lundi 20 novembre 2023

Pendragon (tome 1) : "L'Épée perdue" (Glénat ; septembre 2023)

Intitulé "L'Épée perdue", cet ouvrage, paru en septembre 2023 est le premier volume de "Pendragon" : une série publiée par Glénat, que l'éditeur présente comme une relecture de la légende du roi Arthur. Ce recueil relié (de dimensions 24,0 × 32,0 centimètres, avec une couverture cartonnée) comprend très exactement quarante-sept planches, toutes en couleurs. 
Le scénario est écrit par Jérôme Le Gris. Le Gris a aussi scénarisé la série "Horacio d'Alba" (2011-2016), entre autres. Benoît Dellac et Paolo Martinello produisent la partie graphique (crayonnés, encrage, mise en couleurs) ; la répartition précise des tâches entre les deux n'a pas été indiquée. Si Dellac a notamment travaillé sur "Notthingham", Le Gris et lui sont surtout les auteurs de "Hawkmoon" : une adaptation de "La Légende de Hawkmoon", de Michael Moorcock, chez Glénat. Martinello, lui, a réalisé la partie graphique d'un album de "Conan le Cimmérien" : "La Maison aux trois bandits" (2020, Glénat aussi). 

Au commencement fut le chaos. En Alba, une guerre interminable faisait rage depuis des siècles entre les premiers hommes et les bêtes de Crom Dubh : le dieu noir. Puis survint l'avènement du premier roi des hommes : Pendraig Rù, le roi-dragon. Il parvint à unifier sous sa bannière les clans et les tribus d'Alba, et mena la lutte contre les loups de Crom Dubh. Enfin, après de longues années, Pendraig Rù affronta le Hurleur - l'incarnation de Crom Dubh sur Terre - à la bataille des Plaines brulées. Terriblement malmené, le roi-dragon ne dut son salut qu'à l'intervention des aigles de Lug, le dieu du ciel et de la création. Ils crevèrent les yeux du Hurleur. Pendraig Rù en profita pour le décapiter à l'aide de l'épée Calibùr ; le dieu noir fut vaincu. À l'issue de la bataille, Lug exigea que Calibùr soit jetée dans les eaux et "intentionnellement perdue" afin que cette arme, sa légende et sa puissance ne puissent en aucun cas devenir l'objet de convoitises pour les générations d'hommes à venir. Et la paix s'installa enfin durablement sur Alba la Grande, "l'île bénie" où un "nouvel âge" commença, "un âge enchanté"... 

Primo, un constat : il s'agit bien d'une relecture. Universel, ce mythe présente suffisamment de contradictions pour qu'un auteur ambitionne d'en concevoir sa version. En six pages, Le Gris crée une genèse convaincante probablement issue autant de recherches que de son imagination : batailles légendaires entre le bien (les premiers hommes, menés par leur champion Pendraig Rù et aidés par le dieu Lug) et le mal (les bêtes et les loups, commandés par Crom Dubh). Puis l'histoire prend le relais : la conquête romaine et le retrait des envahisseurs. L'action se déroule "plusieurs générations" plus tard. Les spécialistes situent la vie et le règne d'Arthur de la deuxième moitié du Ve siècle à la première du VIe : cela correspond. Voilà pour le cadre. Concernant son scénario, le "Pendragon" de Le Gris est un récit de guerre. Pourrait-il en être autrement ? Les roitelets s'affrontent entre eux plutôt que de surveiller les envahisseurs ou d'assurer la sécurité des sept royaumes. L'auteur souligne la dimension politique. Il y est question d'alliances, de rivalités, de territoires et d'unité. En ce sens, Le Gris renoue avec son approche de "Hawkmoon", dont il avait mis en exergue la facette politique. Autre aspect capital, la religion. Merlin regrette que "l'étrange religion du dieu blanc progresse chaque jour un peu plus". Et bien sûr, "Pendragon" est une histoire d'amour. À côté de cette thématique abondante, notons les caractérisations : présenté comme un mercenaire, Arthur est un homme droit et lucide qui montre une remarquable intelligence politique. Courageux, il est fin tacticien militaire. Merlin vit pour défendre sa religion, sa culture et les traditions. Pour lui, n'est-ce pas une façon de survivre et de conserver son pouvoir et son influence à travers elles ? Mordred est tel que l'on pouvait se l'imaginer ; peut-être pire encore, Le Gris accentuant sa perversité en en faisant un violeur et un régicide. Elwen est une jeune femme décidée, intelligente, pleine de bravoure et clairvoyante. Et bien sûr, il y a cette contrée, propice à la magie, que Le Gris nimbe d'une atmosphère aussi hostile que fantastique. Une épopée passionnante se profile : annonciatrice de guerres, de vengeances, de tragédies et de bouleversements. Elle demandera un effort de documentation, mais léger : il y a des notes explicatives et une carte d'Alba. 
Le style des dessins est d'un réalisme résolument contemporain à mi-chemin entre comics et école européenne. Les artistes optent pour le spectacle et le dynamisme : nombreuses sont les compositions formidables. Outre la conception réussie des personnages, remarquons le travail approfondi sur les décors et la richesse des arrière-plans. Les artistes ont réussi à transmettre de la majesté aux décors naturels, un souffle épique aux scènes de combat et une atmosphère lugubre à la région du mont Creux. L'œil est constamment sollicité, que ce soit par la densité de détail, l'expressivité des portraits ou la diversité des angles de prises de vues. Et pour une fois, la pellicule grisâtre de la mise en couleurs est de circonstance. Elle sied autant à l'atmosphère de tragédie latente qu'à la rudesse de cette terre gorgée de sang. 

Premier tome et coup de maître. Le Gris et Dellac ont certainement tiré des enseignements de leur travail sur "Hawkmoon" pour élaborer "L'Épée perdue". Une légende repensée plutôt que réinventée, au fond, mais qui conserve toute sa dimension épique et son aspect tragique. Il reste à espérer que la suite sera à la hauteur. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz, pour ASKEAR
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Pendragon, Roi Arthur, Merlin, Elwen, La Dame du Lac, Mordred, Drusen, Jérôme Le Gris, Benoît Dellac, Paolo Martinello, Glénat, Askear

2 commentaires:

  1. Une BD qui m'a fait de l'œil : voilà donc un article bienvenu.

    Je l'ai feuilletée et je l'ai reposée parce que je n'y ai pas vu le travail approfondi sur les décors et la richesse des arrière-plans que tu évoques. Je la feuillèterai à nouveau, avec ton appréciation à l'esprit. Je suis allé consulter les pages disponibles sur internet : quand je regarde la page numérotée 4, la 5, je ne trouve aucun décor à mes yeux.

    Bon, je suis allé chercher d'autres pages, je suis tombé sur les 10 premières et j'ai pour partie révisé mon jugement sur les décors. En revanche, j'y ai pleinement trouvé le spectacle et le dynamisme.

    Une relecture : pourquoi pas, cela peut s'avérer intéressant, en fonction du dosage.
    Un récit de guerre […] La dimension politique […] La religion […] Une histoire d'amour […] La défense de sa religion, de sa culture et des traditions […] De la magie : après Ciel de guerre, voici une autre série avec une belle ambition littéraire.
    Les notes explicatives sont insuffisantes : Houlà, ce n'est peut-être pas pour moi alors.

    Ton avis m'a fait revoir l'idée que je m'étais fait de ce tome ; j'attendrai la parution du tome 2 et ton commentaire avant de me laisser tenter.

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    1. Les décors. Oui, j'insiste sur les décors. Cela ne veut pas dire que les dessinateurs laissent des arrière-plans vides, cela se produit même souvent lors des plans rapprochés, mais pour moi le boulot sur les décors est indéniable.

      Les notes explicatives. À la relecture, j'ai trouvé qu'il y en avait suffisamment et que le texte était parfois suffisant. Cette phrase-là de mon commentaire doit donc être amendée. Merci d'avoir attiré mon attention sur ce point.

      Le second tome. Je verrai si ASKEAR me propose de continuer, mais en général ils ne commandent que des premiers tomes. De ce que j'ai commenté pour eux, je continue "Elric" et "Hawkmoon". À propos de "Pendragon", je n'attends pas de suite avant fin 2024 au plus tôt, Le Gris étant occupé avec trois séries et pas mieux pour Dellac. On verra où j'en suis à ce moment-là.

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