"Le Cheval de Troie" est le dix-neuvième tome de la série, le dernier réalisé par Jacques Martin (1921-2010), avec l'aide de Jean Pleyers, dessinateur de "Jhen", et Rosanna Crognaletti pour la mise en couleur. Ce recueil de quarante-six planches est sorti en album cartonné aux éditions Casterman, en avril 1988.
Martin est également célèbre pour d'autres titres, tels que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est, hélas, diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le travail à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.
Martin est également célèbre pour d'autres titres, tels que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est, hélas, diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le travail à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.
À l'issue du tome précédent, Vercingétorix se rue vers la tente de César. Il est empalé par le pilum d'un légionnaire. César épargne sa femme et son fils puis renvoie Alix et Enak à Rome.
Olympie. Un cortège entame le tour du temple de Zeus et porte le vainqueur de la course en triomphe. Celui-ci n'est autre qu'Alix. Le Gaulois souhaite offrir son trophée à Zeus, en échange de sa protection pour Enak, Héraklion et lui-même. La foule s'est amassée à la sortie de l'édifice. Le jeune homme les prie de leur laisser le passager afin qu'il puisse aller se baigner dans la piscine de la palestre. Mais quelqu'un, dissimulé dans l'assemblée, jette une patte de bouc sur la terrasse. Héraklion l'attrape. Aussitôt, une rumeur parcourt l'assistance : c'est le pied du diable, malédiction ! Alix s'empare de la chose et tente de les convaincre de renoncer à leurs superstitions. N'importe qui a pu lancer cet objet avant de se cacher lâchement dans la foule. D'ailleurs, c'est sans importance, car le site - le sanctuaire de Zeus - déjoue tout maléfice. Pour prouver ses dires, Alix dépose la patte aux pieds de la statue de Zeus pour que le dieu juge ceux qui ont voulu l'offenser. Héraklion est sceptique ; Alix lui explique que c'est la seule façon d'agir, puis prie afin d'exorciser le mauvais sort jeté sur eux et de frapper de sa colère ceux qui ont profané le temple...
Martin reprend ici le leitmotiv des ultimes soubresauts de civilisations disparues, comme dans bon nombre de ses albums, dont "Le Dernier Spartiate" ou "Le Tombeau étrusque". Plutôt que de faire à nouveau passer Rome comme une fossoyeuse de cultures, il évoque la guerre de Troie et ses réminiscences autour du vestige du fameux cheval conservé par l'administration romaine, devenu là le symbole de la victoire des Grecs sur les Troyens. Tandis qu'un groupuscule nostalgique des grandes heures de la cité sème la terreur dans les rues une fois la nuit venue, le gouverneur romain de la ville est victime d'une machination ourdie par sa propre belle-sœur. C'est l'une des rares histoires (avec "Le Fils de Spartacus") où les femmes ont le mauvais rôle, dans une série qui les met en scène moins fréquemment et qui leur offre des compositions moins capitales. Martin fait appel une nouvelle fois au mystérieux Adroclès ; curieusement, aucune référence n'est faite à sa précédente rencontre avec Alix (cf. "La Tour de Babel"), et le scénariste utilise les trois personnages comme s'ils ne n'étaient encore jamais vus, mais cette incohérence est finalement sans grande importance. Martin déploie son intrigue avec lenteur et distille une atmosphère inquiétante qui alimente le lecteur d'un mauvais pressentiment croissant, technique narrative à laquelle il recourt depuis "La Tour de Babel", jusqu'à l'explosion finale, cette soif de vengeance impitoyable, totalement inattendue, presque apocalyptique dans son dénouement, et cette notion de l'honneur sans tache qui mène à ce sacrifice terrible. Graphiquement, c'est pleinement satisfaisant. Pleyers a crayonné dix-sept planches de ce recueil, qui semble pourtant avoir été entièrement réalisé de la main du maître tant les différences de style - s'il y en a - ne sont pas identifiables. Chaque case est soignée, avec un sens du détail qui met en évidence les navires, les constructions, les costumes, etc. Ah, ces représentations de Cirrha ou d'Épidaure ! Les couleurs choisies sont somptueuses, mais certaines teintes utilisées manquent de luminosité et les tons de peau d'Alix varient très fréquemment. Notons, enfin, que le nu (masculin) est bien plus présent dans cet album que dans tout autre volet de la série ; il est vrai que Martin, pour la première fois, n'était pas soumis à la contrainte "tous publics" de la prépublication dans le "Journal de Tintin".
"Le Cheval de Troie" revient sur les événements d'une page culte et célébrissime de l'histoire antique, et se conclut sur une fin particulièrement tragique et noire, certainement l'une des plus spectaculaires et l'une des plus violentes de cette série.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Respect pour cet accomplissement : critiquer les 19 tomes d'Alix réalisés par Jacques Martin, chaque commentaire successif se nourrissant du précédent pour mettre en lumière l'évolution de la série et de son auteur (je n'oublie pas que tu l'as aussi fait pour d'autres séries comme Thorgal ou Blake & Mortimer). Je trouve que c'est un vrai défi de ne pas se répéter en tant que commentateur, en écrivant sur chaque tome d'une série au long cours.
RépondreSupprimerL'incohérence que tu relèves est effectivement déconcertante. La construction du récit en crescendo est celle utilisée pour l'écrasante majorité des récits d'aventure, afin d'épater le spectateur par des scènes de plus en plus spectaculaires, jusqu'à un bouquet final devant le laisser sur une impression énorme. Il est assez rare qu'un scénariste se risque à un autre schéma pour les récits relevant du genre aventure.
La répétition, dans le cadre de séries fleuves, est un écueil difficile à éviter, je trouve. Martin a suffisamment varié son approche de la série pour donner du grain à moudre à tous les chroniqueurs.
SupprimerJ'ai eu un peu la gorge nouée à l'idée que cette série était derrière moi. Mais ce dernier tome, avec Jean Pleyers aux crayons, m'a donnée l'envie de découvrir "Jhen", titre auquel je m'attaquerai sans doute bientôt, de préférence si je la trouve au format numérique.
Quant au crescendo, je me suis mal exprimé ; je voulais dire que Martin distille une atmosphère inquiétante qui suscite un mauvais pressentiment chez le lecteur. Je vais sans doute amender mon texte.
Je comprends bien ce ressenti de gorge nouée : j'ai éprouvé le même en refermant le dernier tome du cycle des Cités obscures de Schuiten & Peeters.
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