mercredi 13 février 2019

Alix (tome 18) : "Vercingétorix" (Casterman ; septembre 1985)

"Vercingétorix" est le dix-huitième tome de la série créée par Jacques Martin (1921-2010). L'histoire est publiée (ce sera la dernière) dans la version belge du "Journal de Tintin" de mars à mai 1985. En septembre de la même année, Casterman l'édite en un album cartonné (au total, quarante-six planches).
Martin est également célèbre pour d'autres titres, tels que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est, hélas, diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le travail à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.

À l'issue du tome précédent, Wou Tchi reconduit Alix et Enak au port, d'où ils embarquent pour Rome. De loin, impuissants, choqués, ils assistent à la décapitation de Wiong sur le ponton.
Italie, à la fin d'un été torride. Alix et Enak ont été invités par le sénateur Fulvius Cator. Alix souhaite savoir pour quelle raison, mais le notable tient d'abord à lui faire découvrir son luxueux domaine. Les jeunes voyageurs se laissent guider et admirent les fresques, lorsqu'apparaît Numa Sadulus. Enak s'étonne de la présence de ce dernier en ces lieux ; l'homme les informe que Fulvius a accepté de recevoir ses amis. Parmi eux, un personnage important brûle de les rencontrer et les attend. Sadulus justifie toutes ces précautions par le fait que rien ne pouvait être dévoilé. Confiant, il les assure que l'entrevue sera intéressante. L'individu en question n'est nul autre que Pompée. Il enjoint à Alix de prendre place à table, car il souhaite les entretenir d'une affaire de premier plan. Il sait qu'Alix est l'ami de césar ; le sujet qui va les occuper le concerne. Alix rétorque qu'il est fidèle en amitié. Pompée explique que César, après sa guerre des Gaules, est impatient de défiler triomphalement à Rome. Lors de la cérémonie, Vercingétorix, vaincu à Alésia, devrait être attaché comme trophée au char de César, mais le chef gaulois s'est évadé de sa prison !...

Il sera utile de relire "Le Sphinx d'or" et "Les Légions perdues". Martin profite d'un certain flou autour de la mort de Vercingétorix pour livrer une fiction sur les derniers jours du chef gaulois. Pompée étant encore en vie et César n'étant pas encore dictateur, cette aventure se déroulerait en 50 av. J.-C. D'emblée, il est curieux de voir Alix répondre favorablement au projet de Pompée. Il ne s'agit pas d'un "divorce" avec César, mais d'une véritable entorse à une relation de confiance. Alix sert de plus en plus de prétexte narratif à l'auteur ; il devient un témoin "privilégié", qui, s'il reste moralement impliqué, ne prend plus le glaive pour faire pencher la balance. Vercingétorix, lui, est présenté comme un homme passionné, impulsif, sûr de son statut de chef, aimant son épouse et son fils (autour duquel s'ajoute une intrigue). Étonnamment, c'est son procès qui est fait ici ; les Gaulois lui reprochent la défaite d'Alésia, d'avoir laissé mourir femmes, enfants et vieillards après les avoir fait sortir du camp, d'avoir survécu. Avec l'évolution de Vanik, Martin montre que ces querelles appartiennent au passé, qu'une page s'est tournée, et qu'une civilisation en remplace une qui s'éteint. César, bien qu'il finisse par faire preuve de mansuétude, apparaît sous un jour sombre, celui d'un vainqueur impitoyable prêt à commettre de terribles exactions pour préserver la sécurité de Rome. Martin revient sur les événements d'Uxellodunum, en 51 av. J.-C.. Contrairement aux autres batailles, César n'y soumettra pas les survivants en esclavage, ou ne les exécutera pas ; il fera couper les mains des hommes adultes, témoignages vivants de ce que cela coûte de prendre les armes contre Rome. Ici, bien que malade, il vainc les Gaulois une nouvelle fois, au fond. Martin abuse des loups des "Légions perdues", qui font office de deus ex machina sans modération, et avec qui Alix parvient même à communiquer ! Malgré ses défauts, ce récit très linéaire, qui rappellera la structure narrative du "Fils de Spartacus", est sauvé par une fin émouvante, crépusculaire, tragique, et théâtrale. Graphiquement, c'est encore une fois très réussi. Des villas romaines (ou gallo-romaines) aux paysages enneigés du Massif central, en passant par les cités cachées dans les cratères des volcans d'Auvergne, l'artiste fait voyager le lecteur, et résume, en quelques phylactères et quelques cases évocatrices, la bataille d'Alésia.

Ce tome, qui revient sur des moments-clés de notre histoire, invite le lecteur à ignorer le voile romantique présent dans notre inconscient et à réfléchir aux décisions terriblement cruelles de deux chefs face à la sale réalité de la guerre et du pouvoir.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. Voilà un commentaire qui donne envie : les réalités de la guerre et du pouvoir, le sort romancé d'une figure de l'Histoire de la France (Vercingétorix), des environnements inattendus comme les paysages enneigés du Massif central et les volcans d'Auvergne. Je le note dans un coin si ma pile à lire vient à diminuer de manière significative.

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    1. J'ai trouvé cet album passionnant, malgré ses imperfections ; son contenu démontre que Martin a à nouveau fait un vrai travail de recherche.
      J'ai été surpris de voir à quel point ce récit incitait le lecteur à remettre en question sa perception de ces personnages, de ce conflit, en proposant des points de vue différents.

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  2. Je sors d'un petit tour à la FNAC et je vois que le personnage a donné naissance à une nouvelle série :

    https://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/alix-alix-origines/alix-origines-1-l-enfance-d-un-gaulois

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    1. Ah, ben ça ! Ça ne fait jamais qu'une série dérivée de plus - la troisième, sauf erreur de ma part !

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