vendredi 7 juillet 2023

Tif et Tondu (tome 17) : "Tif et Tondu contre le Cobra" (Dupuis ; janvier 1971)

"Tif et Tondu" est un titre créé par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956) en 1938 ; son historique de publication est un peu compliqué, la numérotation des albums ayant changé avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Willy Maltaite, dit Will (1927-2000), qui se chargera des illustrations à partir de 1949, et jusqu'en 1991. Dineur quittera le titre en 1951. Se succèderont Henri Gillain, alias Luc Bermar (1913-1999), Albert Desprechins (1927-1992), et Maurice Rosy, avant l'arrivée de Maurice Tillieux (1921-1978) pour douze volumes, puis Stephen Desberg
"Tif et Tondu contre le Cobra" sera prépublié dans "Spirou", du nº1650 (27 novembre 1969) au nº1669 (9 avril 1970). En janvier 1971, Dupuis l'édite en album (quarante-quatre planches), le dix-septième de la seconde série classique depuis la réédition de 1985 ; Tillieux écrit le scénario et Will produit la partie graphique (dessins, encrage et - sauf erreur - mise en couleurs). 

La campagne française. Il est dix-sept heures passées de quelques minutes. Installés dans un pavillon confortable, Tif et Tondu attendent la visite d'une comtesse. Tif est impatient : à quelle heure vient-elle donc ? Tondu fait les cent pas dans le salon. La comtesse avait annoncé "cinq heures". Agacé, il ajoute que Tif n'est pas obligé d'attendre : il peut sortir. Mais son ami se lance dans une tirade. Il les connaît, les comtesses, "face-à-main, poil au menton, chichis et compagnie". Il ne tient pas à la voir, et s'il reste, c'est qu'il n'a "pas envie de sortir" ; mais Tondu n'est pas dupe. La sonnette retentit : une dame entre deux âges, mal coiffée, habillée sans goût et la cigarette aux lèvres se présente. Tif l'invite à entrer avec une déférence moqueuse : désire-t-elle quelque chose ? "Un bain, peut-être..." Gêné, mais souriant, Tondu excuse son ami, qui est "de très mauvaise humeur" : il comptait se reposer, mais la comtesse a appelé. Tif en rajoute : le bain, "avec un ou deux kilos de savon ?" La dame s'emporte soudainement. Assez ! Est-ce eux qui ont mis cette annonce au village pour une femme de ménage ? Eh bien, c'est elle !... 

Succédant à Rosy, Tillieux avait convaincu avec "L'Ombre sans corps" ; mais "Tif et Tondu contre le Cobra" ne confirme pas la qualité de cette reprise par le créateur de "Gil Jourdan", hélas ! Cela étant, "Tif et Tondu contre le Cobra" est néanmoins un volume important, car il introduit le premier personnage féminin durable de la série, la comtesse Amélie d'Yeu, dite Kiki. La jeune femme sera dès lors l'une des figures récurrentes les plus emblématiques du titre - en tout cas sous Tillieux, qui l'utilisera dans cinq des albums qu'il écrira. Négligée par Desberg, la jolie blonde sera reprise par Blutch et Robber dans "Mais où est Kiki ?" (2020). Autre point notable : Choc est à nouveau absent. Tillieux ne l'utilisera d'ailleurs pas pendant son run, sauf erreur. Pour le reste, ce scénario aurait très bien pu être conçu par Rosy, tant il correspond à certains de ses codes. Et pourtant, cela commençait plutôt bien : un vieux château-fort isolé perché sur une falaise et un mystérieux intrus, à qui ce déguisement de cobra confère une aura presque fantastique. Mais à la huitième planche, Tillieux - contre toute attente - choisit de révéler le pot aux roses : déjà ! L'intrigue aurait pu évoluer vers un modèle de roman à énigme avec une petite touche de surnaturel, mais il n'en est rien. Tillieux scinde ensuite le scénario en deux fils, Tif, Tondu et Kiki d'un côté, et les escrocs de l'autre. Dès lors, le lecteur n'a plus qu'à se contenter de tourner tranquillement les pages et de suivre passivement les péripéties des uns et des autres jusqu'au dénouement. Chose surprenante : bien que le mystère a été révélé, Tillieux continue à en jouer la carte. Pourquoi donc ? Comme le dit si bien Kiki, cela devient une "plaisanterie grotesque", ça ne convaincra personne. L'auteur ajoute à l'intrigue quelques cascades, des courses-poursuites, des gags, des quiproquos, du grand spectacle et de l'humour (malheureusement un brin convenu et poussif) pour étoffer son histoire et sans doute de donner le change, mais les ficelles utilisées (par exemple, Tif et Tondu pris en chasse par la police, Tif et Tondu infiltrés) sont usées ; rien de tout cela ne prend et le suspense ne parvient plus à émerger. 
Bien qu'il y ait là un peu plus de cases de grandes dimensions (comprendre : hautes de deux bandes, larges d'une moitié) qu'à l'habitude, il n'y a pas d'évolution notable du dessin. Pour une première apparition, Kiki affiche déjà un charme indéniable, mais son design est très conservateur, le lecteur sent bien que la version définitive de la comtesse est encore loin. La mise en page reste classique, à savoir quatre bandes de dimensions égales comprenant deux à trois cases en moyenne. Cela signifie une densité par planche moyennement élevée : huit à dix vignettes en moyenne. Limpide, le découpage est irréprochable, bien que cet agencement très sage des planches y contribue assurément. Les voitures ont évidemment une place de choix : la Matra 530 orange (introduite dans "L'Ombre sans corps", elle ne devrait malheureusement plus apparaître), les Simca 1500 de la police et une Citroën DS, entre autres, les constructeurs des décapotables de Kiki et de l'oncle n'ayant pas été identifiés. 

Bâti sur une mécanique de gags à répétition, "Tif et Tondu contre le Cobra" est un tome dans lequel la dynamique ne prend pas. L'intrigue, prometteuse le temps d'une poignée de planches, est finalement ordinaire. L'opus est sauvé par la création de Kiki, personnage féminin qui ne tardera pas à devenir iconique dans la série. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Tif, Tondu, Comtesse Amélie d'Yeu, Kiki, Jean Lecobra, Luciano Slocum, Docteur Schmidt, Tillieux, Will, Dupuis

4 commentaires:

  1. Un album pour lequel je guettais ton commentaire, car en continuant à parcourir la bibliothèque de babelionautes, mon attention avait été attirée par sa couverture (ainsi que par celle du tome 19, mais je patienterai encore quelques semaines pour ce dernier).

    Une dame entre deux âges, mal coiffée, habillée sans goût et la cigarette aux lèvres : une apparence déconcertante pour cette entrée en scène, mais en comparaison Tif et Tondu ne sont pas non plus des bellâtres, ou ne correspondent pas à l'archétype du jeune premier.

    Tif et Tondu contre le Cobra ne confirme pas la qualité de cette reprise : c'est ce que j'ai tout de suite vu, retour à 3 étoiles, après un album à 4.

    La jolie blonde sera reprise par Blutch et Robber dans Mais où est Kiki ? : merci pour cette précision, je comprends mieux ce choix de titre pour cet album de reprise.

    J'aime bien comment tu expliques ce que cette histoire aurait pu être (une énigme avec révélation), mais aussi en quoi la structure retenue (révélation du pot-aux-roses dans la 8ème planche) ne fonctionne pas car elle rend le lecteur passif.

    Kiki affiche déjà un charme indéniable : ben, comment c'est possible ! Avec la description précédente, je pensais à une vraie mégère, voire une morue. En cherchant en savoir plus sur le personnage, je suis tombé sur un commentaire qui reconnaît en elle Marthe Keller, dans Le Diable par la queue (1968) de Philippe de Broca, le personnage de la baronne Amélie.

    https://www.bedetheque.com/BD-Tif-et-Tondu-Tome-20-Les-ressuscites-4455.html

    J'ai l'impression que le caractère mécanique de l'intrigue t'a rendu moins savoureuse la narration visuelle.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour moi aussi, la couverture était pleine de promesses. Intéressant que tu attires mon attention sur les couvs de la série, parce qu'elle ne m'ont jamais trop emballé.

      Tif et Tondu pas des bellâtres - Mais comment oses-tu ? Je trouve que Tondu n'a rien à envier à un apollon. Non mais !...

      "Mais où est Kiki ?" - Je le lirai une fois la série finie. J'ai hâte.

      La description - Alors justement, n'ayant pas lu l'histoire, tu es victime du même quiproquo que les deux amis. Ils attendent la comtesse, alors que c'est la femme de ménage qui vient pour un entretien d'embauche. La femme de ménage n'en est d'ailleurs pas une, c'est un escroc roi du déguisement. Sachant que tu ne liras pas l'album, je me permets de le divulgâcher.

      Marthe Keller et Kiki - J'ai regardé des photos. Je ne sais pas, je ne suis pas convaincu. Pour moi, Kiki doit beaucoup à Brigitte Bardot et sans doute un peu à Nico. Je me trompe peut-être.

      Supprimer
    2. Mais où est Kiki ? : tome 46, voilà un objectif à long terme.

      Supprimer
    3. Tome 46 ? Non, je crois que cet un hors-série sans numérotation. Ça me va bien, d'ailleurs, parce que je compte m'arrêter au tome 39. Encore que... rien n'est moins sûr.

      Supprimer