Paru en novembre 2015, le quatrième volume de l'intégrale que Panini Comics France consacre au personnage de Thor contient, dans l'ordre, les versions françaises des "Journey into Mystery" #124 et 125 (janvier à février 1966), des "The Mighty Thor" #126-135 (mars à décembre 1966), et une histoire complète tirée du "Not Brand Ecch" #3 (octobre 1967). Les couvertures figurent en fin d'ouvrage, c'est celle du "Journey into Mystery" #125 qui illustre la jaquette. Cet album relié (de dimensions 17,7 × 26,8 cm, couverture cartonnée, avec jaquette plastifiée amovible) compte environ deux cent soixante planches, toutes en couleurs.
Stan Lee (1922-2018) a écrit les scénarios de tous ces numéros, y compris du récit extrait du "Not Brand Ecch". Jack Kirby (1917-1994) a réalisé l'intégralité des crayonnés ; l'encrage du travail du "King" a été confié à Vince Colletta (1923-1991), à l'exception du "Not Brand Ecch", assuré par Frank Giacoia (1924-1988). Aucun coloriste crédité ici - une pratique habituelle à l'époque.
Précédemment, dans "Journey into Mystery" : En Asie, des guerriers se retranchent derrière leurs remparts. Ils tentent d'arrêter le Démon. Hélas, la pierre des nornes le rend invincible ! Il fait une proposition aux vaincus : rejoindre ses rangs ou mourir.
New York City, sans doute à Manhattan, par une belle journée. Debout à côté d'un kiosque, Thor lit un article sur le Démon dans un journal. Quelques badauds s'agglutinent autour de lui. Leur hésitation vaincue, certains se mettent à lui poser des questions, notamment sur le Démon : son prochain adversaire ? Thor avoue qu'il n'a jamais entendu parler de lui ; il doit se renseigner. Une fillette l'interpelle : son père a été blessé au Viêt Nam. Thor est-il déjà allé au Viêt Nam ? Le dieu du Tonnerre la prend dans ses bras et répond qu'il s'y est déjà rendu. Il y a rencontré "nombre de pères courageux et patriotes". Dans sa prochaine lettre à son père, qu'elle transmette "les vœux de rétablissement de Thor à ce combattant de la liberté". Puis, souhaitant prendre congé, il demande ensuite à la foule de s'écarter pour pouvoir prendre son envol sans blesser quiconque. Mais un policier intervient...
Le titre de la série change : en mars, "Journey into Mystery" devenant "The Mighty Thor". Voici un très bon volume (oublions le poussif "Not Brand Ecch"), sans doute le meilleur depuis les premiers numéros. Les histoires gagnent en complexité, Lee utilisant Loki beaucoup moins fréquemment que dans ses épisodes précédents ; le dieu de la Discorde ne disparaît pas pour autant, car il continue à jouer un rôle majeur dans "Les Contes d'Asgard" ("Tales of Asgard"), les récits de complément dont l'action se déroule principalement en Asgard. Autre élément, Lee développe de plus en plus deux intrigues en parallèle, par exemple Hercule et Pluton d'un côté, les Rigelliens d'un autre. Bien sûr, l'idylle avec Jane Foster n'est pas oubliée, les auteurs se décident à la faire progresser. Ils l'extirpent de la situation inextricable dans laquelle elle était empêtrée, ce qui rend soudainement le docteur Don Blake superflu. Il apparaît de fait dans les trois premiers numéros de l'année puis plus du tout jusqu'au #135. Le lecteur assiste également à la naissance d'une belle amitié entre Thor et Hercule, avec, en toile de fond, une variation sur le thème du pacte faustien. Ces épisodes se distinguent par la diversité des adversaires et des ennemis qui sont opposés au dieu du Tonnerre. Si le Démon est peu convaincant, Thor combat plus tard les hordes de Pluton, des extraterrestres colonisateurs, puis des hommes-bêtes issus d'une malheureuse expérience génétique, pendant que la vigilance d'Odin en Asgard est mise à l'épreuve. C'est cette année-là que sont créés Ego, la planète vivante, le Maître de l'Évolution, ainsi que les Rigelliens et les chevaliers de Wundagore, dont le conflit trouvera un écho jusque dans les "Iron Man" #110-112 (de mai à juillet 1978) ; excusez du peu ! Thor peut à peine reprendre son souffle dans ces histoires dynamiques, rythmées et divertissantes. Cela confirme l'inspiration et la créativité inépuisable du tandem (surtout de Kirby ?) en cette période faste. Quant aux compléments, "Les Contes d'Asgard", ils consistent en de courtes aventures épiques dans lesquelles Thor et ses compagnons (hauts en couleur) croisent trolls, dragons et barbares.
Le lecteur devra solliciter son esprit pour imaginer ce à quoi auraient ressemblé les planches de Kirby encrées par un autre que Colletta. Il faut néanmoins reconnaître que plusieurs d'entre elles ont conservé une étincelle épique que Colletta - rappelons qu'il restera malheureusement l'encreur du titre jusqu'au départ de Kirby pour DC Comics - n'a pas sacrifiée sur l'autel de la productivité. Là où d'autres privilégiaient les aplats de noir ou les gouttelettes d'encre connectées par de fins appendices, lui applique inlassablement sa technique de hachures fines et serrées en pattes de mouche. Cela - avec l'effaçage de figurants et d'éléments de décors - l'aidait à tenir les échéances. Enfin, Kirby, qui composait des planches avec des photomontages dans "Fantastic Four" depuis 1965, le fait désormais dans "The Mighty Thor" aussi.
Traduction solide de Geneviève Coulomb et Nick Meylaender. "Non-croyant" prend un trait d'union. Il y a des bulles inversées et les cartouches de Cristiano Grassi, snif.
Voici un chapelet de numéros qui sont aussi plaisants que frustrants à lire ; plaisants parce que les intrigues sont de plus en plus fouillées, de plus en plus originales, et frustrants parce que le lecteur ne pourra s'empêcher d'imaginer ce qu'auraient pu être ces épisodes sous l'encrage de Joe Sinnott (1926-2020) ou de Mike Royer.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Thor, Odin, Jane Foster, Hercule, Le Maître de l'Évolution, Les chevaliers de Wundagore, Le Démon, Pluton, Les Rigelliens, Ego la planète vivante, L'Homme-Bête, Lee, Kirby, Colletta, Marvel, Panini Comics
Le retour de l'intégrale Thor après un an et demi d'attente : enfin !
RépondreSupprimerThor est-il déjà allé au Viêt Nam ? - Une tentative de Stan Lee de ne pas paraître trop frivole avec ses comics ? De montrer qu'il est possible d'aborder des sujets sérieux, tout en évitant à tout prix de prendre position.
Not brand ecch : je me demande si cette anthologie a contenu une histoire avec un humour qui fonctionne. Les conventions de récit de superhéros sont déjà tellement exagérées, à la limite du ridicule, qu'une touche comique supplémentaire fait tout basculer dans le n'importe quoi pathétique. Il faut être très adroit pour marier superhéros et humour.
Les hommes-bêtes, Ego la planète vivante, le Maître de l'Évolution, les Rigelliens et les chevaliers de Wundagore : une densité impressionnante de nouvelles créations, qui plus est devenues pérennes, qui sont toujours exploitées par d'autres auteurs pour Marvel.
(surtout de Kirby ?) : comme tu peux l'imaginer, j'ai beaucoup apprécié cette remarque entre parenthèses.
L'encreur n'a pas sacrifié sur l'autel de la productivité : étant plus critique, j'aurais vu sa technique plutôt orientée productivité, du fait de l'utilisation d'un unique outil (la plume à l'exclusion de tout autre, pinceaux ou marqueurs), et l'absence d'encrage de détails et de figurants purement et simplement escamotés des cases.
Petite remarque : jusqu'au départ de Kirby pour Marvel, peut-être plutôt pour DC ?
Le Viêt Nam - Effectivement, ça doit être quelque chose comme ça.
SupprimerNot Brand Ecch - Je me suis demandé si c'était moi ; apparemment non, tu me rassures. Je n'en ai rencontré aucune m'ayant arraché un sourire. Je trouve même que la décision de Panini Comics ces numéros dans les intégrales est contestable. Pourquoi ne pas faire une intégrale Not Brand Ecch pour ceux que ça intéresse ?
L'encrage - Pourtant je t'assure qu'il y a quelques planches pour lesquelles Colletta a fait un effort. Elles sont rares, mais il y en a. Ce sont surtout les premières pages de chaque numéro, en général une pleine page.
Le départ de Kirby - Merci d'avoir relevé cette boulette et de me l'avoir signalée. J'amende !
L'encrage de Colleta : je me suis même surpris à trouver son encrage satisfaisant sur plusieurs épisodes des séries Fourth World quand je les avais relus, à ma grande surprise, et avec pas mal de soulagement.
Supprimer