mardi 11 juillet 2023

"Ex Machina" : Volume I (Urban Comics ; octobre 2013)

Sorti en octobre 2013 dans la collection "Vertigo Essentiels" d'Urban Comics, cet ouvrage est le premier tome de l'intégrale de la série "Ex Machina", qui totalise : cinquante numéros écrits entre 2004 et 2010, quatre "Ex Machina Special" (deux en 2006, un en 2007, un en 2009), ainsi que le "Ex Machina: Inside the Machine", d'avril 2007. Cet album, le premier de cinq volumes, comprend les versions françaises des "Ex Machina" #1-11 (en version originale, parution d'août 2004 à juillet 2005). C'est un recueil relié de dimensions 19,0 × 28,5 centimètres, avec couverture cartonnée, qui contient (sans compter les couvertures) approximativement deux cent cinquante planches, toutes en couleurs. Les bonus en fin de livre consistent en une présentation des sept personnages les plus importants (de Mitchell Hundred à Kremlin, en passant par Rick Bradbury) et de succinctes biographies des auteurs. 
Tous les numéros sont écrits par le scénariste Brian K. Vaughan, qui est connu surtout pour "Y, le dernier homme", "Les Seigneurs de Bagdad" ou encore "Saga". Tony Harris est le seul dessinateur. Cet artiste aura été récompensé durant sa carrière de deux prix Eisner, un pour "Ex Machina", en 2005, et un autre pour "Starman", en 1997. Ses planches sont encrées par Tom Feister sauf deux numéros : l'un est encré par Harris lui-même, et l'autre par Karl Story. Enfin, la mise en couleurs est confiée à J. D. Mettler

New York, le 9 janvier 2002, conférence de presse du maire Mitchell Hundred. Son intervention porte sur le travail des employés du département de la voirie, qui ont "une fois de plus" prouvé qu'ils étaient "la grande force" de cette ville. Le maire annonce la réactivation de sept stations de transports de déchets sur les quais afin de réduire les bouchons et la pollution. À cet instant, un inconnu l'interrompt en vociférant "Va chier, l'alien !". Ajoutant qu'il lui "pisse au cul", il sort un pistolet automatique équipé d'un silencieux de sa veste. Un faisceau de petites diodes reliées par des fils s'illumine sur la partie gauche de visage de Hundred ; sa voix change, il ordonne à l'arme de s'enrayer. Rick Bradbury, le garde du corps, réagit, fait écran, et plaque Hundred au sol... 

Vaughan a conçu "Ex Machina" après les attentats du 11 septembre 2001. Il y évoque principalement la question de politique de la ville, les difficultés de la fonction de maire dans une mégalopole de huit millions d'habitants (à l'époque), et de capacités spéciales inexpliquées, avec toutes les possibilités d'intrigues qui en découlent. La série a presque vingt ans, à ce jour, et il est étonnant de voir à quel point elle a conservé toute sa modernité sur les questions sociales : notamment celles du racisme, du politiquement correct, ou encore de la politisation de l'art. Le lecteur, par exemple, y assiste au premier mariage gay à New York City, presque dix ans à l'avance. Il y a la dimension purement politique, aussi, qui met en scène les rivalités, les querelles intestines, et l'art du compromis. Et l'aspect super-héroïque, dans tout cela ? Si l'on excepte le don très particulier de Hundred, cette facette est traitée de la façon la plus réaliste possible. Pas de testostérone, pas de symbole patriotique, juste un homme d'une trentaine d'années qui ne sait pas d'où vient son pouvoir et dont la brève carrière de superhéros a connu autant d'échecs - sinon plus - que de réussites (il aura quand même sauvé l'une des tours jumelles du World Trade Center). La Grande Machine, contre toute attente, n'est pas devenu une icône populaire. En revanche, sa marotte a attiré l'attention de la NSA ; cela offre à l'auteur de multiples possibilités d'intrigues. Et quelles caractérisations ! Quel que soit le costume, Hundred a un humour mordant et un sens de la répartie affuté, c'est un homme vif à l'intelligence remarquable. À la fois naturel et étudié, son charisme est irrésistible ; la politique ne l'a pas encore totalement corrompu. Les seconds rôles sont aussi variés que réussis : chacun a son petit impact et mérite l'attention du lecteur. Ce premier chapelet de numéros est brillant, frais, novateur, surprenant et drôle (exemple : le costume hétéroclite de la Grande Machine avec sa cagoule de déguisement sadomasochiste). Un authentique plaisir, mais guère émouvant, au fond, car il manque peut-être un petit quelque chose à "Ex Machina", le type de truc qui amène la larme à l'œil. 
Harris est l'unique dessinateur : c'est une promesse d'homogénéité. C'est d'autant mieux que son talent est indéniable. L'artiste présente un style réaliste qui se traduit dans les anatomies, les postures, les expressions faciales, parfois un brin exagérées pour renforcer le comique de l'instant. Bâtiments, infrastructures, véhicules divers et variés, tout est soigné avec un goût irréprochable. Les angles de prises de vues peuvent être incroyables. Exemple : la pleine page qui ouvre le premier chapitre sur la Grande Machine volant vers un avion de ligne, à couper le souffle ! Harris parvient ainsi à combiner réalisme presque photographique et mouvement, et le rendu est impressionnant. Le découpage est cristallin. La mise en page reflète classicisme et modernité grâce aux inserts. La colorisation génère les contrastes nécessaires. 
Traduction de Jérémy Manesse : superbe. Il y a une onomatopée non traduite ("bark") ; question de lettrage ? Une faute de mode dans le texte des bonus (Yann Graf ?).

Ce premier numéro de la série "Ex Machina" (label Wildstorm) - elle peut être qualifiée d'uchronie - propose un chapelet de onze épisodes convaincants, véritablement passionnants et dont les échos - datant d'une vingtaine d'années - résonnent encore curieusement avec notre actualité. À (re)lire, sans hésitation et sans réserve. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Ex Machina, Mitchell Hundred, Ivan "Kremlin" Tereshkov, Rick Bradbury, Dave Wylie, New York, Brian K. Vaughan, Tony Harris, Urban Comics, Vertigo

4 commentaires:

  1. Ex Machina : globalement un bon souvenir de lecture en ce qui me concerne.

    La politique ne l'a pas encore totalement corrompu : cette phrase induit-elle que tu considères que la politique corrompt forcément parce que chaque homme ou femme politique est dépositaire d'un pouvoir plus ou moins grand ?

    Un authentique plaisir, mais guère émouvant : je ne suis pas sûr de comprendre si cette phrase s'applique à la caractérisation du personnage principal et des seconds rôles, ou à ce premier tome dans son ensemble, dans la mesure où tu lui as attribué 5 étoiles.

    Mon avis de l'époque sur le premier tome (épisode 1 à 5) :

    Au début le papillonnage d'une année à l'autre peut être assez agaçant, comme si l'auteur n'arrêtait pas de zapper de peur de perdre l'attention du lecteur, ce qui oblige ce dernier à essayer de reconstituer la chronologie des événements pour s'assurer de ne pas passer à coté d'un lien de cause à effet. Au fil des pages qui se tournent, le lecteur a la surprise de découvrir que Vaughan propose une approche du superhéros Great Machine très réaliste. En gros dans son costume, Mitchell Vaughan est un amateur dont l'efficacité des interventions est limitée par son manque de savoir faire. Hé oui, dans la réalité, le concept de superhéros n'est pas viable. De ce point de vue, sa description des interventions de Great Machine est aussi intelligente que novatrice. Côté politique, le lecteur a l'impression que Vaughan attaque le sujet par un petit morceau. On a du mal à croire que le quotidien du maire de New York se limite à rencontrer son équipe rapprochée (une demi-douzaine de personnes maximum) et qu'il résout par lui-même des situations épineuses. Passé cet aspect un peu simpliste, Vaughan met en scène 2 problématiques (le financement public d'une œuvre d'art polémique, et le maintien de la viabilité hivernale) qui prouvent qu'il a une connaissance pas si superficielle que ça des missions d'une municipalité. Il traite la résolution de ces 2 conflits d'une manière romancée avec un ou deux raccourcis qui font sourire (les talents d'orateur exceptionnels de Journal Moore), mais ça n'enlève rien à la pertinence de ces problèmes.

    https://www.babelio.com/livres/Vaughan-Ex-Machina-tome-1--Les-premiers-cent-jours/10637/critiques/1099457

    Mon avis de l'époque sur le deuxième tome (épisode 6 à 10) :

    Au fil des discussions et des actions d'Hundred, Vaughan et Harris font apparaître plusieurs de ses traits de caractères, développent sa personnalité, en font un personnage très séduisant et charmeur, mais aussi un politicien professionnel. Pour les rares scénaristes de comics qui incluent un homme politique dans leur histoire, l'approche est presque toujours la même : il s'agit d'un individu qui n'a que ses intérêts à l'esprit, et qui est invariablement corrompu à un degré plus ou moins élevé par le pouvoir dont il est le dépositaire. Ici, les créateurs ont choisi une approche plus intelligente dans laquelle Mitchell Hundred est bien un héros dans le sens où il consent des sacrifices personnels pour le bien d'autrui. Hundred n'a rien de quelqu'un né de la dernière pluie, ou de naïf. Il sait que chacune de ses décisions sera commentée, déformée, critiquée, détournée et utilisée contre lui. Vaughan le dépeint comme un individu ayant de fortes convictions (plus morales que politiques) et qui souhaite faire bouger les choses, ou au moins améliorer des situations grâce aux pouvoirs temporels dont il est le dépositaire transitoire par le biais des élections. Ce qui rend Hundred et ses actions crédibles est à la fois son pragmatisme cynique, et le fait que son premier objectif n'est pas d'être réélu. Du coup, il peut vraiment prendre des décisions courageuses, avec des conséquences significatives.

    https://www.babelio.com/livres/Vaughan-Ex-Machina-tome-2--Tag/10634/critiques/1099458

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    1. pas encore totalement corrompu - Je ne sais pas si la politique corrompt forcément ; disons surtout que je crois que tu faire le deuil de tes illusions sous peine de tomber de haut. Et que tu dois être pragmatique plus qu'idéaliste. De là à y voir une forme de corruption, il n'y a qu'un pas.
      Je lis dans ton commentaire que tu l'as perçu comme un homme de convictions ; eh bien tu vois, je ne l'ai pas compris comme ça, je l'ai plutôt vu comme un pragmatique qui veut faire les choses bien et faire avancer certains sujets, mais en tant que bon administrateur progressiste que comme un véritable homme de convictions.

      guère émouvant - Je parle de l'ambiance générale. Je n'ai retenu aucune scène qui aurait pu me faire venir la larme à l'œil, ou qui aurait pu me toucher. Sans doute parce Michell manie l'humour presque de façon automatique.

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    2. Pragmatique plus qu'idéaliste : j'aime bien cette formule.

      Faire avancer certains sujets aux États-Unis me fait mentalement placer le personnage du côté des démocrates plutôt que des républicains souvent plus réactionnaires.

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    3. Je suis d'accord avec toi.

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