mardi 21 novembre 2023

Batman (tome 2) : "Mon nom est Suicide" (Urban Comics ; novembre 2017)

Intitulé "Mon nom est Suicide", cet album est le second des douze tomes de la version française du "Batman" du "Rebirth" ; lancé en 2016, ce "Rebirth" inaugure une nouvelle période éditoriale du titre et succède aux "New 52" (deuxième volume : 2011-2016), connus en France sous le nom de "Renaissance DC". L'ouvrage comprend les versions françaises des "Batman" #9-15 (de décembre 2016 à mars 2017). Il a été publié en novembre 2017, dans la collection "DC Rebirth" de l'éditeur. Ce recueil relié (de dimensions 18,7 × 28,2 centimètres ; avec couverture cartonnée) compte exactement cent quarante planches (toutes en couleurs) plus sept pages de couvertures alternatives, crayonnées par Tim Sale (1956-2022) et encrées par Brennan Wagner, le fils de Matt
Les scénarios des six numéros ont tous été écrits par Tom King. Mikel Janín réalise les crayonnés et l'encrage des quatre premiers numéros. June Chung compose la mise en couleurs des planches de l'artiste espagnol. Les deux derniers épisodes sont crayonnés, encrés et mis en couleurs par Mitch Gerads, lauréat de deux Eisner - en 2018 et 2019 - pour "Mister Miracle", avec King. 

Précédemment, dans "Batman" : Batman apprend d'Amanda Waller que le Psycho-Pirate est à Santa Prisca. Le professeur Strange l'a livré à Bane, en échange d'une "grosse quantité de venin". Batman écoute le plan de Waller pour s'introduire sur l'île. 
Santa Prisca. Bane se remémore son enfance ; peut-on seulement parler d'enfance ? Rien d'autre qu'un emprisonnement dans une cellule où le niveau de l'eau montait et descendait au gré des marées. À quatre ans il attendait qu'on lui apporte à manger. À dix il attrapait les rats pour se nourrir. À quatorze, il pêchait à mains nues les poissons qui se glissaient dans la cellule. Puis vingt-et-un ans et sa première tentative d'évasion. Il a passé dix-sept ans seul, oublié de tous, enfermé dans sa cellule insalubre. Chaque nuit la marée montait. Il flottait à la surface et poussait sur la grille pendant des heures. Des crabes et des sangsues attaquaient la chair de son visage. Il voulait en finir. Arrêter de lutter. Il a appelé Dieu. Le diable. L'âme de sa mère. Les a suppliés... 

Pas besoin de lire les "Batman" #7-8, intégrés dans le crossover "La Nuit des monstres", le lecteur sautera sans friction du #6 au #9. Cet album propose deux arcs, "I Am Suicide" et "Rooftops". Batman monte une équipe pour s'infiltrer sur Santa Prisca. De la Suicide Squad en passant par "Mission: Impossible" ou les "Douze Salopards", ces références auxquelles fait penser ce groupe hétéroclite sont légion. Caractérisations et dialogues sont d'une irrésistible truculence ; par exemple, Poli et Chinelle font immanquablement sourire par leur folle complicité. Bane bénéficie d'un traitement inédit. À maints égards, il fait penser autant à un reflet déformé du roi Hamlet (les monologues et les crânes) qu'au colonel Walter Kurtz ("Apocalypse Now", 1979). Le parallèle que King établit entre Batman et Bane et les tendances suicidaires dont ils ont tous les deux souffert au moment le plus terrible de leur vie les fragilise autant qu'il explique l'origine de leur opiniâtreté. Quant à Batman, le voir défaire seul des dizaines de soldats constitue une sorte d'autodérision qui rappellera la séquence de l'avion de ligne dans "Mon nom est Gotham". Aucun doute : Batman, s'il n'est pas un métahumain, est bien un super-héros. King élargit ainsi le concept de l'Über-Bats de Grant Morrison. Concernant sa structure, le scénario, sur le papier, ressemble à un jeu vidéo construit sur un modèle linéaire, synonyme d'ennui : Batman s'infiltre et rosse tous les sous-fifres, jusqu'à sa confrontation finale avec le boss. Mais King n'est pas n'importe quel auteur : il parvient à insuffler une complexité bienvenue dans une intrigue qui semble toute tracée. Pour cela, il évite le stéréotype du plan brillant expliqué à l'avance. Cela oblige le lecteur à rester concentré afin de saisir toute l'intelligence du plan de Batman (ou plutôt de Waller). Et puis, le deuxième arc est lui aussi exceptionnel : de l'humour (de nombreux criminels costumés de dernier rang sortent de la naphtaline) et de la sentimentalité. Mais surtout, King y évoque enfin - avec justesse et naturel - cet amour profond qui anime les deux êtres iconiques. Ils se le déclarent, presque libres et sans contrainte. Que c'est rafraichissant ! 
Les deux artistes ont des styles différents. Peu importe : leur talent est indéniable. Janín a un trait réaliste, net, fin et élégant. Il confectionne quelques compositions admirables, dont Batman devant l'hôpital psychiatrique Arkham (p. 14-15) et Catwoman et Arnold Wesker dans le réseau de canalisations (p. 62-63). L'Espagnol montre dans ses angles des prises de vues et ses mises en page une diversité qui donne le tournis. Notons le #12, presque uniquement composé de somptueuses doubles pages. L'œil ne sait plus où regarder. Gerads présente un coup de crayon plus brut, moins lisse. Sa mise en page est incroyablement asymétrique : une double page suivie d'un gaufrier, puis cinq bandes, quatre, etc. Ses finitions manquent de régularité, mais n'oublions pas que l'artiste crayonne, encre et colorise : belle performance ! 
La traduction a été effectuée par Jérôme Wicky, l'un des tout meilleurs du circuit. Le résultat est irréprochable et exemplaire : un texte soigné, sans faute ni coquille.

Deuxième tome, nouvelle réussite de King. Spectacle, suspense, surprises et sentimentalisme. Le Nord-Américain apporte jusque-là une contribution solide et originale à la mythologie batmanienne. Cet auteur semble décidément bien parti pour marquer, peut-être à long terme, la franchise et le personnage de son empreinte. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Batman, Catwoman, Arnold Wesker, Poli, Chinelle, Le Tigre de bronze, Bane, Psycho-Pirate, Alfred, Amanda Waller, Docteur Jeremiah Arkham, Commissaire Jim Gordon, DC Comics

3 commentaires:

  1. C'est un immense plaisir pour moi de replonger dans cette époque bénie de Batman. J'ai savouré tous les épisodes de Tom King.

    Tu pointes des éléments qui m'avaient échappé : la comparaison avec Hamlet et Walter Kurtz (bien vu), la progression linéaire jusqu'au boss de fin.

    Soit je m'y habituais déjà, soit le dosage est quand même un cran en-dessous : je n'ai pas retrouvé l'outrance de Batman chevauchant un avion dans ce tome.

    Quel plaisir pour les yeux également, aussi bien le côté clinique de Janín, que la rigueur de la mise en page de Gerads.

    https://www.brucetringale.com/un-nouvel-eclairage-sur-batman-batman-rebirth-2/

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    1. Je me suis régalé aussi. Je n'ai d'abord pas compris de voir Batman seul contre toute une armée avant de me remémorer la scène de l'avion dans le premier tome.
      J'ai trouvé extraordinaire la caractérisation de Poli et Chinelle. Mais c'est surtout le second arc qui m'a vraiment touché.

      J'attends la suite ; je crois que je vais augmenter la cadence.

      D'autant que j'ai perdu de vue la suite en VF, mais de ce qui m'attend, sans inclure "Detective Comics" :
      - "Joker War" (trois tomes)
      - "Batman Infinite", les épisodes de Tynion (quatre tomes)
      - "Shadow War", de Williamson (un tome)
      - "Dark City" (deux tomes, un troisième en février 2024)

      Donc principalement du Tynion. Et après, du Chip Zdarsky.
      Il me semble que le court run de Joshua Williamson n'a pas été entièrement publié en VF, sauf erreur de ma part.

      Mais tu ne lis plus de Batman, si j'ai bien compris ?

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    2. Tu as bien compris : je fais un pause dans les comics depuis dix-huit mois, le temps de me mettre dans le bain de la BD franco-belge.

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