"Les Tours de Bois-Maury" est une série de l'artiste belge Hermann (Huppen) dont le titre a été changé en "Bois-Maury" à partir du onzième tome ("Assunta", 1998). Bien qu'Hermann ait œuvré seul sur les onze premiers numéros, son fils Yves H. le rejoint comme scénariste au douzième tome ("Rodrigo", 1991).
Ce neuvième volet est intitulé "Khaled" ; c'est un album cartonné de quarante-quatre planches sorti dans la collection "Vécu" de Glénat en mars 1993 ; à ce jour, il y a eu quatre rééditions.
À l'issue du tome précédent, le Byzantin Miltiadès se sacrifie en remettant le message au Seldjoukide Sandjar, qui le fait décapiter, mais qui épargne Bois-Maury et le corps de pèlerins.
Le soleil se lève sur Nazareth. C'est l'heure à laquelle les ruelles appartiennent encore aux prostituées et aux mendiants. Trois hommes (Fayrnal, un Occidental, et deux Arabes, Khaled et Bashir) remontent une venelle d'un pas décidé. Fayrnal, qui mène la marche, maugrée ; l'endroit lui déplaît. Impatient, il demande à Bashir s'il est sûr de l'itinéraire emprunté. L'autre répond par l'affirmative. Ils croisent une femme de joie qui leur adresse un signe d'invitation. Fayrnal exprime son dégoût et prie Bashir de ne pas regarder. Ce dernier raconte que l'inconnue se prénomme Yasmina, et qu'elle est réputée pour être vaillante en besogne. Fayrnal lui ordonne de se taire, évoquant la punition divine, lorsque Khaled les informe qu'ils sont arrivés. L'Occidental demande à ses compagnons de rester à l'extérieur et de garder la porte, car la suite ne concerne que lui. Il écarte un rideau, entre dans une pièce, et salue son hôte, Faouzi, un homme confortablement installé portant le turban, apparemment aisé, et qui attend son visiteur avec le thé. Faouzi prie Fayrnal de déposer son arme ; elle ne devrait pas servir. Après des sous-entendus railleurs qui laissent deviner qu'ils ont été bien plus que partenaires d'affaires, Fayrnal souhaite savoir si son interlocuteur est seul. L'autre le rassure...
"Khaled" marque la fin de la "trilogie de la Terre sainte", ou tout autre intitulé qui pourrait être donné à ce triptyque. C'est sans doute l'un des volumes les plus aboutis du titre jusqu'ici, bien que l'intrigue soit relativement simple et fasse appel à un mécanisme qui a déjà été utilisé dans plusieurs albums de la série : le siège et l'assaut. Encore une fois, le combat pour la Terre sainte semble très loin des préoccupations immédiates des personnages : une sombre histoire de rivalité entre deux seigneurs francs. Le lecteur pourra néanmoins connecter la scène de guérilla dans les ruelles de Nazareth à une réalité douloureuse et bien plus récente. Et encore une fois, Hermann met en images un conflit qui débouche sur une alliance contre-nature. L'humour n'est pas absent de cet album (c'est l'écuyer Olivier qui l'incarne), la tragédie non plus, bien entendu. C'est le tome dans lequel l'attachement d'Olivier à Bois-Maury est le plus exprimé. Un autre protagoniste de la saga y fait son retour (il sera utile de revoir "Reinhardt"). Le lecteur pourra néanmoins regretter que le chevalier Hendrik ne prenne pas part à l'action, un choix surprenant de la part du scénariste, mais qui lui permet de justifier la décision finale du personnage à l'égard de Bois-Maury. Hermann aborde ici le thème de l'homosexualité (le trio Fayrnal-Khaled-Bashir, auquel il faut sans doute ajouter Faouzi) avec une certaine finesse ; ni morale ni voyeurisme, rien que les sous-entendus des mots et les joutes verbales. Les dialogues sont d'ailleurs toujours aussi fouillés et recherchés. Graphiquement, le trait de l'illustrateur semble plus soigné que d'habitude (ce n'est probablement qu'une impression ; Hermann a cinquante-cinq ans à la conception de ces pages, et son style est sans aucun doute arrivé à maturité). Maintes scènes se déroulent de nuit ou sont éclairées par une lumière tamisée, mais le tout reste lisible. Le travail de mise en couleurs (avec de nombreuses touches de blanc pour représenter les reflets du soleil sur les visages ou les armures) est cependant terne et n'est donc pas entièrement convaincant. La quête de Bois-Maury fait un bond vers sa conclusion ; l'auteur prépare un dénouement qui arrive subitement, car "Khaled" est l'avant-dernier tome de la série avant qu'elle n'évolue et que son nom ne soit raccourci. La qualité régulière et inaltérable de ce titre est digne d'admiration.
Hermann ne tombe ni dans le piège de la bande dessinée purement historique ni dans celui de la fable moralisatrice sur le conflit de civilisations. Il met en scène des hommes avec leurs ambitions, leurs rivalités, et les luttes terribles qui en résultent.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbuz
En revoyant défiler la couverture des albums l'une après l'autre, je me souviens que c'est la caractéristique qui avait fini par me convaincre de me lancer dans cette série. Elles sont magnifiques, et celle-ci se place parmi les plus réussies.
RépondreSupprimer55 ans en 1938 : je ne me rendais pas compte de son âge. Du coup, je prends conscience qu'il continue à créer des bandes dessinées alors qu'il a maintenant 80 ans, respect.
Respect, oui. Respect, parce qu'à 80 ans, il "tourne" encore à un album par an. Respect aussi pour tous ces séries phares, "Comanche", "Bernard Prince", etc. Cependant, après quinze tomes de "Bois-Maury", je ne sais pas si je lirai d'autres titres du même auteur.
SupprimerDepuis que j'écris des commentaires, j'avais retenté de lire une bande dessinée d'Hermann, une de ses histoires complètes en 1 tome. Je n'avais pas été convaincu de continuer.
Supprimerhttps://les-bd-de-presence.blogspot.com/2018/05/the-girl-from-ipanema-ce-tome-contient.html