et le Belge Marc Henniquiau, qui le seconde. Le duo œuvrera jusqu'à "Roma, Roma" (dernier volet entièrement écrit par le maître).
Précédemment, dans "Alix" : À Priène, Alix, Enak, et Héraklion réussissent à échapper à l'incendie du temple d'Héra, allumé par le général Horatius à la suite du déshonneur qu'il a subi. Ils quittent Priène pour Rome avec Sophorus, sains et saufs.
Égypte, Karnak, par une chaude journée : arrivant d'Alexandrie, Alix et Enak voyagent sur un navire qui entre dans le grand bassin. Ils demandent à être débarqués ; Alix présente ses documents à un fonctionnaire, dont une lettre écrite par Senoris Sout-Rekmahra, envoyée d'Alexandrie. Ils ne l'y ont pas trouvé ; des dignitaires du palais royal leur ont "assuré qu'il était en villégiature" à Karnak. Alix devine qu'il y a un problème aux réponses évasives de l'officier. Celui-ci évoque "des difficultés" à rencontrer Senoris. Comme ils sont "venus de loin", il va les aider de son "mieux" ; "bien des choses ont changé en Égypte" récemment. Il donne alors ses ordres à un esclave afin qu'un logement à Thèbes soit mis à leur disposition et que quelqu'un puisse les convoyer le lendemain, jusqu'à l'ancien sanctuaire du pharaon Ramsès III - là où il pense que Senoris séjourne...
Huit années se seront écoulées depuis le dernier album, "Le Cheval de Troie", assurément à cause de la maladie et des contraintes sur la série qui en ont découlé, dont la recherche de talents pour assister Martin. Le scénario a été probablement conçu assez tôt, car il est fabriqué sur le moule des volumes précédents, c'est-à-dire avec Alix en témoin des évènements plus qu'en acteur. Pour les besoins de son intrigue, Martin invite deux personnages de la continuité : Senoris, le chef des archers royaux à Alexandrie dans "Le Sphinx d'or", et Quaâ Menkharâ, ermite et frère du roi dans "Le Prince du Nil". Relire le premier des deux n'est pas nécessaire, tant le personnage de Senoris est différent. En revanche, revenir sur le second sera utile. Cet album est le troisième à se dérouler en Égypte. Il a pour sujet les finances mal en point d'un pays gouverné par Ptolémée XIII, un adolescent de treize ans, et son épouse - et propre sœur - Cléopâtre VII. Chacun de leur côté, les deux souverains - qui se haïssent mutuellement - cherchent à retrouver le légendaire trésor caché d'Hatchepsout dont Senoris garde le secret. Les thèmes et genres abordés sont multiples, une plongée dans l'Égypte ptolémaïque, une lutte au sommet pour le pouvoir, et une chasse au trésor, avec certaines des conventions que cela présuppose. Comme souvent dans les tomes précédents, il y a l'histoire dans l'histoire, c'est ludique et toujours intéressant. Cela étant, cet album ne manque pas de faiblesses. D'abord, les répétitions : les soûleries de Ptolémée se succèdent, les unes après les autres, avec le même effet et les mêmes commentaires de Cléopâtre. Surprenantes, voire amusantes au début, elles lassent rapidement. Ensuite, les ellipses : par exemple l'arrestation d'Alix et Enak. Appréhendés en planche dix, ils réapparaissent crucifiés dans la onzième. Cela confirme que les évènements contés importent plus que ce qui arrive à Alix. Enfin, la question des caractérisations ; celle de Cléopâtre est un brin convenue. Quant à Quaâ, l'ermite colérique et devin mystique est devenu un farfelu quasiment ordinaire, et c'est décevant. Mais il reste la magie de l'époque et de ces lieux uniques.
Ce sont justement ces lieux qui apportent leur charme imparable à l'intrigue ; le lecteur s'émerveillera devant les fortifications de Karnak, l'ancien palais de Ramsès III ou les nombreuses scènes sur le Nil. Qui dit fleuve dit embarcations et les représentations de certaines sont à couper le souffle, notamment la thalamège de Ptolémée IV, navire de croisière avant l'heure. Évidemment, la fidélité du trait des deux artistes remplaçants à celui de Martin accentue l'impact de cette partie graphique ; cela implique une forte densité de détail, mais sans sensation de surcharge. Par exemple, les imposants remparts de Karnak, la multitude de hiéroglyphes sur les façades et les colonnes de l'ancien palais de Ramsès III (les représenter a assurément demandé un travail de fourmi, les scènes concernées étant nombreuses ; c'est véritablement impressionnant), les mosaïques de la salle de bains, ou les différentes embarcations. Alix et Enak sont conformes à ce que le lecteur fidèle est en droit d'attendre.
Sur les vingt tomes de la série, celui-ci figure clairement dans le bas du tableau en termes de qualité. L'intrigue est ténue et le rythme est lent ; la combinaison de ces deux aspects ne suscitera guère l'enthousiasme du lecteur. La partie graphique, en revanche, tient toutes ses promesses. Donc trois étoiles, mais en tirant un peu.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Alix, Enak, Senoris, Quaâ Menkharâ, Cléopâtre, Ptolémée XIII, Jacques Martin, Rafael Moralès, Marc Henniquiau, Casterman
Février 2019 pour la critique de l'album précédent, plus de 4 ans qui se sont écoulés, et ben…
RépondreSupprimerJe suis retourné voir ton article pour le tome précédent, et j'avais oublié qu'il s'agissait déjà d'une collaboration, avec Jean Pleyers, qui est omise dans la page wikipedia consacrée à la série, mais bien mentionnée sur la page consacrée à l'album.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alix_(bande_dessin%C3%A9e)
La fidélité du trait des deux artistes remplaçants, Rafael Morales et Marc Henniquiau, à celui de Martin accentue l'impact de cette partie graphique : impressionnant qu'il ait réussi à dénicher deux autres dessinateurs pour l'assister, pour faire du Jacques Martin, des dessins aussi exigeants. A 75 ans en 1996 et avec sa maladie oculaire, on peut comprendre qu'il ait souhaité recourir à de l'aide. Très fort car ça libère Jean Pleyers, ce qui lui permet de poursuivre la série Jhen.
Roma, Roma, dernier volet entièrement écrit par le maître : avec ta remarque sur les séries qui se poursuivent avec le même scénariste après le départ du dessinateur, j'en déduis que tu vas pousser ta lecture jusqu'à ce tome 24 ? Ou est-ce que l'intrigue ténue et le rythme lent t'en ont dissuadé ?
Il y a l'histoire dans l'histoire : ce qui évite un phénomène de linéarité ?
Quatre ans, parce que rappelle-toi qu'à l'origine (c'est-à-dire après la lecture du tome 19), je voulais m'arrêter là. C'est la reprise (décidément) de ma lecture de "Lefranc" qui m'a donné envie de reprendre la lecture de la série. Eh bien ! Tout ça parce que j'étais en manque de Jacques Martin.
SupprimerMartin participe plus ou moins à l'écriture jusqu'au 28. Je vais donc continuer, peut-être même jusqu'au tome 29, qui est signé entièrement Venanzi et dont on dit le plus grand bien.
L'histoire dans l'histoire évite effectivement la linéarité, puisqu'au fond c'est un autre fil conducteur : bien vu.
A l'origine… Cette remarque m'a incité à aller relire nos échanges de l'époque. Je ne m'en souvenais pas le détail.
SupprimerAlix T19 - Barbüz : J'ai eu un peu la gorge nouée à l'idée que cette série était derrière moi. (23/02/19)
Alix T15 - Barbüz : Je m'arrêterai en effet au 19. (07/12/2018)
En parlant de détail : le lien "À l'issue du tome précédent" dans la critique du tome 19 renvoie au tome 17, et non au tome 18.
Merci d'avoir remonté ce bogue. J'ai corrigé.
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