jeudi 3 janvier 2019

Bouncer (tome 1) : "Un diamant pour l'au-delà" (Les Humanoïdes associés ; juin 2001)

"Bouncer" est une série française de western créée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq. Elle est toujours en cours à ce jour. Les sept premiers tomes ont été publiés chez Les Humanoïdes associés, les suivants chez Glénat. "Un diamant pour l'au-delà" est le tout premier volume ; il est sorti en juin 2001.
Le scénario est signé par le Franco-Chilien Alejandro Jodorowsky, connu, entre autres, pour "L'Incal" ou "La Caste des Méta-Barons". Les dessins sont de François Boucq, qui a notamment travaillé sur "Little Tulip" ou "Bouche du diable". La mise en couleur est répartie entre Ben Dimagmaliw et Nicolas Fructus.

Amérique du Nord, printemps 1865. Par un ciel sombre et menaçant, deux cavaliers sudistes traînent un homme attaché à leurs montures par ses poignets. Au bout d'un moment, l'individu, épuisé, tombe sur le ventre et finit par solliciter la pitié. Les soldats s'arrêtent pour l'insulter de lâche et de traître ; il devrait être écrasé comme une punaise. Le prisonnier leur demande de le laisser. Mais l'un des cavaliers, sans l'écouter, lui ordonne de se relever ; ils sont bientôt arrivés, et un soldat confédéré mérite un jugement légal. Ils rejoignent un bivouac sudiste où les hommes chantent et jouent de la musique près du feu. L'un d'eux appelle le capitaine Ralton pour l'informer que le déserteur a été ramené. Le captif, à nouveau insulté, est présenté devant l'officier, qui ironise sur son absence de courage. Un militaire précise qu'en temps de guerre, un déserteur recevrait un châtiment exemplaire. Le prisonnier, révolté, hurle que la guerre est terminée ; Atlanta a été prise, et Philip Sheridan a vaincu Jubal Early à Cedar Creek. Le Sud a déposé les armes. Ralton lui intime de se taire ; ceux qui ont perdu la volonté de se battre ne sont pas le Sud. Le Sud, c'est lui et ses soldats, et ils ne se rendront jamais. L'autre insiste : la Confédération n'existe plus. Il est un homme libre. Il veut rentrer chez lui, où femme et enfants l'attendent. Mais Ralton réplique que la désertion mérite la peine de mort...

Jodorowsky, pour lancer sa série, n'y va pas de main morte et présente le Far West comme une terre de cas sociaux irrécupérables enclins à la pire violence et à la plus profonde cupidité. La Guerre de Sécession est finie ou sur le point d'être finie, mais l'escouade de maraudeurs du capitaine Ralton sème le feu, le sang et la mort dans son sillage. Quiconque s'oppose à ces hommes-là le paie immédiatement : massacres à la mitrailleuse Gatling, assassinats, incendies de propriétés, viols, scalps, décapitations, ou cadavres brûlés. Le scénariste continue son exploration du sordide avec l'histoire de Lola ; orpheline, violée à l'âge de huit ans par des Apaches, elle devient prostituée peu après et tombe enceinte pour la première fois à l'âge de onze ans ! Le narrateur nous apprend que la gamine compte jusqu'à trente clients par jour ! Elle sera mère deux fois supplémentaires, à treize puis à quinze ans (ici, une tentative d'avortement se soldera par un échec). Trois fils qui grandissent au rythme des bagarres et au son des armes à feu, et une famille 100% dysfonctionnelle dont le vocabulaire exclut des termes tels que "pitié", "humanité" ou "empathie". Leur avidité les amènera à commettre l'irréparable et laissera de profondes marques, autant physiques que psychologiques (sans oublier l'improbable profanation de la dépouille maternelle). Quant au dernier rejeton, le petit-fils, il est brutalement poussé dans le monde des hommes en étant témoin du pire. Le lecteur pourra se demander si l'auteur ne multiplie pas ces déviances affichées sans le moindre scrupule par esprit racoleur, ou par volonté d'aller plus loin que toutes les séries de western déjà produites. Mais l'intrigue est diablement efficace : un trésor, un secret emporté dans la tombe, et une sombre affaire de famille. Jodorowsky ajoute à cela un soupçon de fantastique avec une paire de pistolets auréolée de mystère. La cadence du récit est rythmée et les événements s'enchaînent rapidement - trop, peut-être. Les dessins de Boucq viennent parachever la réussite de ce premier tome. Son trait réaliste est parfaitement approprié. Son découpage en trois ou quatre bandes offre des plans variés ; les planches comptent jusqu'à huit cases, parfois avec une seule par bande pour l'effet cinématographique 16/9. La limpidité de l'action est exemplaire. Dimagmaliw et Fructus produisent une mise en couleurs admirable.

"Un diamant pour l'au-delà" annonce une série prometteuse. Jodorowsky et Boucq étouffent ici les soubresauts de romantisme qui pouvaient encore agiter le genre. Ils se démarquent par une approche racoleuse, mais crue, violente et sans concession.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

2 commentaires:

  1. Je ne garde pas un grand souvenir de cette lecture qui date de plus d'une dizaine d'années. Je dois dire que les horreurs listées dans ton article serait de nature à me le faire relire, d'autant que je n'ai qu'à l'emprunter à mon fils à qui je l'ai offert.

    La seule impression que j'en avais gardé est que François Boucq avait réalisé des planches aussi mémorables (en espérant ne pas blasphémer) que celle de Jean Giraud pour Blueberry.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je dois avouer que j'ai été surpris de voir à quel point Jodorowsky forçait le trait de ce monde-là ; j'ai tout de suite trouvé ça racoleur, ce qui n'enlève rien à la force de l'intrigue de ce premier tome.
      Il y a là-dedans une double planche de Boucq, sur trois bandes, que je ne me lasse pas de regarder.

      Supprimer