mardi 9 janvier 2024

Dune (tome 2) : "Muad'Dib" (Huginn & Muninn ; septembre 2022)

Intitulé "Muad'Dib", cet album est le second volet d'une adaptation en un triptyque de bande dessinée du roman "Dune" (1965) - le chef-d'œuvre de l'écrivain nord-américain Frank Herbert (1920-1986). Les auteurs ont choisi de réaliser un tome pour chaque partie qui constitue le roman : "Book One: Dune", "Book Two: Muad'Dib", et "Book Three: The Prophet". En version originale, cet ouvrage a été publié en septembre 2022, chez le New-Yorkais Abrams Books, une filiale du groupe français Média-Participations. La version française est sortie chez Huginn & Muninn (propriété de Média-Participations aussi) en septembre 2022, sous la forme d'un volume relié (avec une couverture cartonnée) comptant exactement cent soixante-trois planches, toutes en couleurs. 
Cette adaptation a été conçue par Brian Herbert et Kevin J. Anderson ; Herbert (fils aîné de l'écrivain) et Anderson s'associèrent vers la fin des années quatre-vingt-dix afin de continuer à développer la franchise "Dune" par des romans. La partie graphique a été confiée à une équipe espagnole qui a fait ses preuves, notamment chez Valiant ou Marvel : Raúl Allén (dessin et encrage) et Patricia Martín (mise en couleurs), avec l'aide de Jesús R. Pastrana. Les couvertures ont été produites par Bill Sienkiewicz

Précédemment, dans "Dune" : le baron Vladimir Harkonnen se réjouit d'avoir repris Arrakeen aux Atréides et de leur avoir infligé une défaite. Il va nommer Glossu gouverneur d'Arrakis pour conduire une répression brutale, puis enverra Feyd en sauveur. 
Arrakis, le désert. Installé dans une tente, Paul médite ; il semble en transe. Lui et sa mère ont passé la journée cachés dans le sable à fuir les appareils Harkonnen ; désormais, ils attendent. Jessica l'informe que la nuit approche et s'enquiert d'éventuelles nouvelles de Duncan Idaho, censé revenir pour eux. Mais non, "rien". La tempête qui s'est levée l'après-midi devrait avoir effacé "toutes les traces". Jessica le prie de réessayer. Paul refuse, car il y a "trop de statique à cause de la tempête". Intérieurement, Jessica revit la mort de son bien-aimé, la chute d'Arrakeen, la destruction de la maison Atréides, et la victoire Harkonnen... 

Ce deuxième volume s'inscrit pleinement dans la lignée du premier et répond au même principe, à savoir la fidélité au matériel source pour seule et unique règle. Que le lecteur n'attende donc ni relecture ni fantaisie : il en serait pour ses frais. L'un des objectifs sous-jacents de cette bande dessinée est certainement de proposer une adaptation de référence durable du "Livre second", s'adressant à quiconque voudrait s'attaquer à l'œuvre ou la redécouvrir par ce médium. Bien entendu, il est évident que les auteurs ont dû opérer des coupures dans le roman çà et là (il serait intéressant de procéder à une comparaison détaillée avec le roman pour les identifier), car il leur faut caser l'histoire dans les cent soixante-trois planches qui leur ont été allouées. Mais ici aussi, les grandes scènes mémorables sont bien présentes ; c'est donc avec plaisir que le lecteur familier du roman redécouvrira les incontournables scènes fortes de ce volet, dont - entre autres - l'infiltration de Sardaukars dans la station impériale d'études et le sacrifice de Duncan Idaho qui en résulte, la fuite de Paul et Jessica à travers le désert (dont l'utilisation du marteleur et l'apparition du ver), la rencontre avec Stilgar et les Fremen, le duel entre Paul et Jamis ou encore l'absorption de l'Eau de la Vie par dame Jessica. Des cartouches (de soliloques) adroitement placés évoquent régulièrement l'émergence progressive des facultés de Paul et surtout l'effet que cela produit sur ses interlocuteurs ainsi que la réaction (exprimée ou non) de ceux-ci ; les légendes du Kwisatz Haderach et du messie demeurent donc centrales. Cette adaptation présente de nombreuses qualités en plus de la fidélité au texte (ce qui pourra néanmoins être perçu comme une faiblesse, car la surprise est inexistante pour ceux qui ont lu les romans, choix assumé, voire revendiqué par les auteurs). L'intrigue est parfaitement compréhensible (aucun élément crucial n'a été négligé) et la narration, tissée en un faisceau de deux à trois fils, reste équilibrée. Cette dernière est cependant fortement linéaire, c'est un défaut qui est présent du début à la fin : l'exploitation des différents fils ne parvient pas à l'estomper. 
La partie graphique d'Allén et Martín est dans la parfaite lignée du tome précédent ; le talent des artistes espagnols est indiscutable, mais ce trait réaliste, propre, fin et élégant ne réussit pas à retranscrire suffisamment cette atmosphère onirique si caractéristique de "Dune", et ce malgré des efforts de créativité en matière de mise en page, en témoignent les planches nº1, 64, 102-103 (double) et 156-157 (idem). Il est possible - ce n'est qu'une spéculation - que le dessinateur ait reçu une consigne de la part des scénaristes l'invitant à une certaine forme de classicisme, sans fioritures excessives. La mise en couleurs de Martín est intéressante en cela qu'elle utilise pour chaque scène des teintes spécifiques : par exemple, de l'orange et du rose pour le désert ou du bleu et du violet pour la nuit, etc. L'approche est efficace. 
La traduction a été effectuée par Alex Nikolavitch : il n'y a rien à redireLe résultat est irréprochable et exemplaire : le texte est soigné et il n'y a ni faute ni coquille.

Voici un second recueil sans surprise, avec les mêmes forces et faiblesses que ceux du premier ; entouré de collaborateurs de qualité, Herbert continue l'adaptation de l'œuvre de son père en bande dessinée, dans une approche aussi fidèle qu'elle est soignée, mais qui au fond propose plutôt une transcription qu'une adaptation. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Dune, Paul Atréides, Dame Jessica, Duncan Idaho, Thufir Hawat, Gurney HalleckFremen, Stilgar, Chani, Jamis, Dr Liet Kynes, Baron Vladimir Harkonnen, Glossu Rabban, Feyd-Rautha Rabban

2 commentaires:

  1. Les grandes scènes mémorables sont bien présentes : cette analyse étant proche de celle de l'adaptation d'Elric, le rapprochement entre les deux fait apparaître ce qui a été correctement réalisé dans l'une et pas dans l'autre. Ici, visiblement pas de hiatus dans la logique de l'intrigue du fait d'éléments coupés dans l'adaption.

    Ni relecture ni fantaisie : je le comprends comme le fait que les auteurs ne commentent pas l’œuvre originale au travers de leur adaptation, et qu'ils n'expriment pas leur plaisir ou leur ressenti de lecture. Un choix très guidé par le respect de l’œuvre, même si visiblement l'adaptation l'appauvrit.

    (extrait de ton analyse du tome 1) Le style soigné ne laisse guère de place à l'onirisme que véhicule le texte [...] Ce trait ne réussit pas à retranscrire suffisamment cette atmosphère onirique si caractéristique de Dune : je comprends que tu ressens une autre forme d'amputation du roman, de l'épaisseur du texte de l'auteur.

    A l'issue de la lecture de ton analyse, il semblerait que rien ne vaut l'original.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'adaptation l'appauvrit - C'est bien vu, ça : c'est véritablement mon ressenti. Comme je l'explique, j'ai l'impression que Herbert fils souhaite réaliser une adaptation à la lettre, une sorte de référence, qui laisse la place à d'autres pour une lecture différente. Ici, on est dans le respect et la littéralité et je crois que c'est vraiment ce que cherchait le fils Herbert. Donc en effet, ça ne vaut pas l'original, mais quiconque souhaitera découvrir cette œuvre par la bande dessinée en premier lieu sera comblé avec cette adaptation. Les autres, en revanche, s'en éloigneront ou iront voir ailleurs. Cela dit, ça ne m'empêchera pas de lire le troisième et dernier tome. Nous verrons bien si Herbert fils s'en tient à ces trois tomes (je serais très curieux de connaître les chiffres des ventes, aux US et en France) ; s'il y en a d'autres, je ne pense pas les lire - a priori.

      Supprimer