mercredi 15 novembre 2023

Ciel de guerre (tome 4) : "Opération Torch" (Paquet ; août 2016)

Cet album, intitulé "Opération Torch", est le quatrième et le dernier tome de "Ciel de guerre", une série en quatre volumes publiés dans la collection "Cockpit" de Paquet (un éditeur genevois), entre mai 2014 et août 2016. Sorti le 31 août 2016, cet
ouvrage relié (de dimensions 24,0 × 32,3 centimètres ; à couverture cartonnée) comprend un total de quarante-six planches en couleurs. Notons que la maison Paquet a réédité la tétralogie en une intégrale en un seul volet, paru en mai 2019. 
Philippe Pinard - un journaliste passionné d'aviation spécialisé dans la presse moto - a écrit le scénario ; la partie graphique (les crayonnés, l'encrage, la mise en couleurs) est réalisée par Olivier Dauger. Pinard et Dauger ont déjà travaillé ensemble, sur une autre série d'aviation, "Ciel en ruine" (titre en cinq tomes publiés entre 2007 et 2012, chez le même éditeur). 

Précédemment, dans "Ciel de guerre" : La Royal Navy, espérant tempérer l'ardeur au combat des forces vichystes, camoufle ses cocardes sous l'étoile blanche de l'US Navy. L'enjeu de l'opération Torch : le débarquement en Algérie et au Maroc. 
Paris, en 1942, sur le plateau de "La Main du diable" (1943), un film de Maurice Tourneur (1876-1961). La caméra tourne. La scène se déroule dans un musée ou dans une galerie d'art. Des visiteurs y admirent un tableau, une femme nue lascivement allongée sur un lit. Du haut d'un balcon, le peintre - Roland Brissot alias Maximus Léo, joué par Pierre Fresnay (1897-1975) - ne retient pas un sourire de satisfaction. Derrière lui, dans l'ombre, un homme entre deux âges coiffé d'un chapeau melon ; il est joué par Pierre Palau (1883-1966). L'inconnu estime que le jeune homme peut le remercier : le voilà lancé sur la place de Paris, alors qu'hier encore il n'était qu'un "obscur tâcheron sans talent ni avenir". Léo, piqué au vif, se retourne : il ne lui doit rien ! L'autre est indigné. Vraiment ? Le succès lui est "monté à la tête" et il en néglige sa "part du marché". Menaçant, il précise qu'il sait tenir les comptes et ajoute en ricanant que chaque tour d'horloge rapproche Léo de son échéance... 

En ouverture, Pinard évoque "La Main du diable", une production de la Continental Films, ce studio financé par l'occupant (à ce sujet, les plus curieux liront l'instructif article de François-Olivier Lefèvre). Plus loin, en Méditerranée, l'opération Torch est engagée. La présence de cocardes américaines dans le ciel ne perturbe les pilotes de Vichy qu'un temps ; à ce sujet, les auteurs ne ménagent pas le lecteur, contraint d'assister au mitraillage par les chasseurs de Vichy d'avions de transport remplis de parachutistes nord-américains. Une chape de plomb tombe sur ses épaules. Comment ces soldats français - qui n'étaient sans doute pas des collaborateurs convaincus - ont-ils pu se résoudre à obéir aux ordres d'ouvrir le feu sur les Britanniques et les Nord-Américains, sous le prétexte de défendre l'espace aérien d'un régime fantoche ? C'est là tout le drame du soldat légaliste, qui défend l'idée d'une nation - alors qu'elle n'existe encore que parce que les nazis le veulent bien - dans une lutte fratricide sans espoir ni gloire. Vient alors une aubaine : celle de la réconciliation nationale, promue par le général de Gaulle (1890-1970). Malgré cela, il est envisageable que le commandement allié ait fait payer à ces pilotes leur fidélité à Vichy, en les cantonnant à des missions sans panache et en leur attribuant du matériel daté et instable : des Bell P-39 Airacobra, que l'Armée de l'air attendait déjà... en 1940 ! Les accidents se succèdent, telle une malédiction qui touche même les meilleurs dont Pierre Le Gloan (1913-1943), en planche nº39. Pire : ces pilotes ayant combattu pour Vichy subiront quand même le mépris de leurs nouveaux frères d'armes lors du changement de camp (cf. les planches nº42 et nº44). C'est là qu'apparaît toute la complexité des événements que narre cette série, qui va au-delà d'une simple histoire d'aviateurs. C'est le poids combiné de la guerre, de décisions politiques et de choix personnels dans la vie d'un soldat, alors que l'histoire n'attend personne pour être écrite. Pinard écrit un récit captivant en deux parties - le combat pour Vichy et la transition - et évite toute linéarité en intégrant des interludes se déroulant en France occupée, où une certaine aristocratie pragmatique - incarnée par Caroline - entend bien rester debout, traverser la tempête et en ressortir indemne, quoi qu'il advienne. 
Le dessinateur Dauger aura été exemplaire dans son travail, du premier au dernier tome. Ce trait fin, délicat, élégant et d'une régularité étonnante force l'admiration. Les scènes de guerre sont aussi réalistes que réussies. La Citroën Traction Avant qui fonce vers l'aérodrome pour y déposer les pilotes, les Fairey Albacore qui volent en formation, le métal gondolé des hangars à la suite du bombardement britannique, ces magnifiques Curtiss P-40 aux cocardes françaises, les uniformes et accessoires et la mise en couleurs en général, y compris les bleus du ciel. Les joutes aériennes sont toujours lisibles. Pour une série de ce type, c'est capital. Le souci d'exactitude de l'artiste va jusqu'au détail le plus infime, l'arrière du casque de Chatel avec son système de fixation si particulier ou encore le poste de pilotage du Bell P-39. 
 
Pinard et Dauger apportent une conclusion aigre-douce à cette excellente série. Aigre parce que Chatel n'est pas en odeur de sainteté et que le lecteur à un sentiment de gâchis. Douce parce qu'il peut compter sur l'amitié indéfectible de Marsouin, qui lui offre une aubaine inespérée en lui ouvrant la porte de la rédemption. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Ciel de guerre, Étienne de Tournemire / Chatel, Marceau / Marsouin, Français libres, Caroline, Philippe Pinard, Oliver Dauger, Paquet

2 commentaires:

  1. Une autre série dont la lecture aura été rapide.

    Tomes 1 & 2 : 4 étoiles ; tomes 3 & 4 : 5 étoiles. Un beau bilan.

    C'est le poids combiné de la guerre, de décisions politiques et de choix personnels dans la vie d'un soldat : impressionnant que les auteurs parviennent à rendre compte de cette réalité si complexe, une sacrée réussite.

    Le dessinateur Dauger aura été exemplaire dans son travail, du premier au dernier tome : ça me fait penser à notre discussion récente sur la régularité des décors. Est-ce que ça ne devrait pas toujours être le cas de réaliser un produit (j'utilise ce mot à dessein) dont le niveau de qualité soit constant ? Je sais bien que c'est plus facile à dire qu'à faire.

    Si mes piles de lecture n'étaient pas déjà aussi hautes, j'aurais mis cette intégrale dans ma liste.

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    1. Curieusement, j'aurai dû lire ce tome deux fois. À la première lecture, je m'attendais à une fin définitive, si je puis dire, et j'avais été déçu. Je m'étais alors remémoré les commentaires de lecteurs qui avaient été déçus par la conclusion de l'autre série du tandem, "Ciel en ruine" (que je lirai bientôt, d'ailleurs). Je l'ai relu après quelques jours en essayant de mieux comprendre cette fin, et là ça m'est apparu de façon cristalline : Vichy n'a plus d'armée de l'air, le combat continue, mais une page se tourne.

      La réalité complexe. C'est en tout cas ce que moi j'en ai perçu.

      Exemplarité et régularité. Tu te fais l'avocat du diable, mon cher Présence. D'un côté, cela peut sembler évident, dans la BD européenne, en tout cas. Et il m'est effectivement difficile de me remémorer un artiste qui a été brillant sur un tome et brouillon sur le suivant, surtout sur une série courte. De l'autre côté, toi et moi avons lu suffisamment de comics pour savoir que ça ne l'est pas, évident, même si l'organisation du travail n'est pas la même. Quelque part, cela biaise peut-être un peu ma réflexion.

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