mercredi 22 novembre 2023

Tif et Tondu (tome 19) : "Sorti des abîmes" (Dupuis ; janvier 1972)

"Tif et Tondu" est un titre lancé par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956) en 1938. Son historique de publication est assez compliqué, la numérotation des albums ayant évolué avec le temps. Si au début Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Willy Maltaite dit Will (1927-2000), qui se chargera des illustrations à partir de 1949 et jusqu'en 1991. Dineur quitte le titre en 1951 ; se succèderont Henri Gillain, alias Luc Bermar (1913-1999), Albert Desprechins (1927-1992) et Maurice Rosy, avant l'arrivée de Maurice Tillieux (1921-1978) pour douze volumes, puis Stephen Desberg
"Sorti des abîmes" est prépublié dans "Spirou", du nº1746 du 30 septembre 1971 au nº1764 du 3 février 1972. En janvier 1972, Dupuis le réédite en album (de quarante-quatre planches) : le dix-neuvième de la seconde série classique depuis la réédition de 1985. Tillieux écrit son scénario et Will produit la partie graphique, dessins, encrage et mise en couleur, sauf erreur. 

Au début des années soixante-dix : en cette matinée pluvieuse de septembre, Tif, Tondu et Kiki sont sur le point d'entrer sur le territoire britannique. Kiki est au volant d'une Renault 16 jaune. Ils passent à la douane à l'hoverport de Ramsgate. L'agent au guichet souhaite savoir s'ils comptent rester longtemps en Angleterre. Tondu explique qu'ils viennent "quelques jours" pour assister à un congrès de criminologie. Au traditionnel "Rien à déclarer ?", Kiki répond "Absolument rien." ; satisfait, un second agent leur permet de passer et la barrière se lève. Kiki avance au pas, lorsque, soudainement, un aboiement se fait entendre depuis le coffre de la voiture. L'agent revient aussitôt sur ses pas et interroge Kiki : a-t-elle un chien ? Kiki feint l'étonnement et lui demande s'il en veut un. L'agent conserve flegme et sourire ; il "apprécie" son humour, mais précise que l'Angleterre est "très stricte sur l'importation des chiens"... si elle en a un... Mais Kiki, aimable et souriante, lui certifie qu'elle n'en a pas. Le douanier ne se démonte pas : si elle n'a pas de chien, alors qui a donc aboyé ? Kiki, amusée, désigne Tondu : "C'est lui"... 

C'est la quatrième aventure écrite par Tillieux et déjà la seconde qui se déroule en Angleterre ; il est probable que Tillieux y trouve un terreau plus propice au mystère que sous d'autres latitudes. Car c'est bien de mystère qu'il est question ici. Depuis qu'il est aux commandes de cette série, Tillieux s'est efforcé de diriger "Tif et Tondu" vers des aventures teintées de fantastique, de macabre et de lugubre, tout en conservant le ton humoristique indissociable de l'école de Marcinelle. Là c'est à nouveau de monstres qu'il est question, comme dans "L'Ombre sans corps". Ces deux albums ont d'autres airs de déjà-vu, notamment le lieu. Dans chacun, une partie de l'action se déroule en effet à Limehouse Dock. "Sorti des abîmes" est relativement long au démarrage : l'introduction occupe quand même sept à huit planches. La vingtaine de planches qui suivent est un brin frustrante, Tillieux multiplie les accidents et la casse sans jamais dévoiler entièrement la bête. Tif, Tondu et l'inspecteur Fixchusset ne disposent pas encore de toutes les informations nécessaires à la compréhension de la nature de la chose qu'ils doivent arrêter et doivent donc suivre - le lecteur aussi - un fil linéaire tracé à partir des points où le monstre a sévi. Dans les planches suivantes jusqu'à la fin, nos héros comprennent toute l'ampleur du risque que représente la créature et tentent de la contrer d'une façon aussi rocambolesque que spectaculaire. L'utilisation d'un avion (un Junkers Ju 87, comble pour l'Angleterre, même si le Royal Air Force Museum possède bien un tel appareil) incitera le lecteur à se demander si Tillieux n'a pas voulu écrire une variation sur le thème de "King Kong" (1933), mais où la bête resterait sous l'eau. Notons encore que ce monstre n'est né que d'une maladresse de l'homme, mais il n'est pas le résultat d'une expérience quelconque ou d'une exposition à des rayonnements radioactifs comme Godzilla, par exemple. Cette chose n'est pas radicalement hostile, mais elle se sent rapidement à l'étroit et peut-être menacée par la réaction des hommes à son égard. Malgré l'énergie déployée par Tillieux, le lecteur tournera les pages machinalement à cause de la banalité de l'accident et du manque de grand spectacle et de morceaux de bravoure, malgré l'héroïsme de Tondu. Il regrettera encore que Kiki n'ait qu'un rôle limité. 
La partie graphique ne présente aucune évolution notable par rapport aux tomes précédents ; Will est fidèle au canon de l'école de Marcinelle. Sa mise en page pourra parfois paraître tarabiscotée. Citons, par exemple, la planche nº11, où il faut d'abord lire la case de gauche puis la colonne de droite pour revenir à la gauche : tout ça sur la même bande. Heureusement qu'il y a des flèches directionnelles. Le dernier tiers de l'album pourra surprendre : Will est obligé d'aérer ses planches et d'élaborer des cases plus grandes, à cause des dimensions du monstre, du rapport entre horizontalité et verticalité et du besoin d'espace dans la séquence de l'attaque de l'avion. Comme souvent avec l'artiste, les décors sont anonymes, à l'exception du pont de la Tour. La densité de détail est satisfaisante et les véhicules sont soignés. 

L'orientation que Tillieux donne à "Tif et Tondu" se confirme. Hélas ! Un authentique souffle épique et un véritable suspense manquent cruellement à ce numéro ; et si "Sorti des abîmes" n'est pas non plus ennuyeux à ce point, il n'y a que cette séquence originale avec Tondu dans le bombardier pour sauver l'album de l'oubli. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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Tif, Tondu, Comtesse Amélie d'Yeu, Kiki, Inspecteur Fixchusset, Cambronne, Tillieux, Will, Dupuis

3 commentaires:

  1. Je commence par regarder les étoiles : trois, ce n'est pas si mal. J'aime bien la couverture le coude à angle droit de Tif, les jambes trop fines pour être anatomiquement correctes, le surgissement des tentacules qui ne dévoile pas tout le monstre, belle composition.

    Même si le Royal Air Force Museum possède bien un tel appareil : total respect pour cette vérification des plus consciencieuses.

    Heureusement qu'il y a des flèches directionnelles : décidément elles ressurgissent de manière chronique dans les bandes dessinées de cette époque.

    Un authentique souffle épique et un véritable suspense manquent cruellement à ce numéro : aurais-tu hésité entre 2 ou 3 étoiles ?

    Petite faute de frappe dans le titre de l'album précédent : L'ombre Dans corps.

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    1. Trois étoiles. J'ai tiré vers le haut, peut-être plus pour Tillieux que pour son histoire, parce que j'ai effectivement hésité entre deux et trois. Encore une fois, l'histoire n'est pas si mauvaise. Mais elle n'est pas suffisamment excitante. J'aurais pu aussi souligner que Kiki n'est pas présentée sous son meilleur jour ici.

      La suite (le tome 20) est du même acabit. Il n'y a même pas Kiki, qui est devenue indispensable à mes yeux en une poignée d'albums. Jusque-là, la performance de Tillieux est donc assez irrégulière et je reste sur ma faim.

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    2. Je te remercie d'avoir relevé la coquille (je ne l'avais pas encore fait).

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