mercredi 20 mars 2024

"The Fable" : Tome 6 (Pika Édition ; février 2022)

Publié chez Pika Édition (groupe Hachette Livre) en février 2022, dans la collection "Pika Seinen" de l'éditeur, cet ouvrage est le sixième volume de la version française du manga seinen "The Fable", également sous-titré "The silent killer is living in this town". C'est un fascicule broché, de dimensions 13,0 × 18,0 cm, avec jaquette plastifiée amovible et colorisée. Il comprend à peu près deux cents planches (en incluant les couvertures) en noir et blanc (en nuances de gris plus précisément) ; il se lit de droite à gauche. Au Japon, la série fut prépubliée de 2014 à 2019 dans "Weekly Young Magazine" (éditeur Kōdansha Ltd). 
C'est Katsuhisa Minami qui a créé cette série et entièrement réalisé ce sixième numéro : le scénario, les dessins et l'encrage. L'auteur, né en 1971, est encore peu connu dans nos contrées : rares sont ses œuvres qui ont été traduites en français. Outre "The Fable", Minami a aussi produit deux saisons de "Naniwa Tomoare" - une publication qui lui vaut le 41e prix Chiba Tetsuya (en 1999). Enfin, "The Fable", qui compte vingt-deux volumes en tout, a été adapté en film sous le même titre, en 2019. 

Précédemment, dans "The Fable" : Kojima donne ses consignes à Misaki pour le rendez-vous à venir. Qu'elle soit "maquillée et sapée comme il faut", la jupe la plus courte possible ; Misaki se soumet. Une autre pique, puis Kojima la dépose et part. 
Yōko reçoit Takahashi ; pendant qu'elle lui prépare un café, elle s'enquiert de ses nouvelles, car il est "drôlement occupé, ces derniers temps". Visiblement soucieux, Takahashi explique qu'il ne doit "pas lâcher" le gars avec qui il travaille actuellement. Yōko insiste, elle trouve qu'il a mauvaise mine. Peut-être pourraient-ils sortir demain soir "pour se changer un peu les idées". À sa surprise, Takahashi décline : il est "de corvée" pour "une affaire vachement importante à régler". Elle feint une moue : il ne l'emmène nulle part ces derniers temps. Il lui promet qu'il aura bientôt plus de disponibilité et qu'ils pourront "de nouveau s'amuser". À ce moment, elle lui offre alors un petit présent pour s'excuser du soir où il s'est écroulé après avoir trop bu... 

Ce numéro est une surprise, encore qu'elle soit d'une nature particulière. Cela démarre avec une autre démonstration du talent de comédienne de Yōko : Takahashi n'y voit que du feu - le lecteur aussi. Puis ce dernier assiste aux préparatifs d'Akira et s'impatiente déjà à l'idée de scènes d'action complètement folles. Pour bien faire les choses, l'auteur désavantage son surdoué en ne lui permettant qu'une arme de fortune. C'est bien vu, car ça souligne la débrouillardise d'Akira. En outre, ce détail met l'eau à la bouche, le lecteur déduit que la confrontation s'annonce spectaculaire parce que plus équilibrée. La promesse de l'évènement à venir cristallise ses attentes. Entre-temps, un nouveau venu vient semer la confusion dans les esprits - ceux de Takeshi et du lecteur ; tous les criminels semblent converger vers la tranquille petite - et ennuyeuse - ville fictive de Taihei. Jusque-là, "The Fable" contenait un brin d'érotisme mâtiné d'humour potache, caractéristique devenue une marque de fabrique. Ici, voilà que le lecteur est témoin d'une fellation contrainte et d'une tentative de rapport sexuel forcé ! L'étonnement et le malaise engendrés sont démultipliés par la relative absence de dramatisation de la situation, due au manque de combativité de Misaki (c'est se soumettre ou être battue) et à l'intervention imminente d'Akira (le lecteur sait que le calvaire de Misaki ne va pas durer). Minami avait commencé à explorer certaines facettes négatives de la sexualité, mais là, cette scène transforme la perception que le lecteur avait de la série et de sa facette comique et légère. Quant au double face-à-face (Kojima et Sunagawa ; Fable et l'inconnu), le passage de l'affrontement dans l'aciérie, soigné et décompressé, est un modèle de montée en tension et de lisibilité malgré sa relative complexité due à l'agencement des lieux et à la disposition des protagonistes (on ne voit pas Sunagawa s'éclipser, mais peu importe) : Misaki démontre qu'il maîtrise les trois dimensions. La conclusion de ce tome est cependant particulièrement abrupte, voire maladroite, au point que le lecteur se demande si son exemplaire est complet ou s'il manque une poignée de pages. 
Minami produit une partie graphique de qualité, de son trait fin, méticuleux, avec une étude du détail qui donne de la substance aux compositions. Ce sont les t-shirts et leurs emblèmes et slogans, par exemple, conf. la double planche en pages 70-71. Combinée à la minutie du dessinateur, la densité du détail est aussi équilibrée que mesurée ; c'en est admirable, le lecteur prend du plaisir à observer ces planches. C'est aussi l'aspect naturel et réaliste du langage corporel : Misaki, ses bras croisés et sa tête rentrée dans les épaules, comme prostrée sur elle-même, alors qu'elle part pour son rendez-vous. Ebihara, en revanche, n'exsude aucune inquiétude. Peut-être l'artiste a-t-il voulu montrer que ce dur à cuire ne craint pas la mort ? Possible, mais le lecteur l'a déjà vu plus troublé. En tout cas, une jolie régularité de Minami. 
La traduction est effectuée par Djamel Rabahi, comme dans les trois numéros précédents. Son texte est encore impeccable, ni faute ni coquille. Un travail de qualité.

La violence de la série grimpe d'un cran. Au retour des fusillades et des bagarres s'ajoute une autre violence - d'ordre sexuel - axée sur Misaki ; la jeune femme incarne avec stoïcisme l'archétype de la victime soumise. Le lecteur va de surprise en surprise et ne sait plus à quoi s'attendre. À défaut d'être intact, son intérêt reste vif. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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The Fable / Akira Satō, Yōko Satō, Misaki Shimizu, Clan Maguro, Kojima, Takeshi Ebihara, Sunagawa, Takahashi, Kuro, Taihei, Pika

2 commentaires:

  1. Cette scène transforme la perception que le lecteur avait de la série : je me souviens avoir déjà éprouvé cette sensation à la lecture de séries de manga, où les premiers tomes ne laisse pas présager de l'ampleur que va prendre l'intrigue qui change très progressivement de genre.

    Misaki démontre qu'il maîtrise les trois dimensions : peu de bédéistes font cet effort de concevoir leur plan de prises de vue, après avoir conçu leur bâtiment ou la zone d'évolution de leurs personnages. Cela me procure toujours un grand plaisir quand je prends conscience que les déplacements des protagonistes s'effectuent dans un lieu cohérent, et que lesdits déplacements sont contraints par les caractéristiques géométriques ou géographiques du lieu.

    Le § que tu consacres aux dessins me donne envie de feuilleter un tome ou deux : quel artiste complet !

    La série de Minami grimpe d'un cran ! Je ne m'attendais pas à cette conclusion car j'avais d'abord consulté les étoiles et il y en a une de moins que pour le tome précédent.

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    1. Cette scène transforme la perception - Oui, et me suis aussi demandé un instant si Minami ne cherchait pas à rompre avec un éventuel public plus jeune, mais je ne pense pas que c'était l'objectif.

      Grimpe d'un cran - Merci d'avoir attiré mon attention sur ce point, car mon propos est effectivement contradictoire. Je voulais dire : en violence, pas en qualité. La scène avec Misaki m'a mis mal à l'aise et la conclusion est trop abrupte pour moi ; je ne pouvais pas aller jusqu'à cinq étoiles et j'ai hésité un moment entre trois et quatre. J'ai dû le relire pour finalement en arriver à quatre.

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