dimanche 18 novembre 2018

The Punisher (tome 7) : "Les Négriers" (Panini Comics ; mai 2007)

"The Punisher" est une série de soixante-quinze numéros en VO (de mars 2004 à octobre 2009), et de dix-huit tomes en VF (d'avril 2004 à janvier 2011), sortis sous le label adulte MAX chez Panini Comics. Publié en mai 2007, "Les Négriers" ("The Slavers" en VO) contient les chapitres #25 à 30 du titre régulier (de novembre 2005 à avril 2006). Depuis 2013, Panini Comics réédite progressivement cette somme à raison de deux histoires par volume. Mon billet présente la première édition, un album à couverture flexible d'approximativement cent quarante pages.
Le scénario est écrit par Garth Ennis ("Preacher", "The Boys", ou "Hellblazer"). Les dessins sont signés par Leandro Fernández ; ils sont encrés par Scott Koblish et mis en couleurs par Dan Brown. Fernández avait déjà œuvré sur les troisième et cinquième tomes, "Kitchen Irish" et "Le haut est en bas et le noir est blanc".

Brooklyn, un an plus tôt. Le Punisher, armé d'un fusil de guerre à lunette, est en embuscade. Sa cible ? Le gang d'Anthony Pavla, un criminel moldave, qui se retrouve dans le viseur de Castle pour trafic de cocaïne et d'héroïne. Alors que le mafieux est sur le point de monter dans sa limousine, une jeune femme, un pistolet automatique à la main, fait irruption sur la scène et commence à tirer. Son manque d'adresse et d'exercice est évident ; pourtant, elle atteint l'un des gardes du corps de Pavla et parvient à blesser ce dernier. L'inconnue est rapidement à court de munitions. Tandis qu'elle prend la fuite, Pavla, ivre de douleur et de rage, ordonne à ses sbires de la rattraper et de la tuer. Quatre d'entre eux se lancent aux trousses de l'assaillante. Castle observe la scène, mais ne perd pas de vue sa mission, qui demeure Pavla. Profitant d'une négligence de son objectif, il le supprime froidement. Plus loin, deux agents de police, Russ Parker et Marcie Miller, patrouillent dans leur véhicule ; l'ambiance est morose. Miller présente ses excuses et demande qu'ils en restent là. Renfrogné, Parker y consent, de mauvaise grâce. Miller, désolée, ajoute que d'habitude ces conneries ne la font pas rire...

Nouveau tome, et nouvelle cible pour le Punisher. Après la mafia italienne et les gangs irlandais, Franck Castle s'en prend au crime organisé moldave dans un récit sordide, violent, et explosif au rythme maîtrisé et à l'intrigue cohérente. Castle, obsédé par sa mission, n'a d'abord que faire de Viorica, cette victime mise en travers de sa route ; évidemment, cela va rapidement changer. Encore une fois, Ennis pousse loin l'exploration de la noirceur de l'âme humaine. Il y évoque des enlèvements, des viols répétés sur de courtes périodes, des coups. Il cite des "cadences de travail" qui font frissonner : vingt clients par nuit, avec l'obligation de respecter les quotas fixés, sous peine de nouvelle avalanche de coups, de nouvelle série de viols. Ensuite vient l'espoir de la fuite, et le rejet par la famille, par honte, avant que l'esclave (car c'est bien d'esclavage dont il est question) ne soit rattrapée et envoyée aux États-Unis. L'auteur n'invente rien ; une recherche sur la Toile avec quelques mots-clés remontera plusieurs articles dont l'analyse permet de comprendre que la réalité dépasse la fiction. Ennis dénonce, par l'intermédiaire du personnage de Jennifer Cooke, le manque d'intérêt dont souffre cette question. Il va plus loin dans l'horreur avec le destin de la petite Anna ; il a au moins la "décence" d'épargner l'atrocité du "direct" au lecteur. Le scénariste agrémente son récit d'une terrible rivalité père-fils, le premier étant considéré comme le diable incarné par ses victimes, le second comme un criminel voulant gérer ses opérations comme un homme d'affaires. Il revient sur la corruption dans la police en mettant en scène deux agents intègres, dont l'un est le sujet des railleries de ses collègues pour son homosexualité. La partie graphique est réussie. L'artiste offre, dans un découpage clair, un trait réaliste et spectaculaire qui bénéficie d'un excellent encrage et d'une remarquable mise en couleurs. Les expressions faciales sont exagérées. Fernández souhaite idéaliser physiquement Viorica, mais échoue à exprimer le drame de sa vie. 
La traduction est de Nicole Duclos, à nouveau. Son travail est tout à fait satisfaisant ; le texte ne comporte pas de faute. Côté maquette, l'éditeur regroupe les couvertures originales à la fin ; elles auraient dû être insérées en début de chapitre.

"Les Négriers" est l'un des grands moments de la série, malgré cette atmosphère continuellement glauque et plusieurs scènes-chocs qui donnent au lecteur l'impression d'explorer les facettes les plus fangeuses et les plus insoutenables de l'âme humaine.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

5 commentaires:

  1. Avec ce tome, mon regard sur la série a beaucoup changé. À mes yeux, Garth Ennis est passé d'un auteur sachant réaliser des histoires de crimes et de justicier, avec talent et brutalité, à un auteur littéraire, écrivant de vrais polars, des romans constituant un commentaire sur la société, dépassant le simple récit de genre virtuose.

    Ennis et Fernandez atteignent des profondeurs de noirceur dignes des plus grands romans noirs, mais ce n'est pas tout. Il n'y a pas d'espoir, les actions de Castle ne feront pas grande différence, la société ne sait pas se défendre face à de des monstres tels que les esclavagistes. Frank Castle continue de tuer des criminels même s'il sait sa mort certaine et la futilité de ses actions, leur impermanence. Le constat de ce tome est à la fois la cruauté sans limite au nom du profit, avec des prédateurs immondes, mais aussi que cette faculté de l'humanité à se montrer ignoble est impossible à éradiquer. L'impuissance des services sociaux et les limites de l'action du Punisher mettent à nue la fragilité de toute démocratie. Garth Ennis développe sur un tome, le propos à la fois désespéré et révolté de la page de conclusion du tome 5 de la première édition Panini Le haut est en bas et le noir est blanc.

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    1. Bien que ton propos, comme toujours, suscite réflexion, je ne suis pas d'accord avec toi, et j'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur. Je trouve que la dénonciation d'Ennis de ce fléau reste très superficielle et manque de profondeur. D'ailleurs, j'ai trouvé que le personnage de Viorica était le maillon faible de cet album ; Fernández l'a sans doute loupée.
      Je te rejoins sur le fait que Castle est comme Sisyphe, plus il en tue, plus il y en a, dans une interminable danse macabre ; cela pourrait réduire la portée de son action, voire confirmer son inutilité, s'il n'y avait toujours cette conclusion répétée, lors de laquelle Castle inflige une punition jouissive pour le lecteur.
      Personnellement, je vois dans cette série - et je n'en nie pas la qualité - une succession de portraits du Mal sous forme humaine, avec une répétition, à l'identique, de la structure narrative : découverte - affrontement - punition - statu quo (avec une "victoire" à la Pyrrhus). Seul le contexte change vraiment, que ce soit les Russes, la mafia italienne, les gangs irlandaise, ou, dans ce cas, les esclavagistes moldaves.

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    2. J'ai manqué d'à propos : c'est tout à fait une déclinaison du mythe de Sisyphe.

      J'espère bien que tu n'es pas d'accord avec moi, sinon il n'y a plus de discussion, ni d'enrichissement. :) Mon ressenti (qui est forcément personnel, et n'a rien d'universel) est que je n'ai pas eu difficulté à croire au personnage de Viorica, ou plutôt à ce qu'elle incarne. Ennis ne réalise pas un reportage sur les filières de traite des femmes ; cette dimension du récit est superficielle comme tu l'écris. A mes yeux, son regard est plus pénétrant pour les mécanismes d'un système qui permet à cette barbarie de perdurer au sein de pays démocratiques.

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  2. Je saisis ton propos. Merci de l'avoir partagé et approfondi.
    Quoi qu'il en soit, on en reparle au prochain tome :-) .

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