mardi 19 décembre 2023

Elric (tome 2) : "Stormbringer" (Glénat ; septembre 2014)

Intitulé "Stormbringer", ce recueil paru en septembre 2014 est le deuxième tome de la série "Elric" publiée chez Glénat, qui compte quatre volumes à ce jour. Ce volume relié (de dimensions 24,0 × 32,0 centimètres, couverture cartonnée) comprend quarante-six planches, toutes en couleurs ; c'est une énième adaptation du "cycle d'Elric", de Michael Moorcock, une œuvre-culte appartenant au registre du merveilleux héroïque, médiéval fantastique ou de l'Heroic Fantasy selon le nom choisi. 
Le scénario est coécrit par Julien Blondel et Jean-Luc Cano. Blondel s'est fait un nom dans le monde des jeux de rôles entre autres. Didier Poli réalise les crayonnés des douze premières planches. Ensuite, il transmet le flambeau à Julien Telo ("Mary Kingsley"). Robin Recht se charge de l'encrage. Il a notamment produit un tome de "Conan le Cimmérien", "La Fille du géant du gel", en novembre 2018. Enfin, la mise en couleurs a été partagée entre Recht, Jean Bastide et Scarlett Smulkowski.

Précédemment, dans "Elric", Yyrkoon fuit en enlevant Cymoril. Désespéré, Elric invoque Arioch et lui verse une offrande (du sang, des âmes, son bras et son destin) contre son aide ! Arioch accepte : ils ont tant de choses "à accomplir ensemble"
Imrryr, un jour de tempête. Sur un quai cinglé par le vent, la pluie et les embruns, quatre Melnibonéens attendent le retour d'un voor' ekh ; se dirigeant vers eux, la formidable créature fend les flots. Lorsqu'elle émerge de l'eau en battant des ailes, l'officier lui impose de s'agenouiller ; soumise, elle s'exécute. Son dompteur lui avait pourtant interdit de rentrer seule : "Où sont-ils ?" Piteusement, l'animal avoue qu'il n'a pas réussi à "les trouver". Le militaire l'avait "prévenu" ; Melniboné "ne tolère pas l'échec". Il fait claquer son terrible fouet sur le crâne du monstre et ordonne aussitôt aux soldats de "convoquer d'autres émissaires", des "hiish' ims" ou des "khar' zuls" s'il le faut. Il conclut par un présage funeste : s'ils ne retrouvent pas "le félon" et la reine, ils seront "servis dans des plats" à la table d'Elric. Sur ce, il les laisse et va présenter son rapport au Dr Jest... 

La magie du "Trône de rubis", le premier tome, ne se renouvelle pas pleinement. Cela se conçoit, car l'effet de la nouveauté s'est étiolé. Il est donc réaliste d'envisager que le lecteur sera plus sensible aux défauts de ce second volet qu'à ses qualités et l'enthousiasme - pour une fois - d'Alan Moore dans sa préface (à croire que l'éditeur cherche à légitimer chaque numéro) n'y changera pas grand-chose. Le premier de ces défauts est la compression de la narration ; tout donne à nouveau la sensation de se dérouler très vite et en un laps de temps restreint, l'invocation d'Arioch (sept planches), le voyage (vingt-et-une), le combat (onze) et le retour à Imrryr (sept). Mais surtout, il y a un autre aspect de taille, la confrontation aux choix que les scénaristes ont dû opérer pour réussir à caser le roman dans un album de bande dessinée de quarante-six planches. Blondel et Cano ont ainsi pris la décision, entre autres exemples, d'occulter la présence de Rackhir l'Archer rouge, un compagnon d'armes d'Elric qui connaît une fin tragique, son âme étant aspirée par Stormbringer. En effaçant ce personnage emblématique du récit (Rackhir, après tout, sauve quand même la vie d'Elric dès leur première rencontre), les adaptateurs s'éloignent aussi du côté jeu de rôles de la saga. En outre, ce choix rend la décision d'Elric d'abandonner son trône pour partir à la découverte des Jeunes Royaumes d'autant plus incompréhensible ; dans le roman, il est en effet plus que probable que la rencontre avec Rackhir soit à l'origine de cette envie aussi soudaine que surprenante. Ici, l'adaptation ôte donc son sens à cette scène et à une partie de la conclusion. S'il a lu le cycle, le lecteur se trouvera devant un cas d'école d'adaptation dégraissée par la force des contraintes du médium, avec les modifications qui en résultent ; voyant ça, il pourra s'inquiéter du sort de Tristelune. En revanche, louons l'intelligence avec laquelle Blondel et Cano, par le biais de leur texte, traduisent l'emprise immédiate de Stormbringer sur le cœur et l'esprit d'Elric. Autre friction, hélas : le combat entre Elric et Yyrkoon, qui est réduit à à peine plus de deux planches et n'en est plus que symbolique. 
Ce qui s'applique au scénario est également valable pour le dessin. L'exemple le plus évident est celui de l'arrondi des yeux avec les petits iris, une marque de fabrique qui rappellera le style Disney. Pour ceux qui n'apprécient pas ce dernier, c'est un détail qui pourra finir par s'avérer agaçant. Les plus exigeants et les plus observateurs déploreront des finitions aléatoires çà et là ou verront dans la ressemblance entre la tour de Dhoz-Kam et Barad-dûr le reflet d'un manque de créativité et d'une manie à piocher dans les sources d'inspirations les plus évidentes. Le talent des artistes est réel, néanmoins : leur étonnante maîtrise du décor (y compris la place laissée aux onomatopées) et des arrière-plans insuffle de la vie aux planches. Certaines compositions sont épiques et formidables ! L'apparition de Straasha, par exemple. La mise en page demeure cinématographique, dans la lignée de celle du premier volume, avec une lisibilité qui est remarquable, malgré une densité de détail élevée. 

Il ressort de la découverte ce tome une légère frustration, voire d'incompréhension. Hélas, cela peut être le lot d'une adaptation de roman en bande dessinée. S'il veut pleinement profiter de cette série, le lecteur devra impérativement réaliser un effort sur lui-même en mettant de côté les souvenirs des lectures des romans. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Elric, Cymoril, Yyrkoon, Arioch, Straasha, Grome, Michael Moorcock, Julien Blondel, Jean-Luc Cano, Didier Poli, Julien Telo, Robin Recht, Jean Bastide, Scarlett Smulkowski, Glénat

5 commentaires:

  1. Ouille ! Tu passes d'une adaptation hautement qualitative pour le tome 1 et 4 étoiles, à une légère frustration voire incompréhension.

    La magie du premier tome ne se renouvelle pas pleinement : intéressant que l'évolution soit tellement perceptible de l'un à l'autre.
    L'enthousiasme d'Alan Moore : au moment de la parution de ce tome, ma curiosité m'avait poussé à lire l'introduction de Moore, et j'avais également été déconcerté par son enthousiasme, lui pourtant si critique vis-à-vis de la production moderne de bande dessinée.

    Les choix que les scénaristes ont dû opérer : effectivement, faire tenir un roman en 46 planches relève de la gageure, même si les dessins prennent en charge tous les paragraphes de description du roman.

    Ce qui s'applique au scénario est également valable pour le dessin : houlà ! Je pense que le caractère aléatoire des finitions m'aurait également agacé.

    Le lecteur devra impérativement réaliser un effort sur lui-même en mettant de côté les souvenirs des lectures des romans : je pense que c'est une des raisons qui me fait me tenir éloigné des adaptations de romans que je connais. Par expérience, je me suis rendu compte que je ne retrouvais pas (à de rares exceptions) la même intensité de sensation, même quand les adaptateurs en donnent leur version personnelle.

    Du coup, liras-tu les deux tomes suivants ?

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    1. Pour que l'évolution soit moins perceptible, j'aurais peut-être dû lire ce second tome dans la foulée. Je ne sais pas.

      Moore - Je viens de voir que le troisième tome était préfacé par Neil Gaiman !

      Les adaptations - Effectivement, je crois que tout vient de là. C'est un travail difficile. En général, si les auteurs s'éloignent trop, ils se font sabrer par les amateurs, idem s'ils sont trop fidèles.

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    2. Moorcock, Moore, Gaiman : j'avais également été impressionné par une telle brochette, au point que ma curiosité m'avait poussé à aller lire leurs introductions, en librairie.

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  2. Bonjour Barbüz,

    je te présente mes vœux les meilleurs pour 2024 : une bonne année, une bonne santé, la réussite de tes projets…

    …. et plein de bonnes lectures.

    Jean

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    1. Bonjour, cher Jean.
      Merci !
      À mon tour de te présenter mes meilleurs vœux de santé et d'accomplissement sur tous les plans.
      J'espère que nous continuerons nos discussions et nos collaborations.
      À très bientôt !

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