mercredi 3 janvier 2024

"Daredevil" : L'Intégrale 1974-1975 (Panini Comics ; janvier 2023)

Sorti en janvier 2023 chez Panini Comics France, cet album est le dixième tome de l'intégrale (le treizième en ajoutant les trois qui compilent le run de Frank Miller) consacrée au personnage de Daredevil. Il inclut les versions françaises des "Daredevil" (vol. 1) #108-119 (de mars 1974 à mars 1975) et du "Marvel Two-in-One" #3 (mai 1974), qui est intercalé entre les "Daredevil" #109 et 110. L'ouvrage comprend une préface (quatre pages) de la scénariste Mary Skrenes. Bonus : un dessin publicitaire, huit planches en noir et blanc et de succinctes biographies des auteurs principaux. Cet album relié (de dimensions 17,7 × 26,8 cm, couverture cartonnée, jaquette plastifiée) compte exactement deux cent trente-trois planches (hors couvertures), toutes en couleurs. 
Steve Gerber (1947-2008) livre ses derniers scénarios sur "Daredevil" ; il écrit tous les numéros jusqu'au #116, le "Marvel Two-in-One" et coécrit le #117 avec Chris Claremont avant de tirer sa révérence. Gerry Conway écrit le #118, puis passe la main à Tony Isabella pour le #119. William Robert Brown (1915-1977) produit les crayonnés de huit numéros, Gene Colan (1926-2011) encore trois, Don Heck (1929-1995) un autre et Sal Buscema ceux du "Marvel Two-in-One". Chez les encreurs : Paul Gulacy, Heck, Frank Chiaramonte (1942-1983), Jim Mooney (1919-2008), Frank Giacoia (1924-1989), Vince Colletta (1923-1991) et Joe Sinnott (1926-2020) pour le "Two-in-One". Et les coloristes pour terminer : Petra Goldberg, Linda Lessmann et Stan Goldberg (1932-2014). 

Précédemment, dans "Daredevil". À San Francisco, Dragon-Lune aide Daredevil et Captain Marvel à vaincre Terrex en utilisant le pouvoir d'Angar le Cri. Terrex est battu, mais cela cause la mort de Broderick ; Angar perd son pouvoir et redevient normal. 
San Francisco, le 24 décembre 1973 : pendant que les badauds se bousculent chez Macy ou Emporium, Daredevil et Black Widow se balancent entre les immeubles et les décorations de Noël. Natasha confronte Daredevil à une question claire et simple : quel lien a-t-il donc avec Dragon-Lune ? Elle exige "la vérité" et le met en garde contre le "baratin" ; Daredevil botte en touche... 

L'année 1974 serait-elle à marquer d'une pierre blanche pour "Daredevil" ? Depuis le début, le titre est franchement peu inspiré - mais les épisodes de Gerber changent (momentanément) la donne. L'auteur imagine deux arcs principaux. Le premier (en six numéros, disons sept) fait directement écho aux préoccupations sociopolitiques de Gerber telles que Skrene les a énumérées en préface ; Gerber y aborde la corruption des idéaux de son pays, la cupidité des élites gouvernantes et la supériorité du pouvoir économique et financier (Wall Street) sur le politique. Cela n'a rien d'étonnant dans une Amérique en proie au scandale du Watergate (1972-1974) et à la fin de la guerre du Viêt Nam (1975) - entre autres. Cela étant, Gerber évite l'écueil de la naïveté : car Mandrill le révolutionnaire n'est rien de plus qu'un terroriste et n'a rien d'un bienfaiteur pétri d'idéaux romantiques. Malgré le manque de réalisme et les aspects kitsch, l'arc est intéressant. Et puis, s'il suit les deux titres, le lecteur établira un parallèle avec l'arc de l'Empire secret (1974) dans "Captain America / Falcon", sans doute. Le second arc compte trois numéros. Il met en scène le Chasseur ("Death-Stalker" en version originale) un être surnaturel, véritable incarnation du mal, suffisamment puissant pour damer le pion à l'Homme-Chose. Ce super-vilain, formidable et inquiétant à souhait, n'est pourtant pas aussi connu qu'il le mériterait. Outre le plaisir d'inviter un de ses personnages fétiches, Gerber a la juste intuition d'orienter, le temps de cette poignée de numéros, "Daredevil" vers une atmosphère fantastique et fait voyager Matthew Murdock des ruelles et des toits de New York (Frisco, c'est fini) aux marais de Floride. C'est une authentique réussite. La relation entre Matthew et Natasha ressemble à du yoyo et les autres numéros sont d'une facture presque ordinaire, sauf que Daredevil et le Scarabée font (presque) équipe un instant et que le Gladiateur et le Hibou reviennent pour la première fois depuis début 1972 et fin 1971 respectivement. Enfin, l'apparition de Shanna la diablesse et le retour du Cirque du crime achèvent une brochette d'épisodes bien écrits, riches et rythmés. 
La partie graphique soulèvera moins l'enthousiasme ; à ce propos, pas de doute. Colan s'éloigne toujours davantage du titre ; le contraste avec ses successeurs n'en est que plus flagrant. La valse des encreurs (en moyenne, ils ne restent que deux numéros) fait de l'émergence durable d'un style un exercice ardu. Brown, dans tout cela, est un peu le titulaire du poste de dessinateur. L'artiste présente un coup de crayon efficace et dynamique, mais qui reflète les défauts de beaucoup de productions de l'époque : il ne s'embarrasse pas du détail et son manque de personnalité propre le rend sensible à celle de l'encreur. C'est particulièrement visible dans le #108, encré par Gulacy, et le #109 (par Heck). Le lecteur appréciera la limpidité du découpage de Brown, la lisibilité de l'action et la clarté de sa mise en page, en revanche. 
La traduction, partagée entre Laurence Belingard et Nick Meylaender, est impeccable ; "Chasseur" a été conservé pour "Death-Stalker", comme dans le "Strange" nº111.

Cette intégrale offre une brochette d'épisodes bien plus intéressants que tout ce que "Daredevil" a pu proposer depuis 1965. Rendons donc hommage à Gerber pour ces numéros. Lui succèderont - à court terme - Isabella, pour seulement cinq numéros (consécutifs), et Marv Wolfman (dix-huit, plus un annuel, entre 1975 et 1977). 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Daredevil, Foggy Nelson, Black Widow, Dragon-LuneShanna la diablesseLa Chose, Mister Fantastic, L'Homme-Chose, Le Scarabée, Spectre noir, Mandrill, Nekra, Le Samouraï d'argent, Le Hibou, Le Cirque du crime, CrusherMarvel

2 commentaires:

  1. Aaaaah ! Le retour de Steve Gerber, et avec une bonne note en plus.

    Merci d'avoir détaillé la teneur de la préface de Mary Skrenes : j'étais curieux d'en connaître le propos, et je reconnais bien là les inclinations politiques de Gerber. Je suis allé regarder les couvertures des épisodes 108 à 116 et j'ai pu obtenir la confirmation de la présence de Man-Thing, un personnage que Gerber avait sien, avec des histoires souvent très personnelles.

    Mandrill le révolutionnaire n'est rien de plus qu'un terroriste : Steve Gerber se démarquait souvent de ses collègues contemporains, avec une pensée politique plus élaborée, plus adulte.

    Le manque de personnalité propre de Brown le rend sensible à celle de l'encreur : très jolie formulation. Je suppose que ses dessins encrés par Gulacy seraient à mon goût.

    Tony Isabella : un nom qui m'est vaguement familier. Je suis allé jeter un coup d’œil sur wikipedia : je m'en souviens pour ses épisodes des Champions, de Ghost Rider, et pour être le créateur de Black Lightning.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Eh oui, une bonne note. Ai-je été entièrement objectif ? Peu importe. C'est simple : l'arc avec le Chasseur fait partie des quelques-uns qui m'avaient durablement marqué dans mon enfance et que j'ai gardés en mémoire. J'avais été très impressionné par ce personnage. Je n'avais qu'une hâte en commençant cette intégrale, c'était d'arriver à ces épisodes et de les relire, en espérant qu'ils n'aient pas trop vieilli. Et je n'ai pas été déçu (peut-être un peu par le dessin, Brown affublant les bottes du chasseur d'une talonnette ridicule, ça m'a fait froncer les sourcils).

      Supprimer